ANNETTE MONOD

En 1941, Annette Monod, qui est assistante sociale, visite les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande. 3 747 Juifs étrangers, en majorité polonais, à peine démobilisés des compagnies de combattants volontaires, y furent internés, le 14 mai 1941, à la suite de la rafle dite du « billet vert ». Elle installe un service social dans l'un des baraquements du camp de Beaune-la-Rolande, tout en habitant à l'hôpital tenu par des religieuses. Son travail consiste à aider à mettre en place une vie juive, également sur le plan cultuel, au sein du camp, à permettre un approvisionnement en nourriture cachère, fournie par les oeuvres juives, notamment à la période des fêtes. Beaucoup d'internés ne parlant pas français, elle se fait aider par deux secrétaires pour les traductions du yiddish et du polonais. Elle conserve de son passage dans les camps du Loiret un portrait réalisé par un  détenu du camp de Pithiviers, au dos duquel il a écrit : « À Mlle Monod, qui représente pour nous, étrangers, la vraie France. » Mlle Roland la remplace, lorsqu'elle part pour le camp de Drancy, à partir de décembre 1941.

Related image

A Drancy, elle monte un centre social avec l'aide d'internés français, dont l'avocat François Lyon-Caen. Fin août 1942, le camp de Drancy comptait 4 235 Juifs internés, dont plus d'un millier français, et 40 avocats parisiens, arrêtés à leur domicile, dont Pierre Masse, célèbre avocat parisien. Le 12 décembre 1941, ce sont 743 Juifs français, tous d'un milieu aisé, qui sont arrêtés pour être internés au camp de Compiègne. Elle y reste six mois pour apporter réconfort aux internés et entrer en contact avec les familles, qui apportaient le linge propre au camion de la Croix-Rouge et repartaient avec le sale, place Jean-Jaurès. Elle est renvoyée pour « excès d'activités », c'est-à-dire pour avoir fait sortir des lettres, sans passer par la censure. Dans les faits, elle ne s'entendait pas avec la police judiciaire (PJ) qui faisait régner l'ordre dans le camp. Son bureau, qui servait d'entrepôt, était situé près des latrines, appelées « château rouge », dans lesquelles la direction avait un jour entreposé un mort, histoire de la pousser dehors.

Image result for annette monod-leiris

Le 16 juillet 1942, Annette Monod est l'une des rares assistantes sociales à être autorisées à pénétrer dans le Vélodrome d'Hiver. 13 000 personnes avaient été arrêtées les 16 et 17 juillet, tous des Juifs étrangers, dont 5 919 femmes et 4 115 enfants de moins de 16 ans (pour beaucoup nés en France). Les familles sont parquées au Vel' d'Hiv', les autres partent directement à Drancy.

Constatant son impuissance, elle préfère donc aller à Beaune-la-Rolande pour préparer l'accueil des familles internées au Vel' d'Hiv'. Entre le 19 et le 22 juillet, sept trains spéciaux sont dirigés vers les camps du Loiret, quatre vers Pithiviers et trois vers Beaune-la-Rolande. Elle a vu la détresse des mères que l'on a séparées de leurs enfants, avant de les déporter, l'état des enfants seuls, couchés dans la paille, plein d'impétigo et de gale, et envoyés à Drancy, à leur tour. Elle a réalisé à ce moment-là qu'il s'agissait de la solution finale, l'anéantissement des Juifs. Elle a croisé le Dr Adélaïde Hautval, elle-même internée comme « amie des Juifs », qui soignait sans relâche les tout-petits, dont certains ne connaissaient même pas leurs noms. Elle a aussi croisé les habitantes de Beaune, volontaires pour participer à la fouille des femmes internées. Mais d'autres ont été plus humains : Annette Monod obtient, sans le moindre ticket de rationnement, d'importantes quantités de pain d'épice des établissements Gringoire, de Pithiviers.

En  août 1944, lorsque la Gestapo quitte Paris, elle participe avec le consul de Suède, Raoul Nordling, à l'ouverture des camps et des prisons. Elle se porte volontaire pour Drancy. Aloïs Brunner, responsable du camp, est remplacé par Annette Monod, qui dort dans son lit et mange sa soupe et sa crème au chocolat. Du jeudi 17 au dimanche 19 août, alors que les Allemands sont encore dans Paris, il faut organiser la sortie des internés, trouver des cartes d'alimentation et des papiers pour chaque homme libéré. Elle travaille avec une équipe de quelques volontaires, aidée par les chefs d'escalier et les gendarmes.  Ce fut sa plus grande revanche et sa plus grande fierté. Elle se souvient d'avoir circulé dans un camion de la Croix-Rouge sur l'avenue des Champs Elysées vide et complétement silencieuse, et avoir déménagé le maximum d'archives de Drancy au siège de la Croix-Rouge, rue de Berry.    http://www.cedias.org/

Image result for annette monod-leiris

Annette Monod est révélée au grand public dans le film La Rafle de Roselyne Bosch (2009).

 

Interviewee: Annette Leiris
Datei nterview:  1999 September 14 
Language: French
Extent: 5 videocasettes (Betacam SP) : sound, color ; 1/2 in..
Credit Line: United States Holocaust Memorial Museum Collection, courtesy of the Jeff and Toby Herr Foundation
Oral History | Accession Number: 2001.5.2 | RG Number: RG-50.498.0002

https://collections.ushmm.org/search/catalog/irn508513

Mention légale :  Ce document est une transcription quasi-verbatim des 2 premières parties de l’interview d'Annette Monod-Leiris, réalisée par Beverlye Gedeon (UPenn ’21). Il ne peut en aucun cas être considéré comme source primaire.  L’exactitude de la transcription n’a pas été officiellement vérifiée. 

Vidéo 1

Annette : Vous ne trouvez plus beaucoup de témoins, la plupart des témoins sont morts.

Interviewer : Alors on va commencer par vous présenter… alors vous êtes, vous êtes née…

Annette : En 1909.

Interviewer : Oui.

Annette : Juillet 1909 à Saint Quentin dans l’Aisne, mon père était pasteur de Saint Quentin.

Interviewer : Et vous avez commencé à travailler à quel âge?

Annette : Et bien, comme tout le monde j’étais à l’école, et puis au lycée. Et j’ai commencé à travailler après le lycée. Je suis allée un an en Angleterre, parce que nos parents trouvaient que, entre les études de lycée et les études professionnelles, il fallait faire quelque chose d’autre. Et j’ai été en Angleterre à Alderley Edge pour enseigner le français dans une école anglaise, Western Chapel. Alors là, j’ai travaillé pendant un an, pour enseigner le français, pour la conversation française, puis après je suis revenue à Paris. Alors là.. euh... j’ai commencé mes études de service social, à l’école du Boulevard Montparnasse, jusqu’au diplôme d’État et après le diplôme d’État, j’ai eu un premier poste qui était à Ivry. J’étais résidente à Ivry. C’est une maison ouvrière, pour familles nombreuses, il y avait quelques 200 familles. J’étais chargée, avec une collègue, de la protection maternelle et infantile, des soins à domicile, de créer des activités dans cette maison ouvrière. Alors ça a été mon premier poste. Donc Ivry, j’étais résidente dans la maison ouvrière d’Ivry. J’aimais beaucoup, beaucoup mon travail, et puis voilà que la guerre arrive. Au début, les enfants de cette maison ouvrière ont été expédiés. On craignait toutes sortes de catastrophes, tout au début. Enfin c’était un petit peu branlant, alors là Madame Campinchi, m’a téléphoné, m’a convoquée au ministère de la Justice.

