Shoah Foundation VHA (F. Christophe)
Interview conducted in Rocquencourt on September 4, 1995 by Sabine Mamou.
Credits : USC Shoah Foundation Institute Visual History Archive
Oral History | VHA Interview Code: 4590
Mention légale : Ce document est une transcription quasi-verbatim réalisée par Chantal Huchet de la Tremblay et Mélanie Péron. Il ne peut en aucun cas être considéré comme source primaire. L’exactitude de la transcription n’a pas été officiellement vérifiée.
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CASSETTE 1
http://os.pennds.org/melanieperonvideo/Lorch_Francine-4590-01-V01-5000000003257765.mp4
Interviewer : Bonjour, nous sommes aujourd’hui le 4 septembre, en 1995, à Rocquencourt en France. Mon nom est Sabine Mamou et je vous présente Francine Lorch. Madame Francine Lorch, je vais vous demander de vous présenter, d’épeler votre nom de naissance et d’épouse.
Francine : Alors, je m’appelle Francine Christophe de naissance C-H-R-I-S-T-O-P-H-E et mon nom de femme est Lorch L-O-R-C-H.
Interviewer : Vous êtes née quand, Madame Lorch ?
Francine : Je suis née le 18 août 1933. Mauvaise année.
Interviewer : Pourquoi mauvaise année ?
Francine : Prise de pouvoir par Hitler.
Interviewer : En 1933, votre famille est composée de qui ?
Francine : Mon père, ma mère et moi.
Interviewer : Pouvez-vous dire le nom de votre père ?
Francine : Mon père s’appelle Robert Christophe et ma mère Marcelle née Norman.
Interviewer : Votre père, en 1933, que fait-il ?
Francine : Il débute une carrière d’historien, il a… au départ, il était ingénieur textile. Je raconte toute l’histoire de ma famille ?
Interviewer : S’il vous plaît.
Francine : Alors, mon grand-père, Léon Christophe, était de Lille. Il était négociant dans les tissus comme ça se faisait beaucoup à Lille, et il souhaitait que les deux fils prennent la suite. C’est pour cela qu’il a envoyé l’aîné, Daniel, aux HEC et le second, Robert, à l’école de filature et textiles d’Epinal. Mais mon père n’aimait pas du tout ce genre de choses. Il est tout de même rentré dans l’affaire parce que mon grand-père est mort, les laissant tous les deux très jeunes. Ils avaient, je crois, 20 ans et 21 ans à la tête de cette affaire qui était assez grosse. Et mon père n’était pas attiré par ce genre de choses. Il ne rêvait que d’histoire et un jour, il a décidé de se lancer. Il a commencé par écrire des articles historiques pour les journaux qui sont très bien partis, qui ont très bien marché. Et un jour, il a dit à ma mère… La crise de 29 avait évidemment joué sur les affaires, l y avait des retombées. Il lui a dit « Et si je lâche tout et que je deviens historien, qu’est-ce que tu en penses ? ». Elle a répondu « C’est une excellente idée, je vais de ce pas apprendre la sténodactylo. » Ce qu’elle a fait pour pouvoir prendre en notes tout ce qu’il faisait et taper ses manuscrits. Donc en 33, il commençait une carrière d’historien qui, malheureusement, a été bien abîmée par la guerre.
Interviewer : Et votre mère, Madame Lorch, vient de quelle famille ?
Francine : Alors, ma mère était d’une famille parisienne qui avait des origines lorraines ou alsaciennes comme beaucoup de familles juives parisiennes. Mais on était déjà très parisiens depuis un bon moment du côté de ma grand-mère maternelle. Et ma mère était élevée dans ce milieu de la bourgeoisie juive éclairée de cette époque. C’était des gens qui étaient excessivement cultivés, qui aimaient tous les Beaux-Arts, qui étaient très bons, qui avaient un grand sens des valeurs morales comme on dit maintenant. Et ma mère était malheureusement fille unique parce que le facteur rhésus faisait des ravages à l’époque. On ne connaissait pas ça. On l’a su plus tard. Et tous les enfants qui sont arrivés derrière elle sont morts. Et elle a été élevée d’une façon très agréable avec énormément de sévérité et de rigueur mais énormément de tendresse et de douceur et de joie. C’était une grande pianiste. Ca a été d’ailleurs découvert par les Allemands plus tard. Je pense que j’aurai l’occasion de vous le dire, Elle aurait pu faire une carrière qu’elle n’a pas faite parce qu’elle est tombée amoureuse de mon père lorsqu’elle avait quinze ans. Et une carrière risquait de casser ça à l’époque. On n’imaginait pas un mariage et une carrière.
Interviewer : Madame Lorch, en 1933, à votre naissance, vos parents ont quel âge ?
Francine : Mes parents sont mariés depuis trois ans. Ils sont nés en 1907 donc ils ont, ils ont le même âge. Ils ont pas loin de vingt-six ans. Mon père les a. Ma mère, pas tout à fait, quelques jours plus tard.
Interviewer : Qui sont les autres membres de votre famille ?
Francine : Alors, mon père a un frère qui s’appelle Daniel. C’est son frère aîné qui est marié et qui a déjà une fille à ma naissance. Ma mère est, comme je vous l’ai dit, fille unique.
Interviewer : Et vous avez des grands-parents ?
Francine : Alors, j’ai des grands-parents. Du côté de ma mère, j’ai encore mes deux grands-parents qui s’appellent Edmond et Esther. Et du côté de mon père, j’ai ma grand-mère. Mon grand-père Léon étant mort, comme je vous l’ai dit, lorsque mon père avait vingt ans, vingt-et-un ans, quelque chose comme ça.
Interviewer : Donc Edmond Christophe…
Francine : Non, Norman. Edmond est du côté Norman, du côté de ma mère.
Interviewer : Et Esther a quel nom de famille ?
Francine : Dreyfus.
Interviewer : Et du côté de votre mère ?
Francine : C’est le côté de ma mère.
Interviewer : Et du côté de votre père ?
Francine : Alors, du côté de mon père, il y a Léon Christophe qui est le 9ème d’une famille de dix-huit enfants et la femme, Rosalie Veil, qu’on appelle Nina parce qu’elle déteste le prénom de Rosalie, a deux frères et une sœur. Je pense qu’à ma naissance, elle a déjà perdu un frère qui est mort très jeune.
Interviewer : Quel est votre premier souvenir, Madame Lorch ?
Francine : Oh ! J’en ai tout un tas. Peut-être des souvenirs de vacances… mes grands-parents paternels avaient acheté une très belle propriété dans la Sarthe et nous y allions régulièrement. Et j’en garde un souvenir très attendri. Je pense que j’avais trois ans, même pas trois ans, mes souvenirs remontent très loin, je m’y vois avez mes cousines, nous avions une charrette à âne et on partait le promener. Il y avait un chien. On allait également à la ferme voisine et nos pères partaient à la chasse.
Interviewer : Est-ce que vos parents étaient religieux ?
Francine : Non, pas du tout, J’étais d’une famille pas du tout religieuse. Ma grand-mère maternelle, Esther Norman née Dreyfus, avait perdu sa mère d’une fièvre puerpérale comme c’était le cas souvent à l’époque, alors qu’elle n’avait que quatre jours. Elle était résolument athée. Elle disait « Comment peut-on croire qu’il y a un dieu quand il vous laisse sans mère, quand vous avez quatre jours ? » Mais elle respectait la religion des autres. Elle s’était mariée à la synagogue parce qu’on n’imaginait pas, à l’époque, de se marier seulement à la mairie. Ca ne se faisait pas. Donc, elle avait accepté mais elle était vraiment athée. Quant à mon grand-père, il était aussi… disons qu’il était agnostique. Et ils ont élevé ma mère sans religion. Ma mère a toujours cru qu’il y avait un dieu mais ça s’arrêtait là. Je pense qu’elle le croit peut-être encore. Alors, du côté de mon père, la famille Christophe, ceux qui avaient dix-huit enfants, étaient d’une piété extrême. Tellement extrême que ça avait révolté tous les enfants et qu’ils étaient tous devenus antireligieux. En respectant tout de même, car on était très respectueux des croyances des autres. On n’a jamais dans la famille moqué ou rejeté les croyances des autres, quelles qu’elles soient d’ailleurs, on a toujours respecté. Mais on ne fréquentait pas les rabbins. On n’était pas pieux. Il y a eu des conversions d’ailleurs, il y a dans ma famille, dans la famille de ma mère, il y a un saint.
