SARAH MONTARD (née LICHTSZTEJN) *
Biographie
Enfance
Sarah Liechensztejn est née à Dantzig le 16 mars 1928. Ses parents sont arrivés en France en 1930 pour des raisons économiques et politiques. Leur appartenance aux milieux anarchistes et leur judaïté rendaient leur vie difficile en Pologne. La famille s'établit dans un hôtel du XVème arrondissement avant d'emménager dans le XXème arrondissement. Le père, Moyshé-Kaïm, écrit des articles pour des publications yiddish. La mère, Marjem, est couturière à domicile. Mon premier souvenir de Paris est une promenade avec toi [mon père] où je contemplais avec stupéfaction de bas en haut, moi toute petite fille, cette énorme machine en fer; tu m'as dit que c'était la tour Eiffel et que nous nous promenions sur le Champ-de-Mars. (p.101) Le quartier de Belleville-Ménilmontant semble suspendu entre deux mondes : [Il] est toujours resté pour moi une mine de souvenirs visuels, olfactifs, auditifs, gustatifs, tactiles. Tous les sens y participaient. Le long de la rue de Belleville stationnaient les voiturettes des marchandes des quatre saisons remplis de fruits et légumes de toutes les couleurs répandant leurs odeurs de vergers et de potagers. Les marchandes s'égosillaient à qui crierait le plus fort pour vanter sa marchandise. Dans notre rue Piat passaient régulièrement des artisans ou des vendeurs ambulants, chacun scandant sa mélopée particulière : "Vitrier ! Vitrier !", "Du mourou pour les p'tits oiseaux ! Mouron pour les p'tits oiseaux !", "Marchand d'habits, chiffons ! Ferraille à vendre !", "Le rémouleur ! Couteaux, ciseaux !" Venaient également dans notre cour des chanteurs des rues. Nous leur jetions des sous enveloppés dans du papier journal et moi, je visais toujours leurs têtes pour voir ce que cela donnerait. Je n'étais pas la seule à faire ce genre de bêtises ! [...] Mais nos yeux d'enfants étaient surtout fascinés par l'homme-orchestre qui arpentait les rues, s'arrêtant de temps en temps pour mettre en route tous ses instruments à la fois : des cymbales entre les genoux, une grosse timballe dans le dos sur laquelle venait taper un gong, sur la tête un tambousin tintinnabulant, un harmonica à la bouche, un bandonéon entre les mains. Il circulait très peu de voitures à moteur dans les rues, aussi nous pouvions jouer sur les trottoirs, les filles à la marelle et à la balle, les garçons aux billes. Avec une planche et quatre petites roues à roulements à billes, les garçons se fabriquaient une espèce de chariot sur lequel, couchés à plat ventre, ils dévalaient les bordures de l'escalier de la rue Vilin et toutes les rues en pente. Malgré la pauvreté, la vie était très gaie dans ce quartier. Tous les 14 juillet, les gens dansaient au coin des rues, et même sur la chaussée pour la danse du tapis, empêchant les autobus d'avancer. (pp.163-165) A la veille de la guerre, la famille s'installe au 306, rue des Pyrénées. Le logement de deux pièces est modeste. L'atelier de couture est dans la chambre parentale. Les parents se lavent aux bains-douches municipaux situés au 296 de la même rue. Sarah fréquente l'école communale de la rue Olivier-Métra avant de passer son examen d'entrée en 6ème et d'être acceptée au Lycée de Jeunes Filles du Cours de Vincennes (aujourd'hui Lycée Hélène-Boucher). L'établissement, flambant neuf, fascine la jeune fille qui doit y commencer sa scolarité en octobre 1939. Durant l'été 1939, Sarah et ses parents partent pour la première fois en vacances ensemble. Ils font du camping dans un petit village près de Pithiviers... Au retour des vacances, Moïse est mobilisé dans l'armée polonaise stationnée dans les Deux-Sèvres. Sarah est évacuée à Mers-les-Bains par la mairie de Paris. Elle fera sa rentrée au lycée en novembre. En janvier 1940, en compagnie de ses cousins, elle est envoyée à