Interviewer : Alors, qui…qui…qui était Madame Campinchi?

Annette : Madame Campinchi, Hélène Campinchi, était la femme de César Campinchi. César Campinchi était le ministre de la Marine pendant la guerre. Et sa femme, Hélène Campinchi, était professeur de droit à l’école où j’ai fait mes études de service social. Elle avait diverses fonctions, elle secondait son mari au ministère de la Marine, et c’est elle qui m’a convoquée. Elle m’avait connue comme élève à l’école du service social. Elle avait la gentillesse d’avoir gardé un bon souvenir de moi. Elle m’a demandé d’entrer dans la Marine et de passer à Cherbourg pour créer un foyer de marins. Alors là, c’est la période Cherbourg, Marine.

Interviewer : Vous êtes restée combien de temps à Cherbourg?

Annette :  Et bien, depuis le début de la guerre jusqu’à l’arrivée des Allemands. J’ai donc créé, avec une collègue, un foyer pour les matelots. Ca allait très bien. Nous étions aidées par un quartier-maître et deux matelots, pour la petite besogne. Et nous avons demandé aux matelots qui ont commencé à venir dans cet accueil, ce qu’ils souhaitaient trouver dans le foyer, pour l’accueil le soir ou dans leur temps libre. Ils ont dit qu’ils voulaient une table à repasser et des fers à repasser. C’est la première chose qu’ils ont demandée. Parce qu’ils sont très stricts sur le plis de leur pantalon, les matelots, ils voulaient repasser aussi ce qu'ils appellent la chemisette, c’est le col bleu clair avec des galons blonds. Alors ils voulaient avant tout une table de repassage et puis faire du sport en chambre. Le sport en chambre, quand c’est la guerre [01:04:06 Inaudible] c’est le le ping-pong, il n’y avait que ça. Alors, ping-pong, table à repasser, diverses activités, et puis on leur servait des suppléments de nourriture très peu, qu’ils payaient très peu cher.  Nous avions au foyer de matelots les meilleurs qualités de conserves. On nous…nous avions droit aux conserves des sous-marins. Dans les sous-marins, on veut de la nourriture de peu de volume et sans déchet. Ce sont les meilleurs conserves qu’on réserve pour les sous-marins. Et nous avions droit aux vivres des sous-marins. Donc de très bonne qualité, qu’on revendait très peu cher aux matelots qui venaient passer le dimanche ou la soirée.

Interviewer : Et ces marins étaient de militaires?

Annette : Oui [01:04:46 Inaudible]  maritime qui avaient fait leur service militaire dans la Marine, et comme c’était  la guerre, ils étaient rappelés, leur port d’attache était Cherbourg. Ils étaient donc à  Cherbourg, ils venaient donc à Cherbourg à attendre les événements. 

Interviewer : Il n’y avait que des marins français

Annette : Oui.

Interviewer : dans ce foyer?

Annette : Ah oui, c’était le début de la guerre. Alors il y avait que des Français bien sûr. Qu’est-ce que[01:05:04 Inaudible], il y avait quelques Anglais, mais ils avaient leur propre foyer, ils n’avaient pas besoin de la marine française. Alors avec une collègue nous avons donc créé ce foyer de marins, place d’Yvette à Cherbourg, qui a été très fréquenté, les matelots venaient très volontiers, trouvé une bibliothèque, trouvé un accueil, trouvé des suppléments de nourriture, trouvé la possibilité, si l’un d’eux avait des talents, de se montrer, de faire une petite représentation pour leurs camarades. Et nous, nous trouvions aussi de quoi animer, nous avons demandé à monsieur Levavasseur, qui était l’architecte de la garde maritime, de venir faire un exposé sur Cherbourg ancien. On tâchait de trouver des choses intéressantes pour…pour les matelots.

Interviewer: Vous habitiez sur place?

Annette: J’habitais Cherbourg, pas dans le foyer, non. J’habitais Cherbourg et je venais au foyer, j’assurais le service du foyer, à l’accueil du foyer. Pour les matelots qui venaient, qui avaient trouvé là un endroit d’accueil, où il y avait du papier à lettre avec entête de la marine, des enveloppes, de la chaleur, la possibilité des subvent…nourriture pas chère, de se distraire entre eux comme ils voulaient. Alors ça allait très bien, moi je faisais  pas grand chose, ils s’organisaient entre eux. J’écoutais ceux qui avaient des choses à demander, puis créais une bibliothèque enfin, toutes une animation de foyer, ça marchait très bien. Et puis, l’arrivée des Allemands. Alors là, on nous a dit à l’arsenal, j’ai demandé à l’arsenal, on nous a dit, il faut quitter Cherbourg parce que ça va être dangereux, ça va bombarder. Vous imaginez la carte géographique de Cherbourg : on vous dit allez-vous en. Au nord, c’est la mer à droite et à gauche. Alors allez vous en, où aller? Au sud c’est le siège des Allemands arrivés, au nord c’était la mer,  que faire? Nous sommes allés au nord quand même, une de mes sœurs qui était venue me tenir compagnie. Alors, nous sommes allées depuis Cherbourg vers le nord et la première ville c’est Martinvast. Martinvast possédait un château qui était le château du comte et de la comtesse de Pourtalès,à Martinvast. Je les connaissais parce que je suis protestante, eux aussi venaient au temple le dimanche, je les ai connus comme ça. Ils avaient le château de Martinvast, et ils nous avaient dit s’il y a un incident, venez vous réfugier au château de Martinvast. Alors bon, nous partons ma sœur et moi depuis Cherbourg, jusqu’à Martinvast. Ca a été terrible, il y avait des bombardements, l’arrivée des Allemands, sur un pont, un camion plein d’Anglais complètement grillés, noirs, grillés. Parce qu’un fil à haute tension était tombé sur le camion et avait grillé tout le monde. Enfin. Nous arrivons en ville, au château de Martinvast, un fossé dans lequel il y avait des Allemands qui nous ont fait signe de nous asseoir avec eux. Et nous avons pensé que peut-être ils allaient nous tuer, mais  on a vu tellement de choses que ça ne nous troublait pas du tout. Alors ils nous ont invitées pour parler entre eux et nous, ils nous ont relâchées, nous sommes allées à Martinvast, au château qui était là tout près. Personne dans les salles, nous sommes descendues au sous-sol. Le comte de Pourtalès était Maire de Martinvast depuis cinquante ans. Alors, tous les gens de Martinvast, à chaque fois qu’ils avaient un peu de peine, venaient trouver monsieur le Maire pour avoir de l’aide. Et ce jour-là, tout le village était venu, dans les souterrains du château de Martinvast. Ma sœur et moi ne trouvant personne dans le château, nous sommes allées dans les sous-sols. Alors là on a trouvé… nous étions sales, fatiguées, vous imaginez. Nous avons trouvé le comte de Pourtalès et sa femme, et leur fille en train de prendre le café noblement servi par leur valet. Et nous -sales, transpirantes, bouleversées- on nous fait asseoir dignement et on nous sert le café, ou du thé. Et tous les paysans étaient là sur euh… par terre, sous la protection de monsieur le Comte. Du moment que Monsieur le comte était là, on était protégé contre tout. Alors la comtesse de Pourtalès, supportait moins bien que son mari, elle gémissait: “Hubert, Hubert encore un coup de canon” . Alors Hubert : “Ma chère amie, vous avez 70 coups de canons pour vos…non, 101 coups de canons pour vos 70 ans comme les personnes de sang royal et vous osez vous plaindre.” Elle n’a eu qu’à se taire. Alors leur fille, la comtesse d’Hauteville était là aussi. Il y avait donc tous les trois. Dès que c’était possible, on est sorti des abris, nous sommes rentrés dans le château. Nous étions dans la salle de séjour la comtesse, la jeune comtesse d’Hauteville et ma sœur et moi. Nous voyons un officier allemand galonné, qui traverse le parc et qui vient jusqu’au salon où nous étions. Il avait un revolver et une brosse à dent. Il est allé jusqu’au mur du château, en-dessous du salon où nous étions, il a ouvert le robinet, il s’est lavé les dents,  lavé la figure et puis après, toujours avec son revolver, il est entré dans le salon, et nous dit : “Ben voilà, c’est nous qui occupons maintenant , ce sera notre état-général, notre quartier général, on va organiser les choses, nous vous demandons de préparer pour nos officiers seize chambres demain, vous allez aménager…seize chambres pour nos officiers.”  On était occupé. Enfin si voulez...  enfin tout le monde raconte... si vous voulez des détails... Bref, nous sommes restées, ma sœur et moi, tant qu’il n’y avait pas de trajet pour Paris, nous sommes restées dans la mouvance de Cherbourg, à Martinvast. Mais nous n’avons pas pu partir tout de suite. Parce qu’il y avait pas de trains, nous sommes restées là un bout de temps, très agréablement d’ailleurs dans ce château.