Interviewer : A quelle époque ?
Francine : Sous Napoléon III. C’est une période bénie pour les Juifs de France et il y a à cette époque-là, une assimilation tellement énorme, il y a beaucoup de mariages mixtes. Il y en a eu dans ma famille. Et donc, dans la famille de ma mère, il y avait une famille qui s’appelait Libermann. Il y avait plusieurs enfants et ça se passait dans un village d’Alsace. Et vous savez qu’il y avait une vie, en symbiose, entre toutes les religions en Alsace. On s’entendait très bien. On peut lire ça dans le [?] Comment ça s’appelle ? L’ami Fritz, une très grande amitié entre Catholiques et Juifs. Et là, François Libermann, son amitié est devenue si grande envers les Catholiques qu’il s’est converti, ce qui a été absolument dramatique pour père d’ailleurs. Le père a pris le deuil. Et François Lieberman non seulement s’est converti mais est devenu prêtre. Et il a même un ordre missionnaire et il est allé à Rome. Le Pape l’a reçu et en le voyant, le Pape a dit « Sarà il santo » (il sera le saint). Ce qu’il est devenu. Il n’est pas encore canonisé, il est béatifié. Mais enfin, on l’appelle Saint François Libermann. Et il y a encore dans toute l’Afrique, des écoles catholiques qui portent son nom. A l’Exposition Coloniale de 1930, je ne sais plus bien, au pavillon des Missions, ma grand-mère qui avait toujours le mot pour rire a dit à ma mère « Regarde, il y a le buste du cousin ! »
Interviewer : Qui vous a conté cela ?
Francine : Je dois vous dire que pour compenser, le frère cadet est devenu rabbin et, je crois même qu’il est devenu Grand Rabbin de Strasbourg. Quant au troisième frère, il était tout à fait hors religion. Il est devenu Général, celui-là. Il s’est très bien conduit pendant la guerre de 70.
Interviewer : Est-ce que l’on parlait de cela dans votre enfance ?
Francine : Ah oui, bien sûr ! C’était très amusant, bien entendu.
Interviewer : Et vous alliez à quelle école ?
Francine : Je suis allée… j’ai commencé mes classes à l’école communale de Nice parce que nous étions descendus à Nice au moment de la Drôle de Guerre. Et c’est là que mon père, ayant eu sa première permission, est venu nous rejoindre. Et ensuite, nous sommes remontés à Paris après l’invasion de la France et j’ai repris mes classes dans l’école communale de mon quartier. J’habitais rue Cardinet et j’ai repris mes classes à l’école communale de la rue Jouffroy. Je les ai recommencées avec mon petit accent du Midi puisque j’avais commencé à Nice. L’accent qui est très vite parti.
Interviewer : On revient un tout petit peu en arrière. Alors, en 39, votre père est mobilisé.
Francine : Nous sommes en vacances, tous à Deauville. Ma grand-mère paternelle a loué une villa pour toute la famille et c’est de là que mon père part pour la guerre.
Interviewer : A l’été 39, vous avez quel âge ?
Francine : J’ai donc six ans au mois d’août. Mais mon père part un peu avant, je crois. Il part au mois de… j’ai son journal ici, je ne l’ai pas sorti, j’aurais pu le sortir et vous le montrer. Vous voulez arrêter une seconde pour que j’aille le chercher ?
Interviewer : Oui, on peut mais si vous voulez après l’entretien pour filmer le journal. Donc, vous êtes à Nice, votre père a été mobilisé et vous remontez à Paris.
Francine : C’était Deauville. Nice, c’était pour la permission. C’était Deauville quand il part à la guerre.
Interviewer : Et donc vous, vous remontez à Paris et vous…
Francine : Et c’est un peu plus tard que nous descendons à Nice, d’autres vacances.
Interviewer : Et c’est l’été, en été 41, vous êtes… pardon, en été 1940, vous êtes où ?
Francine : A Nice.
Interviewer : Et puis, vous pouvez me raconter la suite ?
Francine : Donc, après la permission de détente de mon père, il repart au front et nous, nous remontons sur Paris. Et là, nous menons la vie de toutes les femmes et enfants de prisonniers de France. C’est-à-dire une vie qui n’est pas très facile parce que mon père est donc d’une profession libérale – il est historien, journaliste, conférencier- et ce n’est pas simple pou vivre à ce moment-là, bien entendu, pour les femmes dont le mari a une profession libérale.
Interviewer : Vous ne nous avez pas raconté comment votre père est prisonnier.
Francine : Alors, il était à Amiens quand Amiens a été attaquée par les Allemands. La ville est prise et il part avec ses hommes. Il subit tout l’assaut d’Amiens qui est un moment épouvantable de la guerre. Ca serait un peu trop long et un peu trop technique mais il e retrouve sur la Loire avec tous les officiers et là, le gouvernement leur fait donner leur parole d’honneur qu’ils resteront là, qu’ils ne bougeront pas. Et il le raconte dans son journal que même s’ils voient des ennemis, ils ne doivent pas bouger. C’est le gouvernement de capitulation. Ils doivent donner leur parole d’officiers français, qu’ils ne bougeront pas. C’est comme ça que tous les officiers de l’armée française sont faits prisonniers. Et dans son journal, il dit une chose qui est prémonitoire du Gaullisme. Il dit : « On nous demande de ne pas bouger, Si je suis un soldat, j’accepte. » Il le tourne mieux que ça d’ailleurs, il dit « si je suis un soldat, je dis oui. Si je suis un patriote, je dis non. » Finalement, ils n’ont pas bougé et ils sont tous faits prisonniers.
Interviewer : Et votre mère et vous, vous l’avez appris à quel moment ?
Francine : Nous sommes à Paris à ce moment-là. Vous dire exactement quand on l’apprend, je ne sais pas. Je suis une petite fille. Je vis la guerre différemment. Je m’en souviens plus quand je l’ai appris moi.
Interviewer : Et vous vous souvenez de ce que votre mère disait, de ses inquiétudes ?
Francine : Oui. Simplement, je me souviens que, après avoir été faits prisonniers, tous les officiers sont transportés à Laval et que là, ma mère et moi, nous avons le droit d’aller le voir à Laval. Là, il est prisonnier. On les a tous parqués dans le grand séminaire de Laval parce qu’il y a de la place. Ils sont entassés là-dedans et nous avons, c’est en Mayenne, et nous avons le droit de partir les voir. Et nous partons ma mère et moi, nous allons loger je crois chez l’habitant et nous avons le droit d’aller voir papa jusqu’au jour où c’est interdit. Donc là, nous allons rentrer à Paris et ça devient interdit car on va les transporter en Allemagne. Nous apprenons par des gens qui sont là qu’ils vont partir pour l’Allemagne.
Interviewer : Madame Lorch, vous vous souvenez de vos visites à votre père prisonnier ?
Francine : Oui, je m’en souviens très bien parce que c’est là que j’ai fêté mes 7 ans pour le mois d’août, il y a encore des pâtissiers qui peuvent encore faire des gâteaux à ce moment-là. Et ma mère achète un gâteau et l’apporte au grand séminaire et le fonctionnaire à l’entrée prend le gâteau et nous fouille bien entendu. Il n’ouvre pas la boîte de gâteau mais il le secoue et ma mère crie « Oh l’imbécile ! » Et tout d’un coup, elle se rend compte de ce qu’elle a dit. C’est déjà un occupant. Nous portons le gâteau et nous avons le droit de le déguster avec les compagnons de geôle de mon père. Il a été écrasé mais il est bon quand même. Et tout le monde me souhaite mes 7 ans joyeusement. Evidemment, on ne s’attendait pas à la suite.