Boulouris-sur-Mer où elle est accueillie à la Feuilleraie, établissement géré par l'O.S.E. Marjam vient la rechercher en septembre 1940. Moïse obéit à l'ordre de recensement des Juifs. Lui et Marjem reçoivent le tampon rouge "Juif" sur leurs papiers d'identité. Ils ne déclarent pas leur fille. Moïse ne répond néanmoins pas à la convocation du billet vert en mai 1941. Il sera malgré tout arrêté, en tant que Juif étranger, en été 1941 et envoyé à Pithiviers. Il s'en évade le 2 septembre suivant. A partir de ce moment-là, il vit au 19, passage d'Eupatoria, "dans un immeuble vétuste près de l'église Notre-Dame-de-la- Croix, dans le XXème arrondissment de Paris. Là se cachaient de nombreux Juifs, que jamais les concierges d'ont dénoncés." (p.92) Muni de faux-papiers, il expose sa fille à la vie culturelle que Paris offre encore à cette époque. Pendant presque deux ans, jusqu'à notre déportation, tu as bravé toutes les interdictions faites aux Juifs : aller au cinéma, sortir après 20 heures le soir. Tu disais que cela n'avait pas d'importance, puisque nous ne portions pas l'étoile et que nous avions de faux papiers. Tu agissais comme si tu voulais compenser le fait que tu ne pouvais pas me nourrir en m'ouvrant sur le monde intellectuel et artistique. Grâce à toi, j'ai pu entendre et voir, à la salle pleyel, le troi Alfred Cortot, Jacques thibaud et Jean-Pierre Fournier. (...) Tu m'emmenais également à la Grande Chaumière, rue Vavin. j'étais heureuse, j'aimais cette ambiance bohème. Après les séances, nous allions prendre un verre à la Rotonde ou au Dôme, tous ensemble, les peintres et les dessinateurs, et je pouvais donner libre cours à mes fantasmes, car je tombais amoureuse de l'un ou de l'autre (...) Il fallait bien sortir de temps en temps de cette chape de plomb où nous enfermaient les nazis, aidés du gouvernement de Vichy. Il fallait oublier la grisaille de ce temps de guerre." (pp.138-9) La mère et la fille logent toujours dans l'appartement de la rue des Pyrénées. Sarah se rend au lycée par le bus 26. C'est dans ce bus qu'une passagère lui exprimera sa solidarité en mai 1942 lorsqu'elle doit porter l'étoile jaune pour la première fois.
Les Rafles
Le 15 juillet 1942, Sarah célèbre la fin de l'année scolaire. Claudine W., une camarade de classe, la met en garde : un ami commissaire a prévenu sa famille qu'une rafle aura lieu le lendemain et les femmes, ainsi que les enfants, seront arrêtés. Marjem ne veut pas croire que la France puisse commettre un tel crime mais, pour rassurer sa fille, décide de faire le guet toute la nuit. A l'aube, alors qu'épuisée elle venait de s'assoupir sur sa chaise, des policiers frappent à la porte. Par automatisme, Marjem répond. Sarah et sa mère sont arrêtées sous le regard effondré de la concierge, Mme Biche, qui tente de donner du café au lait à la jeune fille. Conduites dans un garage au coin de la rue des Pyrénées et de la rue de Belleville, elles sont ensuite embarquées dans l'autobus Q (actuel 96) qui les emmènent au Vélodrome d'Hiver. Armée d'une volonté de fer et d'une présence d'esprit à toute épreuve, Marjem réussit non seulement à faire échapper sa fille mais à s'échapper elle-même de l'infernale souricière. Hébergées par Gilberte de Puytorac, boulevard Saint-Jacques, elles vivent ensuite au 78, avenue de la République, au 4ème étage, porte 6, munies de faux papiers. Marjem a son atelier dans la cour de l'immeuble. Le 24 mai 1944, à 7h du matin, deux policiers se présentent à leur domicile. Ils tiennent à la main une lettre de délation écrite par leurs voisins de paliers. Les deux hommes les escortent en métro, depuis la station Parmentier, jusqu'au dépôt du palais de justice sur l'Ile de la Cité. En chemin, avenue de la République, Marjem reconnaît son mari qui descend la rue sur le trottoir d'en