Interviewer: Avec les officiers Allemands?

Annette: Oui, nous, nous avions ce qu’on avait bien voulu nous laisser, ils étaient vainqueurs, qu’est-ce que vous voulez ? Tout ça s’est passé correctement. Toujours. Et même si vous voulez une petite histoire drôle : ma sœur et moi nous nous promenions dans le parc, et nous voyons dans un étang de très beaux nénuphars. Ma sœur : “Oh ! je voudrais bien en avoir ! ” Elle avance, elle essaye de cueillir un nénuphar, mais elle était obligée d’entrer dans l’eau, elle avait pas de quoi. Sort d’un buisson qui était là, l’officier allemand avec beaucoup de galons, il avait des bottes, il est entré dans l’étang, il a cueilli des nénuphars et les a offerts à ma sœur. Je ne sais pas si vous imaginez ce que c’était, ma sœur était rouge, comme jamais je ne l’ai vue, elle ne savait plus que faire. Refuser cette fleur qu’un officier lui offrait, c’était difficile, mais l’officier,  c’est un Allemand. Jamais je n’ai vu ma sœur aussi rouge de toute ma vie. Enfin elle était obligée d’accepter ce nénuphar donné par un officier allemand. Que voulez vous ? On était obligé de vivre avec eux. Alors après, le temps a passé, nous avons pu regagner Paris, ma sœur et moi, au bout d’un mois, il y a eu des transports, et alors là j’ai été embauchée par la Croix-Rouge, ça a été le commencement mon activité de guerre. 

Interviewer: Auparavant vous dépendiez de quelle administration?

Annette: Je dépendais d’une œuvre tout à fait privée, j’étais donc assistante sociale à Ivry, faisant la PMI, habitant à Ivry, c’est une œuvre privée, tout à fait. D’ailleurs très très peu payée.

Interviewer: Une œuvre protestante, ou?

Annette: Non…non…non, ça dépendait d’une noble dame qui s’appelait la princesse de Poix. C’était une œuvre fondée parait-il par Marie Antoinette, pour protéger les mères et les bébés.  C’était très peu payé mais du travail très intéressant, œuvre privée tout à fait. Que j’ai quittée quand il y a eu la guerre et donc me suis engagée dans la Marine. Donc me voilà revenue à Paris, après avoir quitté Cherbourg. Evidemment le foyer de Marine n’existait plus et je regagnais Paris, j’allais pas rester à Cherbourg, le foyer… Alors là, je suis allée à la Croix-Rouge, et on m’a embauchée d’abord pour des services d’urgence, en particulier à Compiègne. Vous êtes beaucoup trop jeune pour savoir, mais il y avait ce qu’on appelait, la zone Nord et la zone Sud, la zone interdite. Il y a des gens qui étaient partis se réfugier depuis Tergnier, depuis Noyons, depuis le nord de la France, qui étaient allés se réfugier plus au sud. Et quand ils voulurent rentrer chez eux, plus moyen : c’était une zone interdite. Alors à Compiègne, où ils étaient bloqués, on a créé un foyer, un dortoir, quoi, pour aider ceux qui étaient là en panne, pour trouver une solution et les rapatrier.

Interviewer: Des réfugiés ?

Annette: Des Français qui avaient été réfugiés, qui voulaient rentrer chez eux, qui ne pouvaient pas, alors on a fait un foyer d’accueil dans la gare de Compiègne …je vous passe les détails. Et aussi nous devions ravitailler les trains de prisonniers de guerre qui partaient. Alors là oui, pendant cet instant j’ai collaboré, c’est-à-dire que quand je suis arrivée à Compiègne avec une collègue, on nous a dit c’est la NSV -Nationalsozialistische Volkswohlfahrt- qui a créé un foyer d’accueil pour les gens qui passaient et pour les trains. Les gens qui étaient bloqués dans les trains, c’est la NSV qui faisait le service avec une roulante et deux prisonniers de guerre. Et la NSV -Nationalsozialistische Volkswohlfahrt- c’est donc l’organisation d’aide allemande. 

[appel téléphonique]

J’ai collaboré avec la NSV, parce que, ils s’occupaient très bien des réfugiés qui passaient par Compiègne. Mais la Croix-Rouge m’a dit : “Allez trouver la direction de la NSV, et dites que maintenant nous sommes là, on n’a plus besoin d’eux.” Parce que c’est l’époque où on disait ‘’Population abandonnée, faites confiance aux soldats allemands”. Alors la Croix-Rouge m’a dit, nous ne voulons plus que la NSV s’occupe de ça, allez dire à la NSV, nous Croix-Rouge, nous sommes là et on vous remplace. Ce qui s’est fait, alors je suis allée à la NSV,  j’ai vu un personnage, qui avait un nom ronflant, il s’appelait Reich Master von Thurn und Taxis, rien que ça. Alors c’est c’est lui que j’ai vu, j’ai dit, “ben voilà, nous sommes la Croix-Rouge, alors vous NSV…” alors il a parfaitement compris, et même pendant un certain temps il assurait, pour l’équipe que nous étions, il assurait le service tous les jours, comme pour la NSV, une roulante de café, une roulante de bouillon, pour approvisionner les trains de prisonniers de guerre qui défilaient- à et que nous tâchions d’aider. La NSV est partie et nous, Croix-Rouge,  nous avons remplacé et fait le service d’urgence à Compiègne, jusqu’à ce que…

Interviewer: Est-ce qu’il y avait déjà un camp à Compiègne ?