Interviewer : Madame Lorch, qu’est-ce que vous comprenez quand vous êtes une enfant de 7 ans et que vous voyez votre père prisonnier ?
Francine : Je comprends ce que c’est que la guerre. Jusqu’à maintenant, ça a été assez joyeux puisque j’ai essayé un masque à gaz en descendant à la cave. Tout ça c’est assez drôle. J’ai un papa en uniforme. Il est très beau en uniforme, je suis très fière de lui. Et là, mon père s’en va. Je comprends qu’une guerre, ça sépare des familles.
Interviewer : Parce que vous vous sentiez pas séparée quand votre père était prisonnier ?
Francine : Tant qu’il est à l’armée, c’est comme les autres enfants. Mon père part à l’armée. Il fait son devoir, c’est très bien. Il fait son devoir ! Est-ce que j’ai déjà compris ça à ce moment-là ? C’est possible ! C’est au moment où il part pour l’Allemagne que je comprends. Parce que c’est une guerre. Bien sûr !
Interviewer : Vous vous souvenez de son départ, de ce que votre mère a dit à ce départ ?
Francine : Non, pas très bien. Après, je vais me souvenir, je me souviens très bien qu’on recevait des petits papiers qui nous permettaient de lui faire des colis. Et ça représentait un travail terrible de lui faire des colis parce que les privations commencent à arriver, ma mère a très peu d’argent, comme je vous ai dit. Elle touche, je ne sais plus comment ça s’arrange, elle touche ce qu’on appelle une délégation de solde. Toutes les femmes de prisonniers touchent une délégation de solde alors avec ça, on vit assez petitement. Et donc, il faut lui faire des colis. C’st un petit peu difficile bien entendu. Et je me souviens également du premier Noël où mon père est prisonnier car nous fêtions Noël comme beaucoup de familles juives. Nous, on fêtait Noël. Et j’avais l’habitude d’avoir des cadeaux. Cette année-là, je n’en avais pas bien sûr et ma mère, qui est très respectueuse de toutes les traditions et qui ne veut pas qu’on soit tristes, au lieu d’un sapin complet, elle a trouvé une branche de sapin et elle met une branche de sapin devant la cheminée. J’ai quand même mis mes souliers devant la cheminée et dans me souliers, je trouve une plaque de chocolat sur laquelle il y a écrit « Pour papa » car je crois dur comme fer au Père Noël et j’ai pensé : « Mais c’est extraordinaire, le Père Noël a pensé à papa, donc voilà une plaque de chocolat qu’on va mettre dans le prochain colis ». Et maman avait reçu une lettre de papa qu’elle met dans mes souliers et aussi, je ne l’avais pas vue avant, donc j’ai une lettre de papa, le Père Noël à défaut de jouets m’a apporté une lettre de papa ce qui est encore plus formidable.
Interviewer : C’est un Noël de quelle année, Madame Lorch ?
Francine : C’est donc le Noël de 41.
Interviewer : Noël 41. Est-ce que vous vous souvenez si votre mère vous a parlé des menaces qui pèsent sur les Juifs et sur votre père ?
Francine : Je n’ai aucun souvenir de menaces à ce moment-là, à Noël 41. Depuis, je pense que le statut des Juifs a paru mais, moi, je ne le sais pas. Tout ça, je ne le sais pas. Je vais commencer à comprendre quand vont venir les mesures de tous les jours qui vont gêner ma vie de tous les jours, c’est-à-dire que je ne vais plus avoir le droit d’aller jouer au jardin public avec les petites amies, que je ne vais plus avoir le droit d’entrer dans un musée, enfin du public, cinéma, théâtre. Je ne suis pas encore allée au cinéma, au théâtre mais je sais qu’on n’a plus droit. Et puis naturellement, la grande affaire, ce sera l’étoile. Et puis, j’entends parler… non ça, ça viendra après l’étoile. J’entends parler de gens qui disparaissent. Ca viendra après. Si, il y a une chose déjà : c’est la confiscation des magasins juifs. Et comme ma grand-mère est gérante de magasins pour dames, magasins pour enfants rue Saint-Honoré, il va y avoir quelque chose qui va se passer.
Interviewer : Vous vous en souvenez ?
Francine : Oui. Je me souviens surtout que le jour où les gens qui possédaient des magasins ont été obligés de marquer JUIF sur leur vitrine, ma grand-mère, comme tout le monde, l’a marqué mais il y a eu une réaction extraordinaire : tous les Français, touts les Juifs français qui étaient si fiers, et de bon droit, de leur nationalité française, ont tous écrit sur leurs vitrines ce qu’ils avaient fait pour leur patrie c’est-à-dire qu’on a accroché toutes les décoration que tous nos ancêtres avaient gagnées au service de la patrie et tout ce que nous avions fait lorsque nous avions un savant, lorsque nous avions quelqu’un qui avait fait quelque chose. Et il y en avait tellement, il y avait de telles listes, nous avions tellement fait de choses pour notre patrie que les autorités nous ont fait enlever tout ça parce que, évidemment, les gens qui étaient catholiques découvraient que tous ces Juifs avaient vécu exactement comme eux et avaient servi leur pays exactement comme eux et même l’avaient très, très bien servi. Alors, les autorités ont fait enlever tout ça.
Interviewer : Est-ce que votre mère a commenté cela ? Devant vous ?
Francine : Oh ! Elle n’a pas eu à le commenter parce que j’ai compris toute seule.
Interviewer : Et vous l’avez compris toute seule ?
Francine : Oui, c’était facile.
Interviewer : Est-ce que vous vous souvenez du jour … est-ce que votre mère va se faire recenser ?
Francine : Oui, je me souviens qu’on doit se faire recenser, qu’on doit marquer JUIF sur notre carte d’identité, ça je m’en souviens. Je me souviens aussi qu’on doit porter notre poste de radio au commissariat de police. Je me souviens qu’on doit porter au commissariat de police les armes, les armes que l’on possède, mais ça, ça n’est pas seulement les Juifs, c’est tout le monde. Et nous avons un concierge qui a l’âme résistante et qui passe chez tous les locataires de l’immeuble qu’il sent ayant le même esprit de résistance que lui, et il va garder toutes ces armes et, lui, il va aller les jeter dans la Seine pour qu’on ne les donne pas au commissariat de police. Et alors, ma mère donne le fusil de chasse de mon père bien entendu qu’on va jeter dans la Seine et mon père était escrimeur, et elle donne même ses armes blanches pour que rien n’aille… et tout ça, le concierge va aller le jeter dans la Seine.
Interviewer : Est-ce que vous vous souvenez comment, puisque vous étiez petite, vous aviez entre 7 et … vous aviez presque 8 ans, comment vous vivez cela dans votre corps d’enfant ? Qu’est-ce que …
Francine : Eh bien je commence à voir peur bien entendu parce qu’il y a aussi l’histoire de l’heure, nous devons rentrer à 8h, être chez nous à 8h. Toutes ces petites choses commencent à plus ou moins me perturber, bien entendu. C’est un peu difficile parce que, comme je vous expliquais, je suis d’une famille qui n’est pas religieuse, qui est avant tout patriote, et c’est difficile de comprendre que je suis différente. Pour nous, être juif c’est être français de confession israélite, c’est ainsi qu’on dit. On n’emploie même pas le mot juif, on emploie le mot israélite. Alors, ce mot me trouble.
Interviewer : Est-ce que vous avez des souvenirs de l’heure du couvre-feu… de l’heure à laquelle vous devez rentrer ?