face. Heureusement pour lui, il ne les voit pas et échappe à une nouvelle arrestation. Les religieuses du dépôt accueillent avec tristesse Sarah et sa mère. Le lendemain, elles sont transférées à Drancy. Dans un témoignage écrit en yiddish en 1951, Marjem explique : Lors de notre "séjour", la vie à Drancy n'était pas trop mauvaise, en comparaison des premières années d'Occupation. Il y avait à manger un peu plus qu'avant. Toute la journée, nous étions libres, nous pouvions nous promener jusqu'à 9 heures du soir. On se serait presque cru aux Champs-Elysées : les femmes sortaient se promener dans leurs plus belles toilettes. Je regrettais presque de ne pas avoir emporté mon tailleur. Mais le "paradis" n'a pas duré longtemps pour nous. (pp.198-9) Le 30 mai 1944, Sarah et Marjem partent par le convoi 75 et arrivent à Auschwitz le 2 juin, c'est-à-dire 4 jours seulement avant le débarquement des Alliés. Accueillies par le Dr. Mengele, la mère et la fille font tout pour ne pas être séparées. Marjem ne dit pas qu'elle est couturière pour ne pas être envoyée dans un commando différent. Malgré les efforts maternels, Sarah est néanmoins affectée à Birkenau où elle est protégée par des internées russes. Elle assiste à l'arrivée des Juifs du ghetto de Lodz et de Hongrois, tous gazés à leur arrivée. Le 18 janvier 1945, les prisonniers du camp sont évacués sur les routes vers l'intérieur de l'Allemagne et participent à la Marche de la Mort. Sarah se souvient du temps magnifique ce jour-là. le lendemain, elle retrouve sa mère. D'Auschwitz, elles sont emmenées à Buchenwald puis à Bergen-Belsen ravagé par le typhus. C'est là que Sarah rencontre Anne Franck qu'elle ne reconnaîtra qu'après la guerre. Le jour de ses 17 ans, elle contracte le typhus. Une fois encore, Marjem fait preuve d'une bravoure formidable pour sauver sa fille à qui elle promet qu'elle reverra Paris. Le 15 avril 1945, le camp est libéré par les Anglais. Marjem et Sarah rentrent à Paris en train. Les wagons de déportés juifs sont à la queue des wagons de prisonniers de guerre. Elles arrivent à la Gare du Nord, le 24 mai 1945, un an jour pour jour après leur arrestation. De la gare, les déportés des camps sont transportés en autobus au Lutetia puis dispersés dans différents centres municipaux. La mère et la fille sont envoyés à la Mairie du XIXème sans suivi psychologique aucun. Marjem refuse de retourner vivre avec son mari. Elle lui laisse l'appartement de l'avenue de la République et ses amis lui trouve un logement : (...) un petit deux-pièces minable près du métro Goncourt, dans le XIème arrondissement, mais pour nous c'était encore du luxe. Ma mère était trop faible pour travailler et nous vivions de la charité d'organismes juifs qui nous donnaient des vêtements, et du peu d'argent que nous avait octroyé l'Etat. La famille nous aidait également. Nous, les rescapés, avons été très choqués d'apprendre que la préfecture de police de Paris avait reçu la Fourragère de l'Ordre de la Libération. En somme, les policiers qui nous avaient arrêtés étaient récompensés. Déçus également, nous l'étions par la discrimination dont faisait preuve à notre égard le gouvernement. Les cartes que l'on nous avait attribuaées portaient la mention "Déportés raciaux" et la pension assortie plus tard était bien plus faible que celle des "Déportés politiques". Il a fallu se battre longtemps pour obtenir la parité. Le sentiment d'une trahison de la France, que nous avions éprouvé au retour, continuait à se faire sentir. (pp. 278-9) Sarah retourne au lycée en tant que boursière mais elle ne peut redevenir celle qu'elle était avant sa déportation. Elle écrit dans une dissertation : Au camp, nous avions de l'espoir, l'espoir d'être libérées et de revivre, mais maintenant, je vois que la vie n'apporte rien du tout et l'espoir n'est