Annette: Non. Il y avait des prisonniers de guerre, oui,  le camp des prisonniers de guerre, caserne Jeanne D’arc. Évidemment Compiègne Jeanne D’Arc,  vous voyez pourquoi il ils étaient là. Donc c’était la caserne Jeanne D’Arc, c’était un camp de prisonniers de guerre, de Français prisonniers de guerre. Tous les jours, on nous donnait deux soldats pour nous aider, deux prisonniers pour nous aider. Comme par hasard, ils s’évadaient. On nous en donnait deux autres. Il faut dire que tout tout au début de la guerre, les Allemands avaient trop de prisonniers militaires. Ils ne savaient qu’en faire, alors on s’évadait ou on s’en allait assez facilement. On nous donnait donc, tous les jours, deux hommes pour nous aider. Tous les jours ils disparaissaient, on nous en donnait deux autres sans problème. Alors là, ça a duré  un temps, puis, on est arrivé à rapatrier tout le monde, à vider ce centre d’accueil. Là je suis retournée à Paris et puis assez vite, il y eut la question d’arrestation des Juifs. Ca a été… la date je ne sais plus, bon enfin, un beau jour Pucheu, qui était ministre de l’Intérieur, a décidé d’arrêter les Juifs étrangers qui étaient à St-Gervais dans, ce qu’on appelait à l’époque, le ghetto de Paris, dans le quartier de la rue des Rosiers. C’était des Juifs étrangers dont certains, la plupart, ne savait pas le français, et certains ne savaient que le yiddish, même pas le polonais. Ils étaient presque tous polonais. Enfin, c’était tout à fait le ghetto. Et j’avoue que nous, nous comprenions un peu que, en temps de guerre, on arrête des étrangers qui n’avaient aucune attache raisonnable. D’ailleurs on avait arrêté les femmes anglaises, c’était pas seulement…évidemment, quand la guerre éclate il y a toute sorte de mesures à prendre. Dans les mesures, on avait arrêté, tous les étrangers séjournant à Paris ou en région, y compris les femmes anglaises. En fait ça, ça ne nous concerne pas, c’est les Juifs. Donc on arrête les Juifs étrangers et Pucheu ordonne l’arrestation, en même temps, il dit à la Croix-Rouge : ‘’Je les ai fait arrêter, mais je serai d’accord pour que deux assistantes sociales aillent les aider dans les camps”. Voilà, il les arrête, et il dit : “ Venez les faire aider.”  À la Croix-Rouge, on nous dit ça. On nous dit : “Est-ce qu’il y a des volontaires pour aller dans les camps que Pucheu vient de créer ?” Alors, j’ai levé la main, j’ai dit : “Je suis volontaire”. 

Interviewer: Vous étiez à Paris à ce moment-là?

Annette: J’étais à Paris, Croix-Rouge.

Interviewer: Et vous vous souvenez à quel moment c’était? C’était longtemps après ? Peu de temps après? 

Annette: Attendez! C’est donc l’arrestation des Juifs étrangers, c’était en 41 ou 42, je ne sais plus.

Interviewer: Je crois que vous m’aviez dit mai 1941.

Annette: Comment?

Interviewer: Mai 41.

Annette: Mai 41, voilà! Mai 41…

Interviewer: Donc la première grande rafle de Juifs étrangers.

Annette: Une rafle pas très grande. Non. Uniquement les Juifs étrangers de la rue des Rosiers. Du quartier juif tout à fait. Alors là, oui mai 41, vous avez raison. Une collègue et moi, Yvonne Cochet et moi, nous avons été volontaires. Nous sommes parties toutes les deux pour le Loiret. Moi pour Beaune, elle pour Pithiviers. Elle, très généreuse et très chic, à tout de suite fait un rapport contre le gestionnaire du camp de Pithiviers en disant qu’il faisait des magouilles. Alors elle a eu le tort de faire ça par écrit, elle a été renvoyée. Et moi…

Interviewer: C’est elle qui avait raison?

Annette: Oui, mais elle avait tort de le dire par écrit. Il fallait…il faut jamais écrire, il faut dire oralement les choses. Elle a eu le tort de le mettre par écrit. Alors elle a été renvoyée. Et moi je restais toute seule, mais enfin je suis restée. Alors là, j’ai démarré les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, comme assistante sociale. Et la première chose qui m’a frappée, de nécessité, dans le camps, n’est-ce pas quand on…vous êtes dans un camp, il faut regarder autour de vous qu’est-ce qu’il y  a à faire. J’ai regardé autour de moi et je me suis rendu compte, la première vraie préoccupation, c’était la question casher, la question de nourriture casher. Certains de ces hommes qui, je le répète, étaient étrangers -polonais pour la plupart et très peu francisés - ne voulaient pas manger parce que la nourriture n’était pas casher. Certainement vous savez ce que c’est. Même les marmites étaient impures puisqu’un jour, il y avait un mélange de viande et de… enfin. Moi je trouvais ça un tantinet ridicule, je leur ai dit : “Ecoutez, en temps de guerre, mangez le peu qu’on vous donne. “ Il n’y avait rien à faire.

Interviewer: Mais vous connaissiez les rites alimentaires avant la guerre?

Annette: Non, j’ ai appris, comme ça, par hasard, pas plus que les autres.

Interviewer: Vous n’aviez pas été en contact avec des familles juives, dans votre travail auparavant?

Annette: Non. Très peu, dans ma maison, j’ai vu qu’une seule famille juive, on n’y pensait pas , c’était pas  du tout…

Interviewer: Excusez moi, il n’y avait que des hommes dans ce camp?

Annette: Oui. Hommes étrangers. Et la plupart polonais et certains ne sachant même pas le polonais, parlant uniquement yiddish, très attachés aux traditions. Alors j’ai vu que la chose importante pour eux à cette époque, c’était la nourriture cacher, qu’ils refusaient de manger parce que la nourriture n’était pas cacher. Je leur ai dit vous êtes un peu ridicules. Mais il y a eu un incident, certains de ces Juifs sont tombés gravement malades par manque de nourriture. Ils ont été hospitalisés, à l’hôpital de Beaune-la-Rolande, où je logeais. Une sœur dirigeait l’hôpital. La sœur s’est fait expliquer par les Juifs tombés malade d’inanition pourquoi leur nourriture cacher.  Elle a compris, elle s’est fait expliquer par les Juifs comment il fallait faire la nourriture cacher, elle a acheté des casseroles neuves et elle a fait très honnêtement de la nourriture cacher, pour que ces Juifs étrangers puissent manger. Je trouve que c’était rudement pas mal. En temps de guerre, une religieuse catholique, bien sûr, qui fait en toute bonne foi, en tous les détails, de la nourriture cacher pour nourrir les Juifs étrangers. Je me suis dit que j’avais rien compris, en leur disant qu’il fallait manger, il fallait au contraire changer des choses. Alors puisque j’étais convaincue, j’ai vu la direction. C’était la Gendarmerie. J’ai beaucoup aimé travailler avec les gendarmes de la Gendarmerie, beaucoup plus qu’avec les quelques officiers de la PJ. Avec les gendarmes, on s’entendait très bien. Donc,  je vois le gendarme en chef et je lui ai dit : “Voilà, il faut trouver une solution. Il y en a une, c’est de donner à ceux qui sont pratiquants leur nourriture crue. La Croix-Rouge fera don d’une grande marmite et d’une grande bassine…enfin bon… une lessiveuse et une grande marmite. Ils feront eux-même leur nourriture cacher. Vous, Direction, leur donnerez leurs vivres crues, ils feront eux mêmes leur nourriture.” Comme ça, ils ont mangé. Et puis, après, je me suis occupée aussi des questions religieuses. Ils voulaient fêter leurs fêtes de fin d’année, et je suis allée voir le grand Rabbin, à Paris, pour obtenir… qu’on leur donne le nécessaire pour fêter leurs fêtes. Je me suis rendu compte que, pour qu’ils tiennent moralement, ils devaient célébrer leur culte. Alors bon, je les ai aidés à installer le culte juif dans le camp. Moi protestante et française, j’installe…

Interviewer: Ça, c’était à Beaune-la-Rolande?