Francine : Oui, très bien parce que nous sommes allées chez des cousins qui habitent boulevard Malesherbes. Lui s’appelle Docteur Georges Levy, il est un grand professeur à l’hôpital Saint-Louis, lui aussi il a servi sa patrie, ô combien, et je me souviens qu’un soir, nous avons oublié l’heure en bavardant et nous sommes rentrées, ma mère et moi, en courant comme deux folles. Tellement peur d’être arrêtées parce que nous sommes rentrées plus tard. Mais ça, je ne me souviens pas si c’est avant ou après le port de l’étoile. Ce doit être, je pense, après le port de l’étoile puisque comment nous reconnaître ? Parce que, comme dit un discours officiel, « on est bien obligés de les marquer puisqu’il y en a au moins la moitié qu’on ne reconnaît pas à leur type. »
Interviewer : Vous vous souvenez de…
Francine : Mon étoile ?
Interviewer : Du port de l’étoile ?
Francine : Oui, je m’en souviens très bien. Maman a expliqué que c’est fini, nous ne sommes plus comme les autres gens. Il va falloir marquer ça. Il faut que j’arrive à comprendre que je suis différente de mes petites amies. Et que cette différence, il va falloir la marquer et j’ai essayé d’expliquer ça à mes petites amies à l’école qui, évidemment, n’ont pas plus compris que moi parce que, pour elles, être juive, elles qui sont catholiques, elles ont fait leur communion, je suis allée à leur communion chez elles, pour elles, le fait que je sois juive, ça ne joue pas. Un enfant n’est pas raciste. D’abord le mot n’existe même pas, nous ne savons pas ce que cela veut dire. Et pour elles, c’est pareil, je suis française de confession israélite. Quelle est la différence ? Il n’y en a pas. Et donc nous sommes allées… je vous finis l’histoire de l’étoile. Donc nous allons la chercher cette étoile, il faut aller la chercher, je ne me souviens pas s’il faut la payer ou non, il me semble que oui, mais surtout ce qu’il y a de très grave, c’est que comme c’est du tissu et qu’à l’époque on a déjà des tickets pour tout, tout est régenté, il y a très peu de choses, la France vit déjà dans un état de disette, il faut donc donner des points de nos précieux tissu. Ce sera ça en moins pour acheter des vêtements. Il faut donner des points pour avoir cette étoile. Et ça, c’est dommage. Donc ma mère est allée la chercher, je crois que c’est à la préfecture. Elle revient et il est bien spécifié qu’il ne faut pas l’accrocher, il faut la coudre de façon bien solidement de façon à ce qu’on ne puisse pas l’arracher. Et ma mère, comme beaucoup d’Israélites, a… c’est une façon de résister, cette étoile on la coupe bien, on va la surjeter et même la doubler pour qu’elle ne se déforme pas. Je connais même une personne qui va l’entourer de dentelle. Et on la coud. Et donc le lundi suivant… nous la portons un dimanche, nous allons voir ma grand-mère, ce dimanche-là. Maman porte son étoile, je porte mon étoile et ma grand-mère porte son étoile. Elle habite rue Saint-Honoré et nous descendons faire un tour dans le quartier donc de la Madeleine, des Tuileries et nous rencontrons des voisins qui connaissent très bien ma grand-mère et les gens qui nous voient évidemment sont saisis, et les gens qui nous voient traversent la rue pour venir nous serrer la main. Plusieurs voisins en nous disant – ma grand-mère était habillée de noir ce jour-là- et en lui disant que c’est très beau cette étoile sur le noir. Ca je m’en souviens très bien. Et le lendemain, lundi, je vais à l’école avec mon étoile. Je pars donc à l’étoile… à l’école, je traverse toute cette place de Tocqueville que je connais si bien, je prends la rue Déodat-de-Séverac, je prends la rue Jouffroy et là, toutes mes petites amies sont là. Elles me regardent avec stupeur. J’ai traversé l’école, j’ai traversé le préau. Au bout du préau, il y a la directrice. Et la directrice, vous aviez raison, il fallait un mouchoir… la directrice me sert dans ses bras.
Interviewer : Est-ce que vous l’avez…. Quel était le premier jour obligatoire pour l’étoile jaune, Madame Lorch ?
Francine : Ce lundi mais je ne me souviens plus de la date.
Interviewer : Et pourquoi est-ce que l’avez portée le dimanche déjà, un jour avant ? Vous vous souvenez ?
Francine : Parce que je crois que c’était ce jour-là qu’il fallait porter, que nous sommes allées chez ma grand-mère qui l’avait donc nous l’avons portée. Nous n’avions pas honte Nous étions très fières de nous parce que nous avions de la classe pour la porter. Et je crois que c’est ce jour-là que nous avons pris le métro et à l’époque, on donnait son ticket au poinçonneur et le poinçonneur était horriblement gêné et nous a dit, à ma mère et à moi, « Vous savez, vous n’avez pas le droit d’aller dans tous les wagons. Vous avez le droit de monter dans le wagon de queue. » Et nous sommes montées dans le wagon de queue parce que les Juifs n’avaient droit qu’au wagon de queue.
Interviewer : Je vous remercie Madame Lorch. Nous allons passer à une seconde cassette.
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CASSETTE 2
http://os.pennds.org/melanieperonvideo/Lorch_Francine-4590-02-V01-5000000003257766.mp4
Interviewer : Madame Lorch, est-ce que nous pouvons revenir presque 6 mois en arrière de l’obligation de portée l’étoile, c’est-à-dire en hiver 41 ? Décembre 41 ?
Francine : Oui, vous voulez parler du moment où on est venu arrêter mon père.
Interviewer : Vous voulez bien en parler ?
Francine : Oui. Alors on vient l’arrêter… moi, je ne sais pas du tout pourquoi. Depuis, je le sais. A ce moment-là, je ne sais pas du tout pourquoi mais je sais par contre que les concierges ont dit immédiatement : « Mais vous ne pouvez pas l’arrêter, il est prisonnier. » Et lorsque les gens qui viennent l’arrêter sont montés, elle a dit : « Mais la famille n’est pas là, vous ne trouverez personne ! Je vous jure, il est prisonnier, c’est la vérité ! » Donc ils sont repartis mais évidemment moi, je n’en reviens pas. Ce me stupéfie que l’on vienne arrêter mon père alors qu’il est prisonnier. Voilà.
Interviewer : Qu’est-ce que vous comprenez à ce moment-là ?
Francine : Mais, c’est difficile à dire. Ca se mélange un petit peu. Je ne me souviens pas… bon, j’ai un souvenir très très net mais je ne me souviens pas s’il se passe avant le port de l’étoile ou après le port de l’étoile. Ce souvenir très net c’est que nous revenons un jour, ma mère et moi, de je ne sais plus quelle course par le rue Cardinet. Et nous passons devant l’immeuble d’amis, qui s’appellent les De Souza, et il y a devant leur porte un énorme camion qu’on est en train de charger. Et ma mère reconnaît les meubles de ses amis. Et elle me dit : « Tu vois, on vide les appartements des Juifs. » Voilà. Alors, je ne me souviens pas… mais à ce moment-là, ma mère décide de commencer à vider notre appartement. Et c’est à ce moment-là que des gens du quartier très dévoués, qui ont, eux aussi, cet esprit de résistance absolument merveilleux chevillé au corps, l’aident à vider en partie l’appartement. Ils font le maximum de ce qu’ils peuvent et, entre autres, une marchande de quatre-saisons propose à maman le local dans lequel elle met sa voiturette. Elle lui propose ce local pour y mettre certains de ces meubles. Nous avons une amie adorable qui loue une chambre bonne au 7ème étage de l’immeuble pour mettre le bureau de mon père et une partie de sa bibliothèque. Nos concierges ont également une chambre. Une garagiste, qui habite tout près, en pleine nuit, fait débarrasser des meubles, un tableau, enfin différentes choses pour mettre dans le grenier de son garage. Enfin, tout un tas de gens commencent à s’occuper de nous et à vider l’appartement au cas où on viendrait le vider. Ce qui est arrivé plus tard, bien entendu.