plus là. (p.286) En 1947, elle rencontre Philippe Montard issu d'une famille catholique royaliste. Malgré l'incompréhension parentale des deux côtés, les deux jeunes gens se marient en 1952. Ils ont deux enfants : Claire et Laurent. Claire est le prénom d'une camarade de Sarah morte en déportation. Moïse mène une vie de bohème jusqu'à sa mort en 1969. A la fin de sa vie, Marjem est atteinte d'Alzheimer. Alors que sa mémoire s'efface inéluctablement, elle revit tous les jours le cauchemar des camps. Elle est morte en 1983. Cette année-là, Sarah s'est donné le droit et le devoir de témoigner de ce qu'elles avaient vécu. Elle commence par témoigner dans la classe de sa fille Claire devenue professeure de lettres. Depuis, elle intervient régulièrement dans les établissements scolaires. En 2011, elle publie Chassez les papillons noirs. Ecoutez Sarah présenter son livre sur Mémoires Vives, émission de radio de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah Refrain de la chanson d'Edith Piaf, Le disque usé, chantée par Sarah et ses camarades dans le camp de Birkenau et qui a inspiré le titre du livre : Tant qu'y'a d'la vie, y'a d'l'espoir, Vos désirs, vos rêves, Seront exaucés un soir Avant que votre vie s'achève. Le bonheur viendra vous voir, Il faut l'attendre sans trêve, Chassez les papillons noirs, Tant qu'y'a d'la vie, y'a d'l'espoir.
Informations biographiques tirées de l'oeuvre de Sarah Chassez les papillons noirs (2011) et ce celle du petit-cousin de Sarah, Ivan Jablonka, Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus (2012).
Lieux (en italiques, les précisions que Sarah nous a envoyées)
11ème arrondissement
78, avenue de la République
Domicile de Marjem et Sarah après leur évasion du Vélodrome d'Hiver
10, rue des Goncourt
Domicile de Marjem et Sarah après la guerre
14ème arrondissement
Station de métro Glacière
Station où Sarah descend pour aller au domicile de Gilberte de Puytorac (Davas) après son évasion du vélodrome
15ème arrondissement
Select Hôtel
A l'arrivée en France en 1930, nous résidions au Select Hôtel dans le XVe arrondissement de Paris, place Beaugrenelle, aujourd'hui Charles-Michels, métro du même nom.
Station de métro Grenelle (auj. Bir-Hakeim)
Station d'où Sarah rejoint la station Glacière, après son évasion du Vélodrome, pour aller se réfugier chez Gilberte de Puytorac (Davas), 9 boulevard Saint-Jacques
19ème arrondissement
Station de Métro Place des Fêtes
Station où la famille se réfugiait pendant les alertes aériennes en 1939-1940
Pendant les alertes aériennes, mon père nous faisait courir jusqu'à la station de métro Place des Fêtes plus profonde que les autres.
30, rue Piat
Deuxième domicile familial
Je vais à la maternelle au 94, rue des Couronnes puis à l'école communale au 42, rue de la Mare (1ère et 2ème année)
94, rue des Couronnes
Ecole maternelle
42, rue de la Mare
Ecole communale (1ère et 2ème année)
306-308-310, rue des Pyrénées
En 1938 emménagement au 306-308-310 rue des Pyrénées XXe, métro Jourdain. Ecole primaire: 22, rue Olivier-Métra XIXe où je passe avec succès l'examen d'entrée en 6e au Lycée de Jeunes Filles du 75,Cours de Vincennes XXe. J'y entre en octobre 1940, après la déclaration de la guerre.
297, rue des Pyrénées
Le 16 juillet 1942, lors de la rafle du Vél'd'Hiv, on nous a emmenés à pieds jusqu'au 297 rue des Pyrénées, au coin de la rue de Belleville, dans un garage où nous sommes restés 2 heures jusqu'à l'embarquement dans les autobus de ligne. C'est aujourd'hui un magasin grande surface au métro Pyrénées.
Ecole primaire
22, rue Olivier Métra
Lycée de Jeunes Filles du Cours de Vincennes (auj. Lycée Hélène-Boucher)
1, rue des Pyrénées | 75, Cours de Vincennes
17-19, passage d'Eupatoria
Domicile clandestin de Moïse après son évasion de Pithiviers puis de Sarah à sa mère à la libération.