Annette: À Beaune-la-Rolande et Drancy,  la même façon des deux côtés. 

Interviewer: Donc, entre mai 1941…

[Fin de l’enregistrement 1]

Vidéo 2

Annette: Donc mon premier travail dans le camp, ça a été d’établir la possibilité du culte juif, et pour les fêtes de Kippour, en particulier. Et qu’ils puissent avoir leur nourriture spéciale, enfin je rentrerai pas dans les détails. Mais je me suis lancée pour aider les Juifs à célébrer leur culte. 

Interviewer: Est-ce que vous vous souvenez plus précisément de votre visite au grand Rabbin à Paris? Vous avez des souvenirs? 

Annette: Oui, pas très…comment s’appelait-il? C’était rue de la Victoire… j’ai oublié son nom. Enfin, je l’ai vu, il fallait fournir le nécessaire pour les fêtes de Kippour, et  je ne devais pas moi le transporter. Puisque non juive, je ne devais pas y toucher. Alors il fallait obtenir du grand Rabbin, qu’il délègue des Juifs, pour aller jusqu’à la gare de Pithiviers et de Beaune, pour recevoir des gendarmes de Pithiviers et Beaune, des objets de culte -des gendarmes qui se faisaient accompagner par des Juifs. Alors, des gendarmes accompagnés de Juifs à la gare de Pithiviers et de Beaune, pour recevoir de la part du grand Rabbin, les affaires nécessaires pour leur culte en septembre, pour les fêtes de Kippour. Bon, ça c’était ma première activité, puis ma deuxième activité, ça a été ce que j’appelle là, les cas particuliers. Recevoir les hommes dans un baraquement mis à ma disposition, pour faire l’étude de cas de chacun, et demander à Paris, à la Croix-Rouge, ou aux oeuvres, d’aider matériellement telle ou telle personne qui en avait besoin, n’est-ce pas, liaison de famille à famille. Alors, tout ça, ça marchait pas mal. Et puis voilà que…euh…l’arrestation des Juifs français. Donc, ça c’est… attendez...à quelle date l’arrestation des Juifs français ? Ce qu’on appelait les avocats du seizième. Enfin, ça a été la création de Drancy, ça devait être octobre 41.

Interviewer: …1941

Annette: J’étais mutée..

Interviewer: Alors on va rester…

Annette: J’étais à Beaune-la-Rolande, j’étais mutée à Drancy. 

Interviewer: Est-ce que vous avez des souvenirs plus précis sur les conditions de vie à Beaune-la-Rolande. 

Annette: Oui, bien sûr.

Interviewer: Vous pouvez nous en parler un petit peu ?

Annette: Les hommes étaient dans des baraquements avec euh…couchettes, évidemment avec couvertures. Uniquement des baraquements, très peu de conditions d’hygiène. Dehors, des lavabos, vous savez les demi-cylindres en zinc avec des robinets d’eau froide. Ils pouvaient donc se laver à l’eau froide, ils étaient aussi propres que possible. La nourriture, c’était évidemment médiocre, mais enfin, on ne mourait pas de faim. Et au moment des fêtes de Kippour, les oeuvres juives de Paris…comment elles s’appelaient ? La colonie scolaire rue Amelot etc.  ont fourni les vivres spéciaux dont on a besoin pour fêter les fêtes de fin d’année. Alors, avec un peu de ravitaillement venant du dehors des oeuvres juives, un peu de ravitaillement venant de la Croix-Rouge, ce qui fait que, avec le nécessaire de la cuisine du camp tous les jours, c’était juste mais enfin, on ne mourait pas de faim. Il y avait juste le minimum, mais on ne mourait pas de faim. 

Interviewer: Et vous habitiez où, vous ? Vous habitez…

Annette: J’habitais l’hôpital de Beaune-la-Rolande, où j’avais une chambre. Et je venais tous les jours au camp, soit à Pithiviers, soit à Beaune-la-Rolande tous les jours. Je passais ma journée dans le camp…

Interviewer: Vous preniez le train? Où?

Annette: Non, il n’y en avait pas. Il y avait à pied, entre Pithiviers et Beaune, et quelques fois des occasions de voiture, mais le plus souvent à pied. J’étais jeune vigoureuse, très bonne marcheuse, je faisais Pithiviers-Beaune allègrement.

Interviewer: Et vous aviez un baraquement comme bureau pour le centre social dans les camps?

Annette: Oui. Quand je suis arrivée, je suis entrée dans les baraquements, j’étais encore toute jeune. J’avoue que j’étais un peu impressionnée par tous ces hommes qui étaient à moitié nus, qui étaient…qui m’ont paru très velus, très foncés. J’étais un petit peu mal à l’aise. Je me suis dit que c’était pas ma place d’aller dans les baraquements. Donc, je ne suis jamais allée dans les baraquements. J’ai demandé au capitaine de la Gendarmerie qui commandait le camp, de m’affecter un baraquement pour moi, comme un bureau. Et aussi deux secrétaires qui connaissaient la langue, le yiddish et le polonais, parce que je ne sais ni le yiddish ni le polonais. Et la plupart des hommes qui étaient là ne savaient pas le français, alors il me fallait un interprète. J’en ai eu deux: Goldberg et Goldstein, je disais “ce sont mes hommes en or” qui m’aidaient beaucoup, qui faisaient la navette entre le camp et mon baraquement, qui accompagnaient les hommes et puis faisaient l’interprète. Comme je ne sais pas le yiddish.

Interviewer: C’étaient des détenus?

Annette: Des détenus oui, internés, on ne disait pas détenus en ce temps là, on disait internés.

Interviewer: C’étaient des hommes jeunes ou plus âgés?

Annette: Ah oui, jeunes et qui ont été très bien, qui m’ont beaucoup aidée. J’aurais pas pu naviguer sans eux. C’est pas…par hasard dans les baraquements…puis quoi. Je pouvais pas. Alors, eux faisaient la navette et m’ont beaucoup, beaucoup aidée. Puis après est arrivé Drancy, j’étais mutée de Pithiviers-Beaune-la-Rolande à Drancy où je me suis installée. Alors à Pithiviers, il y avait mademoiselle Roland, qui était une assistante sociale, qui habitait à Pithiviers et qui m’a succédé pour Pithiviers et Beaune.