Interviewer : Vous vous souvenez du nom d’une ou deux… de ces personnes ?
Francine : Bien sûr ! La garagiste s’appelait Madame Delay [orth ?], la marchande des quatre saisons s’appelait Mimi. Tous les gens du quartier ont connu Mimi. Tout le monde. Parce que le jour où je vais à l’école avec mon étoile juive, elle m’embrasse devant un officier allemand. Et puis, l’amie qui a loué une chambre de bonne pour y mettre nos meubles, s’appelait Maud Narson [orth ?] et son mari était prisonnier avec mon père. D’ailleurs, elle sera mariée par procuration parce que, lorsqu’il a été fait prisonnier, ils sont encore fiancés. Et puis, mes concierges qui sont Monsieur et Madame Beau [orth ?], qui sont des gens extraordinaires. Je continue à voir leur fille. Il y a très peu de temps, je lui ai écrit, depuis je l’ai vue mais, je lui ai écrit pour lui dire que je ne l’avais pas vue depuis très longtemps et que je voulais la revoir, que je n’oubliais rien de ce que sa famille avait fait et elle m’a répondu : « Ce que ma famille a fait mais c’est simplement naturel. » Voilà la mentalité des gens, de ce peuple de France. Allez-y !
Interviewer : Madame Lorch, vous vous souvenez des lettres qui arrivent de l’offlag où votre père est prisonnier ?
Francine : Oui, mon père écrit régulèrement. Il a droit, je crois, à 2 lettres par mois et 2 cartes par mois. J’ai su depuis que mes parents avaient un espèce de petit code entre eux. Et c’est ainsi que, dans cet espèce de code, mon père qui est au courant de tout ce qui se passe parce que la presse collaborationniste envahit les camps de prisonniers. Les prisonniers savent parfaitement ce qui arrive à leur famille. Mon père, dans son espèce de petit code, explique à ma mère qu’il faut qu’elle parte en zone libre rejoindre son frère, qui est en zone libre, et que nous risquerons moins, que nous ne risquerons pas d’être arrêtées en zone libre. Bien entendu, on ne s’attend pas à ce qu’un jour la zone libre soit occupée. Alors ma mère décide de partir en zone libre et je sais que elle fait faire des faux papiers. Je sais qu’elle contacte un passeur mais, ça, je ne sais pas comment. Et je sais que nous allons partir de chez Clo Avy. Clo Avy est une amie peintre, la femme de Jean-Marius Avy qui est un peintre qui a été très célèbre avant la guerre. Ce sont de grands grands amis de mes grands-parents. Et elle est veuve et elle vit rue Boissonade, dans un atelier de peintre. Nous allons dîner chez elle et c’est de là que nous partirons prendre le train pour la zone libre. C’est chez elle que nous allons découdre nos étoiles et que je vais apprendre ma leçon, c’est-à-dire que si on me demande quoi que ce soit « Tu n’es pas juive, tu n’es pas juive, tu n’es pas juive, tu t’en souviens ma chérie ? Nous partons en zone libre parce qu’ici il y a tant de restrictions qu’en zone libre, nous espérons que nous mangerons un peu mieux. C’est pour ça que nous partons là-bas. C’est ce que tu devras répondre si on t’interroge. » Et le passeur s’appelle Lalot [orth ?] et ce nom, je vais m’en souvenir, parce que le hasard fait que dans ma classe il y ait des jumelles qui s’appellent Lalo [orth]. Alors ça se tient, ma mère me dit : « Tu vas dire que tu vas voir de la famille Lalo. » Donc c’est très bien. Nos bagages sont partis sous le nom de Monsieur Rouget qui est un de nos voisins de la rue Cardinet. Un autre acte de résistance, faire partir des bagages d’une famille juive sous son nom. Je fréquente toujours toute lafamilel Rouget. Ce sont de merveilleux amis. Et donc, nous partons de chez Clo Avy. Nous allons à la gare d’Austerlitz. Et… en arrivant chez Clo Avy, un petit souvenir, je me souviens que maman m’a dit : « Tu vas replier ta veste comme si tu avais chaud pour passer devant la loge de la concierge parce que cette concierge-là, nous savons par Clo, qu’elle n’est pas sûre. Donc il faut pas qu’elle voie ton étoile, alors tu vas faire en passant « Oh j’ai chaud ! » et ton étoile sera cachée. » Et j’ai fait ça. Comme ça, nous avons pu ressortir sans étoiles. Voilà. Dans le train, bon… on a passé déjà une barrière puisque, à l’entrée du quai, on ne laisse pas passer les gens qui ont une étoile, bien entendu.
Interview : Et on ne demande pas les papiers encore ?
Francine : Si, si mais c’est une fausse carte.
Interviewer : Qu’est-ce qui est écrit dessus ?
Francine : Alors il y a écrit que nous nous appelons Christophe puisque mon père est prisonnier, il a ce nom-là mais ma mère a changé son nom de jeune fille. Elle s’appelle Nordmann et la personne qui a fait les faux papiers a écrit Normand. On a fait une très grosse bêtise, ça je en l’a su que plus tard, au lieu… elle s’appelle Nordman, c’est-à-dire « Homme du nord » et le passeur a enlevé… le fabricant de faux-papiers a enlevé le [d], ce qui est intelligent mais il aurait dû le mettre à la fin pour faire Normand comme Normandie. [inaudible] Il a enlevé le [d] et le deuxième [n] de Nordmann et, si un Allemand le lit, et c’est ce qu’il fera, l’Allemand de la zone… de la ligne de démarcation,il va lire Norman et il va penser « Norman ? Ah ! peut-être… » Voilà. Tandis que s’il l’avait écrit Normand, en mettant le [d] au bout, ça ne l’aurait pas fait tiquer. Donc nous prenons le train jusqu’à Angoulême. A Angoulême, nous changeons de train. Nous prenons un tortillard jusqu’à la Rochefoucauld car c’est à la Rochefoucauld que nous devons trouver le passeur. Je ne sais pas comment, ça je ne me souviens pas comment nous devons le trouver à la sortie de la gare. Enfin toujours est-il que nous changeons de train à Angoulême et nous montons dans un tortillard qui va jusqu’à la Rochefoucauld. Dans ce tortillard, il y a dans notre compartiment un monsieur qui fume et je me souviens que j’ai envie de vomir tellement l’odeur est écoeurante. Je sens encore cette odeur. Et je pense que, si ça avait été en temps normal, j’aurais dit « Maman, j’ai mal au cœur. » Mais là, je n’ai rien dit. Et, je sais qu’à la Rochefoucauld, il ne doit pas y avoir d’Allemands. C’est un endroit où nous ne sommes pas encore arrivées. Et quand le train entre en gare, nous voyons des Allemands sur le quai et nous descendons du train. Et là, il faut montrer ses papiers et les Allemands disent : « A droite ! A gauche ! » Et nous nous trouvons donc dans un groupe avec une dame et ses enfants, et un monsieur. Et on nous dit : « Suivez-nous ! » On traverse la place de la gare. Probablement que le passeur nous voit passer. Et nous allons dans les bureaux. Et là, va commencer l’interrogatoire. Je continue ou vous posez des questions ?
Interviewer : Je vous en prie, continuez !