Interviewer: Vous vous souvenez des autres personnes qui…des autres organismes qui travaillaient dans les camps?

Annette: Il y avait les délégués de la colonie scolaire rue Amelot, M. Rapoport.

Interviewer: Alors ça, c’était un organisme juif?

Annette: Oui. 

Interviewer: Il y avait un organisme protestant?

Annette: Non. 

Interviewer: Il y avait que la Croix-Rouge?

Annette: Il y avait que la Croix-Rouge. Alors quand est arrivé Pithi…euh…Drancy. J’ai été mutée du Loiret à Drancy. Et dans le Loiret, c’est mademoiselle Rolland, qui habitait Pithiviers, qui a été nommée assistante sociale pour Pithiviers et Beaune.

Interviewer: Donc une dame de la Croix-Rouge.

Annette: une dame de…

Interviewer: Enfin, euh… une assistante sociale.

Annette: Une assistante sociale de la Croix-Rouge, mademoiselle Roland, qui était de Pithiviers, qui m’a remplacée quand moi j’ai été mutée à Drancy.

Interviewer: Est-ce qu’il y avait des infirmières aussi dans le…qui travaillaient avec vous? 

Annette: Non…

Interviewer: Comment est-ce qu’on réglait les problèmes médicaux?

Annette: Il y avait un médecin à Pithiviers, qui faisait Pithiviers et Beaune, j’ai oublié son nom. Il était, très, très, très bien. Il a soigné admirablement les Juifs, faisant hospitaliser à l’hôpital des sœurs le plus grand nombre possible, et les soignant très bien. J’ai oublié son nom, c’est dommage. Après il s’était illustré dans la Résistance.

Interviewer: Est-ce qu’il y a avait des visites des familles? 

Annette: Oui, il y avait des visites de famille et, tenez vous bien, il y avait même des permissions et les gens revenaient. Ils se doutaient pas de la tournure que ça prendrait.

Interviewer: C’est incroyable! 

Annette: Oui, le capitaine Cucua [?], qui commandait le camp, en tant que capitaine de la Croix-Rouge, donnait les permissions, pour les hommes pour des raisons de famille. Et ils revenaient, je veux dire ces imbéciles, ils se doutaient absolument pas de la tournure des choses. 

Interviewer: Quelles étaient leurs activités quotidienne à ces détenus? 

Annette: Dans le camp, la propreté du camp, mais c’est tout. 

Interviewer: C’est tout, il y avait pas des activités comme vous les avez décrites pour les foyers marins?

Annette:  Beaucoup moins, n’est-ce pas…oui je les avais vus créer une bibliothèque, avec une petite cantine au moment des fêtes pour avoir les nourritures voulues, vous savez comment ça s’appelle, des max…ce que je sais. Alors… donc, on ne pouvait pas avoir de grandes activités, il n’y avait pas beaucoup de possibilités. Et puis assez vite, il y a eu donc la création du camp de Drancy. Alors là, c’était les Juifs étrangers (sic), on a dit que c’était les avocats du 16ème. Me voilà donc mutée à Drancy. Comme à Pithiviers et Beaune, j’ai voulu créer une petite étude pour tout le monde pour faire mon bureau. Alors là c’était, euh…moi, petite assistante sociale, sans le moindre galon, j’avais pour adjoint, un conseiller d’État, conseiller de la Cour de cassation, enfin des personnages extrêmement plus calés, calés que moi. Et c’était moi qui devais organiser ça.

Interviewer: Et ça c’était des Juifs français?

Annette: Oui, c’était les Juifs français, en particulier les avocats, un grand nombre d’avocats.

Interviewer: Vous avez des souvenirs de personnes en particulier, des noms.

Annette: Oui. Il y avait Pierre Masse qui était conseiller d’État, il y avait Crémieux qui était un avocat, il y avait François Lyon-Caen qui était avocat à la Cour de cassation. Là,  je fais un détail, François Lyon-Caen était déporté et n’est pas revenu, il avait un fils Pierre, qui avait 3 ans, quand son père a été déporté. Et je suis toujours restée en relation avec eux, et Pierre Lyon-Caen avait donc 3 ans et il ne se souvient pas de son père, mais moi je faisais [02:08:44 Inaudible] son père que j’avais eu comme secrétaire, je suis restée en relation avec Pierre Lyon-Caen, j’étais toujours en relation avec Pierre Lyon-Caen et sa femme et sa famille. C’est devenu un ami pour moi. J’ai donc connu son père, et lui il se souvient pas, il n’avait que 3 ans, alors il aime que je lui parle de son père. Donc je suis un peu de la famille. Ce joli passé et le mettre en publique, [?] peut-être pas. Parce que, François Lyon-Caen exerce… Pierre Lyon-Caen… je crois qu’il vaut mieux ne pas mettre cette partie-là. Parce que je n’ai pas demandé à Pierre Lyon-Caen le droit de raconter ça. Je pense  qu’il vaut mieux … d’accord? Vous éviterez ce passage là.

Interviewer: Très bien. 

Annette: Entendu?

Interviewer: Oui.

Annette: Parce que, Pierre pourrait me dire, de quel droit?

Interviewer: Alors, quels euh… de quels autres avocats vous avez le souvenir à ce moment là?

Annette: De Crémieux, et de…voyons…il y en a qui était dans le théâtre…vous savez j’oublie, hein… j’ai 90 ans.

Interviewer : C’est pas grave, hein…Donc vous avez le souvenir d’autres détenus à ce moment là?

Annette: Mon bureau était fait essentiellement d’avocats et d’industriels, il y avait un chef d’entreprise, enfin…c’était assez curieux, moi j’étais une petite assistante sans beaucoup de diplômes. J’étais aidée par des gens beaucoup plus compétents que moi. Malheureusement ça n’a pas duré, j’ai été renvoyée. On m’a [02:10:13 Inaudible] pour excès d’activité. 

Interviewer: Pour excès d’activité, ça veut dire quoi?

Annette: Oui. C’est vrai, j’avais passé des lettres, j’avais été…j’avais fait plus que ce qui m’était demandé, j’ai été renvoyée.

Interviewer: Renvoyée par le…les gens.

Annette: Par la direction du camp, par la PJ, qui était sous entendu par les Allemands bien sûr. 

Interviewer: Mais c’était les Français qui gardaient le camp  à ce moment là.

Annette: Oui oui.

Interviewer: Est-ce qu’il y avait des Allemands?

Annette: La police judiciaire. Avec les gendarmes de Beaune-la-Rolande, je m’entendais très bien. Avec la PJ de Pithiv…Avec la PJ de Drancy, moins bien. 

Interviewer: Et il y avait pas de gendarmes à Drancy?

Annette: Oui. Avec les gendarmes quelques fois il me passait des choses et j’aidais, avec la PJ je n’ai pas eu un bon contact avec la PJ. Alors…

Interviewer: Excusez moi. Il n’y avait que des hommes à Drancy à ce moment-là?

Annette: Uniquement des hommes. Français.

Interviewer: …des Français. 

Annette: Des hommes français.

Interviewer: Donc là, votre opinion a commencé a… a changé, puisqu’en fait, euh…

Annette: J’ai vu que ça prenait une mauvaise tournure. Jusqu’alors, des étrangers, pas en règle…c’était admissible. Mais alors là, j’ai vu la tournure que ça prenait, je ne me doutais pas, là j’ai vu, j’étais effrayée. 

Interviewer: Et vous avez…

Annette: J’ai aidé au maximum, trop évidemment puisque j’ai été renvoyée.

Interviewer: C’était quand que  vous avez été renvoyée?

Annette: Voyons, j’ai commencé en décembre quand le camp a été créé et j’ai été jusqu’au printemps suivant. Quelle date ? Je ne sais plus. Au mois de mai, à peu près. 

Interviewer: Est-ce qu’il y avait déjà eu des déportations?

Annette: Non

Interviewer: Non. C’était avant…

Annette: Il y avait des exécutions.

Interviewer: Des exécutions?

Annette: Oui. Quand il y avait un Allemand tué dans la rue, on prenait des otages à Drancy. 

Interviewer: Vous avez un souvenir précis de…

Annette: Oui. Je me souviens d’un homme, je l’ai reçu, il dirigeait une affaire de pompes funèbres. Et il me fait…m’a donné un petit calendrier, en septembre, en disant c’est les fêtes juives et de toute l’année, je vous donne le calendrier. Schneberg [?]qu’il s’appelait. Et alors profitez en. Il voulait que je fasse une publicité pour sa maison Schneberg de pompes funèbres. Je lui ai dit, “Ben écoutez, d’abord, je n’ai pas envie de mourir, ensuite, je ne suis pas juive, vous savez”. Il a eu un petit sourire. Bref, je souriais un peu, c’était pas très charitable. Et voilà que, le lendemain… le surlendemain, il y avait un Allemand tué dans les rues, on a pris des otages, dont Schneiberg  qui est parti courageusement, vaillamment, en traînant les autres. J’ai eu honte d’avoir porté un jugement un peu hâtif sur lui.

Interviewer: On les exécutait à Drancy même ou… ?

Annette: Non non, on les emmenait au Mont Valérien. 

Interviewer: Vous avez le souvenir des départs de ces… de ces otages?

Annette: Ah non! J’étais pas là toujours n’est-ce pas. [02:12:57 Inaudible] la PJ ou autre les emmenait. Je ne les voyais pas partir. Mais c’était, si vous voulez, ils disaient entre eux, “le poulailler est fermé, on vient prendre une poule le jour du marché.”

Interviewer: C’est ce qu’ils disaient?

Annette: Oui, c’est ce que les Juifs disaient. Qu’y faire? Donc j’étais renvoyée…

Interviewer:   Attendez…et vous avez des…vous pouvez nous décrire Drancy à cette époque?

Annette: Drancy à cette époque…

Interviewer: C’était curieux comme camp.

Annette: Oui. C’était des escaliers, des escaliers menant à des étages non terminés, en particulier pas de revêtement de sol, n’est-ce pas, des aspérités, des briques qui sortaient, je ne sais pas trop quoi. Alors des escaliers, un chef d’escalier et des internés répartis dans diverses chambres. J’y suis allée le jour de mon arrivée, après je me suis dit, ”C’est pas ma place”. D’abord, je peux pas aller les voir dans les chambrées, c’est impossible. Ensuite, ils sont trop nombreux, il faut que j’organise un bureau. Alors, je ne suis plus jamais allée dans les escaliers, il y avait des chefs d’escaliers, qui représentaient tous les internés de leur étage. Et c’est eux qui venaient me dire “Il faut voir un tel, un tel ou un tel”. C’est eux qui triaient ceux qui venaient me voir. Euh, les chefs, c’était les chefs d’escaliers, par escalier.

Interviewer: Et là, vous étiez seule à travailler? 

Annette: Avec l’aide de mes adjoints, qui étaient des avocats. Moi, simple petite diplômée d’État, j’avais des avocats à la Cour de cassation et autres, pour m’aider comme secrétaires. 

Interviewer: Et, est-ce qu’iI y avait d’autres…d’autres organismes qui aidaient?

Annette: Du dehors, oui. En particulier au moment des fêtes, du ravitaillement d’aide.

Interviewer: Donc le même que…que vous avez cité avant, le…

Annette: C’est ça. 

Interviewer: Le comité Amelot…

Annette: La colonie scolaire de la rue Amelot, en particulier. C’est ce qui a aidé le plus. 

Interviewer: Et sinon, il y avait la Croix-Rouge et c’est tout?

Annette: Oui. La Croix-Rouge, et puis quelques œuvres juives.

Interviewer: Alors là, je repose la même question. Est-ce qu’il y avait des visites? Est-ce qu’il y avait…

Annette: Non. Mais il y avait, n’est-ce pas, les hommes…dits les avocats et gens du 16ème. Une de leur peine, c’était de ne pas pouvoir avoir de chemises propres et un col propre. Ils lavaient à l’eau froide dans leur lavabo, mais prétendaient qu’on ne pouvait pas avoir un col de chemise parfaitement propre, si on lavait à l’eau froide dans un lavabo. Ils en souffraient. Alors avec l’aide de la Croix-Rouge, les détails ce serait trop. On organisait un change de linge, un camion qui venait Place Jean-Jaurès, deux fois par semaine, les hommes donnaient leur part de linge sale, les femmes venaient Place Jean-Jaurès prenaient les paquets de linge sale, donnaient des colis, parce qu’ils avaient droit au colis, et remportaient le linge qu’elles lavaient et qu’elles apportaient le jour suivant. Il y avait deux ou trois jours de permanence Place Jean-Jaurès, avec des camions de la Croix-Rouge et moi.

Interviewer: Et c’était…c’était les femmes des détenus?

Annette: Oui. Les femmes des internés...on ne disait pas détenus, on disait internés. Les femmes des internés nous apportaient des colis et le linge propre et prenaient le linge sale. 

Interviewer: Et vous avez des souvenirs de ces femmes?

Annette: Oh! Des femmes… un grand nombre de femmes qui venaient pour ça…non. Une foule qu’est ce-que vous voulez, des…des femmes qui venaient en quantité, elles prenaient leur colis et elles en apportaient d’autres. Non je ne peux pas me souvenir de ces femmes. Que j’y allais, si vous voulez des petits détails amusants, j’étais aidée, sur le moment de la baisse du canal, il y avait une espèce de pavillon avec un homme qui était là pour l’aide aux noyés éventuels, et bien l’homme qui était là pour l’aide aux noyés nous aidait pour mettre les colis dans le camion et pour prendre les colis, enfin, on faisait ce qu’on pouvait. Mais…comme ça se présentait, vous savez? 

Interviewer: Votre bureau à Drancy vous vous souvenez, il était à quel étage? 

Annette: Au rez-de-chaussée. Dans le coin qu’on appelle le château rouge, vers les toilettes. Si vous voyez le camp de Drancy, c’était tout à fait à l’extrême droite, tout au fond, dans l’angle…là où il y avait les water… Donc vous voyez,  il y avait mon bureau, ça donnait sur les barbelés.

Interviewer: Est-ce qu’il y avait des Allemands? Vous vous souvenez de…d’Allemands?

Annette: Non. 

Interviewer: Il n’y avait que des Français? 

Annette: La PJ, oui. 

Interviewer: Vous aviez eu des contacts avec ces administrateurs français?