Francine : Alors, je ne me souviens plus très bien. On monte un escalier… enfin je sais que je parais devant une table où il y a des officiers allemands, ils ont leurs armes là. Il y a un chien. Moi, j’ai très très peur des chiens déjà parce que, avant la guerre, j’avais été renversée par un gros chien donc je ne suis jamais rassurée quand je vois un chien. Et celui-là me fait peur tout de suite. Ce sont des chiens à face plate. Et il est au bout de la table un Allemand qui tape à la machine évidemment tout ce que nous disons. Là on interroge maman dans une pièce et on m’interroge seule. Je suis une très petite chose face à tous ces homems en uniforme. Ils posent des questions et demandent si je suis juive. Et bien entendu maman m’a fait répéter ma leçon « Tu n’es pas juive, tu n’es pas juive, tu n’es pas juive. » Et au fur et à mesure que l’interrogatoire a… se déroulait évidemment je… j’ai de plus en plus peur, parce qu’il y en a un qui susurre, qui est très gentil et puis il y en a un qui crie très, très fort et puis, il y a le chien. Et puis, il y aura le moment décisif où on dira à maman… où la porte s’ouvrira et on dira à maman « Regardez votre fille, ou vous avouez ou vous pouvez lui dire au revoir ! » Dans ces cas-là, on avoue. Donc on a avoué « Je suis juive ». « Et ben, c’est bien ! » Alors on est redescendues, on a retraversé la place. C’était la première fois que je marchais dans la rue encadrée par des soldats armés. J’ai dû me sentir très petite. Et puis on est montées dans la prison. La prison, c’était la halle au grain et la salle des fêtes. C’est le bâtiment qui avait été converti en prison. Et là, nous sommes arrivées, nous avons été mises là-dedans, poussées là-dedans. Et subitement, entourées par plein de gens qui riaient, qui étaient d’une gaieté folle et qui ont dit : « Mais voilà, tout ça, on est tous arrêtés mais c’est rien, c’est rien ! On sera libérés ! On sera libérés ! » Et maman a eu ce mot extraordinaire, elle a dit : « Ouf ! » Ca voulait dire « On est arrêtées, on est arrêtées, bon ! Qu’est-ce qui va se passer ? Rien ! On est arrêtées. Ca pourra pas être plus terrible que ce qu’on a vécu jusqu’à maintenant, que la peur, que la disette, que le port de l’étoile, que toutes ces vexations quui surviennent tout le temps. On est arrêtées, bon, on sera un jour libérées. »
Interviewer : Et qu’est-ce que vous avez pensé, vous ?
Francine : Sur l’instant, je me suis mise à pleurer au milieu de tous ces gens mais ils riaient tellement, ils étaient tellement gais, tellement adorables… La promiscuité, ça gêne pas un enfant, alors on a dormi là dans cette halle au grain, avec la salle des fêtes également. Je me souviens très bien qu’il y avait une scène où il y avait encore des accessoires qui avaient servi aux gens de cette petite ville à faire du théâtre. On est restées 4 jours là. Les grandes personnes allaient chercher à manger. Elles allaient chercher à manger, je crois me souvenir, dans un couvent où la nourriture était faite par des bonnes sœurs. On allait chercher la nourriture donc en traversant là.
Interviewer : Elles avaient le droit de sortir ?
Francine : Les personnes incarcérées ?
Interviewer : Oui
Francine : Oui, pour aller chercher la nourriture chez les bonnes sœurs. C’est tout sinon on ne sortait pas. Et puis alors après, là, on nous a dit qu’on nous emmenait. Alors, le dernier jour… donc on savait qu’on partait, maman a demandé à faire la corvée de nourriture pour aller chez les bonnes sœurs chercher la nourriture et elle a demandé aux bonnes sœurs si elles ne voulaient pas lui donner 2 œufs durs pour sa fille. Et les bonnes sœurs lui ont donné 2 œufs durs que maman a mis dans sa poche. C’était quelque chose, à l’époque, 2 œufs durs, il faut comprendre. Et puis, on est parties de la Rochefoucauld en direction d’Angoulême. On a eu un accrochage. C’est loin tout ça, je l’ai raconté dans… mes souvenirs, ça s’estompe. On a eu un accrochage avec une voiture, on est descendues de l’autocar. Bon, on va passer parce que je ne me souviens plus bien des détails. Par contre, je me souviens très très bien quand on est arrivées à Angoulême parce que la prison d’Angoulême… Angoulême est une ville bâtie sur une colline. La prison d’Angoulême est en haut. Il faut grimper. On a grimpé. Et alors la prison, c’est une vraie prison. Donc c’est la première fois de ma vie que j’entre dans une vraie prison. Je crois pas que j’ai eu peur ! J’ai maman. Quand on a maman, ça change tout. Et, on est entrées donc dans cette vraie prison. C’est intéressant pour une petite fille de voir une vraie prison, de voir le quartier des hommes, le quartier des femmes, la gardienne avec son énorme trousseau de clefs qui cliquète, les couloirs, les cellules, le judas dans la porte. On tourne la clef, on entre dans une cellule. On est plusieurs dans la cellule. Je ne me souviens plus combien. Donc on va rester là plusieurs jours. On n’a pas de lavabo dans la cellule. Il faut aller se laver dans la cour qui est en réfection. Il y a des travaux énormes. La cour est creusée de fondrières, on va se laver là. Et on entend les hommes qui chantent dans le quartier des hommes. Ca fait plaisir. Ca remonte le moral. Et maman me donne tous les jours un quart d’œuf dur. C’est toujours ça parce qu’on a une petite soupe maigre. La prison nous donne une petite soupe maigre, un morceau de pain et un sucre ¼ par jour. Je ne sais pas pourquoi. Un sucre ¼. On coupe le sucre [inaudible] ce qu’on a à manger. On reste là donc 4 jours. On repart donc le trousseau de clefs, les longs couloirs. Et on quitte Angoulême pour le camp de Poitiers. Alors là, je ne peux pas dire comment. Parce que je ne me souviens pas. Alors le camp de Poitiers c’est l’horreur ! Alors là, vraiment, je… parce que la prison ça m’a intéressée. Je n’y ai pas vu d’horreurs, dans la prison. J’ai juste connu la cellule mais la cellule, c’est intéressant quand on a 8 ans ½. Je vous dis, le trousseau de clefs, c’est intéressant quand on a maman. Poitiers, ça c’est abominable parce que c’est un camp. Et ça, j’ai jamais entendu parler de camps. Je ne savais pas ce que c’était et je vais le découvrir ce que c’était un camp. Un camp donc ce sont des baraques entourées de barbelés. C’est très intéressant tout de même. Je n’y ai pas peur. Je continue de ne pas avoir peur à Poitiers. Je suis écoeurée parce que c’est sale, parce que on vit dans la paille, on couche dans la paille, parce qu’il y a des rats partout, parce que les rats courent au milieu de la paille, parce qu’on trouve un rat dans la soupe. Le camp est séparé en deux : d’un côté, il y a les Juifs ; de l’autre côté, il y a des Bohémiens. Je me souviens, désolée de vous donner les détails qui me restent dans la tête, ce sont les waters qui sont quelque chose d’innommable avec des vers blancs qui courent partout. Les murs sont couverts de vers blancs. Moi qui suis une petite fille bien propre, d’une bonne famille bien propre. C’est assez monstrueux. Ma mère me lave comme elle peut. Voilà. C’est tout…
Interviewer : Il y a qui… Madame Lorch, il y a qui dans ce camp… côté vous ?
Francine : Côté nous, toutes sortes de gens. Des Juifs.
Interviewer : Nombreux, vous vous souvenez ?
Francine : Oui, il y a beaucoup de monde. Dans mon souvenir, il y a beaucoup de monde. Il y a des hommes, des femmes, des enfants. Très nombreux. Vous dire s’il n’y a que des Juifs français, là je peux pas vous le dire. Il y a sans doute un mélange mais là, je ne me souviens plus. Je ne me souviens que de la crasse à Poitiers.
Interviewer : Vous voyez des gens partir ou des gens arriver dans ce camp ?
Francine : Non, je n’en ai pas le souvenir. La crasse, les rats, les vers.
Interviewer : Vous dormez où ?
Francine : Par terre, dans la paille, dans la baraque. Avec les rats.
Interviewer : Et votre mère dort où ?
Francine : Avec moi. Je ne peux pas donner d’autres détails.
Interviewer : Vous restez combien de temps dans le camp ?