Annette: Oui. Pas très bons. Meilleurs avec la gendarmerie. Il y avait  PJ et Gendarmerie, je me suis toujours bien entendue avec les gendarmes et moyennement avec la PJ. Si vous voulez un petit détail, un jour, mon bureau… c’est en décembre, mon bureau est chauffé. Et bien tant mieux. Le lendemain,  on me convoque à la PJ pour me dire “Votre bureau était chauffé hier, c’était agréable ? Vous voulez qu’il soit chauffé aujourd’hui?” “ Oh non! Même à l’infirmerie personne n’est chauffé, pourquoi est-ce que moi je demanderais à être chauffée?”  Alors, j’ai dit non. Là-dessus je pars et un gendarme que j’avais connu à Beaune, me rattrape et me dit “Vous avez eu raison , vous savez c’était un traquenard pour dire que mademoiselle Monod demande du chauffage quand personne n’en a”. J’ai pas été prise, j’ai dit que je voulais pas de chauffage. 

Interviewer: Vous habitiez où à ce moment là?

Annette:  J’habitais Paris, j’étais dans le quartier… je faisais le trajet presque tous les jours, de Paris à Drancy avec un bus. Il y avait un bus qui m’emmenait très facilement. Donc j’étais renvoyée, j’en étais malade. D’abord, j’avais énormément travaillé, ensuite tellement bouleversée par tout ce que j’avais vu, tout ce que je…je prévoyais que… j’ai du prendre un moment de repos. Et puis après quand j’ai été mieux, on m’a expédiée de nouveau dans un camp, mais c’est un camp de communistes. Le camp de Vosves dans l’Eure-et-Loir où il y avait des communistes français, et des Espagnols rouges réfugiés en France, et des jeunots qui, pour des lits, avaient vendus dans la rue l’Avant-Garde qui était l’organe officiel des jeunesses communistes. Ils étaient arrêtés, et ils étaient au camp communiste de Voves. 

Interviewer: Et là les conditions de détention étaient les mêmes que ce que vous aviez vu?

Annette: Oui. À peu près les mêmes que chez les Juifs. Mais sans déportation.

Interviewer: Sans déportation. 

Annette: C’est l’essentiel…sans déportation. 

Interviewer: Et, vous avez su quand les déportations ont commencé ?

Annette: Oui. J’étais donc au camp de…dans les camps de Juifs…non, les camps de communistes. Puis il a eu le Vel d’Hiv, alors là je l’ai su, j’y suis allée, j’ai vu qu’on pouvait absolument rien faire sur place, il y a eu un chahut…enfin, un mélange…j’ai plus de mémoire. Tout était mélangé, aucune organisation possible, en plus il y avait beaucoup trop de monde, c’était pas possible. Mais on m’a dit qu’on allait les orienter vers Pithiviers et Beaune-la-Rolande, qui étaient vidés des camps, parce que les déportations. On avait en hâte déporter les Juifs étrangers de Pithiviers et Beaune pour faire la place, pour le trop plein du Vel d’Hiv.

Interviewer: Donc c’est à ce moment-là que vous avez su que l’on vidait les camps?

Annette: Parfaitement!

Interviewer: Pas avant?

Annette: Pas avant. Je l’ai su à ce moment-là, au moment du Vel d’Hiv, quand on a fait de la place à Pithiviers et Beaune, pour mettre les gens du Vel d’Hiv. Alors, je suis retournée à Pithiviers et Beaune, pour accueillir ces gens qui venaient du Vel d’Hiv..

Interviewer: On va rester peut-être, quand même un petit peu sur ces camps de communistes. 

Annette: Oui,

Interviewer: Donc ça c’est… vous y êtes restée peu de temps?

Annette: Camps de communiste, oh j’y suis restée une année quand même. Ca allait très bien, j’aimais beaucoup mon travail. J’étais très aidée par mes… par… comme toujours j’avais un bureau, je prenais des hommes pour m’aider, n’est-ce pas? Pour aller dans les baraquements, [02:20:25 Inaudible]. 

Interviewer: Il n’y avait que des hommes? 

Annette: Que des hommes. Oui. Et ça se passait pas mal, vraiment pas mal. Il y avait des visites, il y avait des permissions, ça se passait pas mal. Bibliothèque, des cercles artistiques, enfin on créait une petite vie à l’intérieur du camp, pas de danger de déportation. 

Interviewer : Et ces hommes ne travaillaient pas, on les faisait pas travailler? 

Annette: Non.

Interviewer: Non. Ils n’étaient pas…

Annette: Des corvées de camps, mais c’est tout. Non. Alors j’aidais en apportant des livres pour la bibliothèque, en apportant un peu de colis de ravitaillement. Et puis, j’ai été renvoyée, vous ne devinerez jamais pourquoi. Mon secrétaire s’est évadé dans ma malle.

Interviewer: Ah!

Annette: Ben oui.

Interviewer: Mais avec votre complicité?

Annette: Pas vraiment. Voilà, je venais périodiquement avec une malle en osier, dans laquelle on apportait des livres pour la bibliothèque ou des colis. Un beau jour, j’avais un secrétaire, qui m’aidait beaucoup, qui était très bien. Il s’appelait Léger Adolphe, il était le secrétaire d’un député communiste de Seine-et-Marne. Léger Adolphe était mon secrétaire, et voilà j’avais donc une malle en osier dans laquelle j’apportais, entre autres, des livres pour la bibliothèque. Et il s’aperçoit qu’avec une malle en osier, il pourra en décrochant le cuivre qui joint  le couvercle du coffre, qu’il pourrait se renfermer tout seul. Alors un jour, j’avais laissé ma malle, parce qu’elle était à réparer, il l’a fait réparer, il se met dedans, il avait dit aux hommes de corvée, qu’on aille apporter la malle avec les livres de mademoiselle Monod à la gare pour la lui expédier. Donc, des hommes à l’insu de la direction et de moi et de tout le monde, prennent le panier… la malle, la portent à la gare de Beaune-la-Rolande, non pas de Beaune-la-Rolande, voyons…les Juifs c’est…

Interviewer: C’était dans l’Eure-et-Loir.

Annette: Oui. Vosves, l’Eure-et-Loir,  à la gare de Vosves, et sa fille qui était là comme complice. On ouvre la malle, on sort papa, on prend le billet pour papa et tout le monde s’en va. Mais la malle était là, c’était la malle de mademoiselle Monod, quand mademoiselle Monod est arrivée, on lui a dit: “Votre secrétaire s’est évadé dans votre malle, vous êtes complice” et puis la PJ m’a interrogée toute la journée. C’est pas drôle de se faire interroger par la PJ, vous savez? On a fait la reconstitution du crime, on a montré que ma malle c’était possible. Il voulait m’emmener pour m’interroger à… mais, j’ai protesté. Je me suis débrouillée, on a bien voulu me laisser, mais j’ai plus le droit d’entrer dans le camp, j’étais renvoyée. 

Interviewer: Et ça c’était quand? Vous vous souvenez quand c’était?

Annette: Voyons... Non je ne sais plus. 

Interviewer: C’était avant ou après le Vel d’Hiv ?

Annette: Ça devrait être après. Vous savez j’ai déjà dit toutes les choses. Mais maintenant, je vous le répète, je suis âgée, j’oublie. 

Interviewer: C’est pas très grave, …

ANNETTE MONOD