Francine : Je crois 4 jours. Je crois me souvenir qu’on est restées 4 jours à La Rochefoucauld, 4 jours à Angoulême, 4 jours à Poit… oui, 4 jours à Poitiers je crois bien aussi. Et de Poitiers, alors là, c’est le premier voyage donc en wagon à bestiaux. Avec la tinette au milieu. Je crois que c’est là, si je ne dis pas de bêtises. Jusqu’à Drancy. Bon, je ne me souviens pas du voyage alors je ne peux pas vous raconter de choses. Celui-là ne me marque pas tellement. Donc l’arrivée à Drancy. L’arrivée à Drancy, c’est l’horreur ! Et là, c’est vraiment là que je vais commencer à avoir peur. A Drancy. C’est vraiment là. Parce que Drancy en 42, l’été 42, c’est quelque chose d’abominable. C’est là que, je le saurai plus tard, que tous les Juifs étrangers ont été arrêtés, ça je ne l’ai pas encore su, et Drancy est quelque chose d’innommable avec cette énorme cour recouverte de mâchefer plus tard ça deviendra beau, Drancy, pour la propagande. Il y a ce mâchefer, comment le décrire c'est comme une espèce de charbon écrasé qui fait que lorsqu’on marche, d’abord on marche mal dessus, et c’est noir, c’est sale, on a toujours les pieds noirs. Et là, on nous met dans des chambrées… Drancy c’est une construction HLM ; c’est je crois le premier HLM de France qui n'est pas terminée au moment de la guerre. Il n’y a que le gros œuvre et les tuyaux et on nous met dans ces chambrées. Donc nous vivons là-dedans. C'est horriblement sale là où on nous met. Et il y a des dizaines de matelas de plumes - d'où sortent-ils ? Nous ne savons pas- qui sont éventrés, qui sont recouverts d’excréments, de sang, de vomi. C’est quelque chose d’abominable. Nous allons entrer dans ces chambrées au milieu de ses immondices. Et moi je ne sais pas du tout d'où ça vient. Ma mère, elle, va le comprendre, va le savoir très vite. Moi je ne sais pas. Tout ce que je vois, c’est cette immondice, qu’on va vivre dans ces immondices. On va vivre en se tordant les pieds sur ces tuyaux. C’est horrible à Drancy à cette époque-là. On va faire ses besoins dans ce qu'on appelle “le château” ou “le château rouge” qui est au bout du camp et on a droit d'y aller que lorsqu’on est un certain nombre. On doit être une dizaine, je crois. Et tous les … alors quelquefois on a envie d'y aller quand on peut pas. On demande à quelqu'un : « Voulez-vous… ? » « Mais je viens d’y aller, je risque d’être remarquée. » Il se passe des choses terribles lorsqu’on est… Je n’ai pas conscience du tout, du tout. Par contre, il va se passer quelque chose d’abominable, ce sont les départs en déportation mais je ne sais pas que ce se sont des départs en déportation. Il y a, au centre de la cour, des barbelés. Avec une baraque qu'on appelle la baraque de fouilles. Tous les gens qu’on mettra au milieu de ces barbelés vont passer par la baraque de fouilles donc je sais qu'on les dépouille de tout ce qu'ils ont. Quand on les met après dans ces barbelés, je me souviens qu'on rase les hommes et les cheveux volent partout au milieux du mâchefer, et tous ces gens sont donc dépouillés de tout ce qu'ils possédaient. Ca dépend des périodes d’ailleurs. Non, je… bon… Ils vont partir mais je ne sais pas pour où ils vont partir, mais je vais assister à quelque chose d'abominable-là. C’est le départ des enfants. Parce que le départ des adultes, c’est abominable mais je ne … là aussi, je vis un petit peu dans mon monde parce que j’ai maman. Toujours ça, c’est toujours ça, j’ai toujours dit que j’étais privilégiée mais c’est vrai. On est privilégié quand on a sa mère. Et, j’ai maman… donc il faut que j’explique pourquoi j’ai maman et pourquoi je vais la garder. C’est là que j’apprends que je vais la garder. Mon père a été fait prisonnier de guerre. Il existe en Europe ce qu’on appelle la Convention de Genève. La Convention de Genève est toujours signée par les belligérants. Elle permet un respect, un respect du prisonnier, c’est-à-dire que si les Allemands font un Français prisonnier, ils s’engagent à le respecter, à ne pas, entre autres, le fusiller s’il s’évade. La même chose de l’autre côté. Cette Convention de Genève dit qu’on doit respecter la famille du prisonnier. Donc mon père étant prisonnier de guerre, on doit respecter sa famille. Patatra nous sommes juives. Ca va poser un certain problème. Donc nous sommes arrêtées à la ligne de démarcation parce que nous avons franchi la ligne, ce qui est punissable de, je crois, 15 jours de prison. Mais après 15 jours, on nous garde puisque nous sommes juives. Mais, on va avoir un sort différent et c’est là qu’il faut que je parle des enfants. Donc au milieu de ces barbelés, à Drancy, je vais voir arriver des troupeaux d'enfants, parce qu’on peut pas appeler ça autrement, ce sont des troupeaux d’enfants. Je saurai plus tard que ce sont les enfants des Juifs étrangers. On les a séparés de leurs parents. Et je les vois arriver là, certains sont attachés par des ficelles. Ils sont tous sales. Certains sont couverts de bobos. Ils ont presque tous l’air hébétés. Nous essayons de les approcher quand nous le pouvons. Nous leur demandons comment ils s'appellent, ils ne le savent même plus. Les grands essayent de s’occuper des petits. Il y en a qui les portent. C’est quelque chose d’abominable, ces enfants, ces troupeaux d’enfants. Alors là vraiment je… j’ai peur et je me jetais dans les bras de maman, là je me souviens très très bien que je me jetais dans les bras de maman, en criant « Mais pas moi, pas moi maman ! Hein pas moi ? » « Non, non, pas toi. » Mais après tout pourquoi ? J’avais quand même peur. C’est tellement horrible ces enfants, sans parents, dans un tel état, qui sont emmenés au petit matin. Alors donc, je ne suis pas emmenée parce qu’on me respecte, je suis fille de prisonnier. Mais juive. Que va-t-on faire de nous ? On va donc nous garder. Et on va nous garder d’une façon un peu différente. Et nous n’allons rester que 3 semaines à Drancy. Et de Drancy, on nous envoie à Pithiviers.
Interviewer : Pardon de vous interrompre, on va passer sur la 3ème cassette.
Francine : C’est arrêté ?
CASSETTE 3
http://os.pennds.org/melanieperonvideo/Lorch_Francine-4590-03-V01-5000000003257767.mp4
[La transcription commence à 00’58]
Francine : Drancy est séparé en plusieurs blocs et nous sommes donc dans un bloc différent. Et, il faut dire pourquoi nous les approchons, comment nous les approchons… ça, je ne sais pas. Est-ce que c’est en allant justement au fameux « château rouge » ? Est-ce que c’est en descendant faire les corvées, peut-être chercher la nourriture ? Est-ce que c’est en allant faire la corvée de pluche qu’on faisait ? C’est possible, mais je sais que c’est arrivé 2-3 fois que l’on puisse les approcher.
Interviewer : Est-ce qu’ils étaient enfermés quelque part ?
Francine : Oui, ils sont dans le… au centre de cette cour de Drancy, où il y a ce fameux barbelé, où on met tous les gens en partance. Donc comme ils sont en partance, ils sont là au milieu de ce barbelé.
Interviewer : Quand ils arrivaient, ils restaient combien de temps ?
Francine : Je ne sais pas. Ca, moi je ne peux pas le dire. Ca je ne m’en souviens pas. C’est impossible. Non, moi, je ne vois que l’horreur, je ne vois que l’affolement que ça puisse m’arriver, qu’on puisse me séparer de maman et que la même chose m’arrive. Et c’est donc là que je vais apprendre, alors que je vais voir ces transports de troupeaux d’enfants, c’est là que je vais apprendre que, moi, on me laisse ma mère et qu’on ne veut pas nous faire partir. Où partent-ils ? Moi, je ne le sais pas.
Interviewer : Madame Lorch, comment se déroule la correspondance entre votre mère et votre père ?
Francine : A Drancy, je ne peux pas vous dire, je ne me souviens plus. Je pourrai vous dire après. Je sais que ma mère a des nouvelles par ma grand-mère parce que ma grand-mère vit toujours à Paris et il y a toujours… de toute façon, il y a toujours eu des gens qui sont très gentils qui, au péril de leur vie, font circuler du courrier. Donc, mon père a appris que nous étions arrêtées. Il l’a d’abord appris par ma grand-mère et puis ensuite, je crois qu’il l’a appris officiellement puisqu’on lui a dit « Il n’est plus question d’évasion pour vous sinon c’est votre femme et votre fille, que nous avons entre nos mains, qui trinqueraient. » Donc il sait qu’il ne doit pas s’évader. Et… mais vous dire de Drancy comment se passe la correspondance, il y en a forcément puisque pour prouver que ma mère est femme de prisonnier, il faut donc qu’elle présente des lettres de mon père. Mais vous dire comment ça se passe, ça je ne me souviens plus. Alors après Drancy donc nous partons pour Pithiviers.
Interviewer : Vous pouvez préciser la date ?
Francine : Trois semaines après donc, si vous calculez donc c’est juillet-août, enfin quelque chose comme ça. L’été enfin je ne me souviens plus exactement. Où est-ce que je fête mon anniversaire ? Je ne sais plus. Alors, on arrive à Pithiviers. Pithiviers, dans mon souvenir, est un camp où on ne met que des Juifs français car les Juifs français commencent donc à être arrêtés. Jusque-là ça a été des Juifs étrangers. On commence à arrêter les Juifs français et le camp se remplit petit à petit. Et nous avons fait la connaissance d’une femme qui s’appelle Madelon Lang et dont le mari va bientôt être dans le même camp que mon père. Il n’y est pas encore mais… enfin, nous savons que le mari est prisonnier. Elle a, elle, été arrêtée avec son fils et elle part de Drancy à Pithiviers avec nous. Et à Pithiviers, elle voit sa sœur et trois… deux de ses neveux. Et à Pithiviers, nous, nous voyons un oncle. Donc nous voyons des quantités de gens. Et, mes souvenirs sont vagues à Pithiviers, je me souviens simplement que le camp était gardé par des gendarmes français. Et je me souviens qu’à Pithiviers, il y a eu une épouvantable déportation. Là, j’ai vraiment eu très, très peur. Une déportation terrible et sont partis, justement dans cette déportation, la sœur, les neveux de Madelon et mon oncle Maurice Evard. Et, j’étais inscrite pour partir dans cette déportation. Ce qui n’était pas du tout normal puisque j’avais mon statut de femme… de fille de prisonnier. Je devais rester à Pithiviers. Et quand on a lu la liste, ma mère évidemment a blêmi. Elle a couru comme une folle dans tout le camp en me tenant par la main pour voir ce qui en était. « Mais bon, qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Pourquoi est-ce que ma fille doit partir et pas moi ? Qu’y-a-t-il ? » Vous vous rendez compte dans quel état on était ? Absolument affolées. Et on s’adressait aux gendarmes « Mais on sait pas ! On sait pas ! » Et là, je dois vous dire que ma grand-mère paternelle, Nina, était veuve très jeune de mon grand-père Léon Christophe et s’était remariée avec un Catholique qui était colonel de gendarmerie. Il s’appelait Charles Streiff. Charles Streiff, je le considérais comme mon grand-père, puisque je n’avais pas connu mon vrai grand-père et il me considérait comme sa petite-fille. Et ce mariage va permettre à ma grand-mère d’être sauvée comme conjointe d’aryen. Et donc ce faux grand-père était catholique je vous dis, et comme ancien colonel de gendarmerie, ma mère s’est dit que peut-être on le connaissait encore parmi les gendarmes qui nous gardaient. Et elle est donc allée demander et elle a trouvé un gendarme effectivement qui se souvenait très, très bien du Colonel Charles Streiff. Et vous dire exactement comment ça s’est passé… enfin… parce qu’il y en a qui avaient dit à ma mère « Mais envoyez-la à la fouille, vous la récupèrerez après ! » Mais on savait très bien qu’une fois qu’on était pris dans le chemin de la fouille, après c’était terminé. C’était fini. Donc, grâce à ce gendarme qui connaissait Tonton Charles donc, c’est comme ça que je l’appelais, enfin finalement j’ai réussi à être enlevée de la liste. Bon, on sait très bien que tous les gens de ce train sont morts. Il n’y a pas eu de rescapés. Donc, c’est un des premiers miracles de ma déportation. Et j’ai donc été sauve. Le soir de la déportation, je me souviens ce camp qui était vide et où il y avait de la paille partout, je ne me souviens que de ça, de ce camp. Je ne peux pas le décrire, je me souviens de ce vide effroyable, cette misère de vide. Ce camp qui avait été plein de monde, il n’y avait plus rien. Il y avait Madelon, il y avait son fils, il y avait maman, il y avait moi. Est-ce qu’il y en avait d’autres ? C’est tout ce que je vois. Il y avait la baraque de fouille et la fouille avait été faite par des garçons qui avaient 20 ans, qui étaient français, qui étaient ce qu’on appelait « les chemises noires » de Darnand. Je me souviens que maman est entrée dans la baraque et s’en est prise… elle a ramassé une ou deux choses dont une aquarelle représentant le camp de Gurs. Non, je dis une bêtise, cette aquarelle-là, elle l’a ramassée après la fouille à Drancy. Elle a ramassé un petit objet qui appartenait à une dame. Ce petit objet, la dame y tenait beaucoup. C’était un souvenir de famille et maman l’a ramassé, et nous l’avons toujours. Parce que la dame n’est pas revenue, bien sûr. Et maman n’a pas pu s’empêcher de leur dire à ces garçons-là, qui étaient de son pays, « Ils sont beaux vos 20 ans ! » Un miracle, elle a été fichue dehors à coup de pieds c’est tout. Ils auraient pu faire pire. C’est tout. C’est tout ce que je peux dire sur Pithiviers.
Interviewer : Madame Lorch, vous avez donc 9 ans… nous sommes en 42 ?
Francine : Oui.
Interviewer : Qu’est-ce que vous, votre mère, ou les deux, saviez de la destination de ce train ?
Francine : Moi, rien. Moi, rien du tout. Depuis, j’ai su, après la guerre maman m’a raconté, qu’avant d’être arrêtée, elle avait entendu, parce qu’elle allait chez nos concierges, nos fameux concierge M. et Mme Beau (orth ?), ils écoutaient la radio anglaise et elle allait l’écouter en cachette chez eux comme d’autres personnes de l’immeuble qui se cachaient, le soir, on mettait des couvertures contre les portes pour que… et puis on mettait la radio anglaise pour que personne n’entende parce que c’était dangereux évidemment. On pouvait être fusillés pour ça. Elle avait entendu qu’à la radio anglaise on avait dit qu’on transportait les Juifs en Allemagne et qu’on en tuait. Et ma mère savait qu’on tuait des Juifs en Allemagne. Et elle ne l’a jamais dit à personne. Et même plus tard, quand je vous raconterai ce qu’elle a fait, elle ne l’a jamais dit. Il ne fallait pas qu’elle le dise. Ca aurait été pire. Et elle savait. Mais moi, rien.
Interviewer : Madame Lorch, vous restez donc combien de temps dans ce camp ?
Francine : Alors, je ne me souviens pas à Pithiviers combien de temps on est restées. Je l’ai mis dans mon récit mais… parce que je l’ai écrit juste après mais maintenant, je ne me souviens plus combien de temps je suis restée à Pithiviers.
Interviewer : Vous vous souvenez si…
Francine : Peut-être 15 jours, peut-être quelque chose comme ça, peut-être 15 jours-3 semaines, autant qu’à Drancy je crois. Je ne sais plus. Là maintenant, je dirais des bêtises. Depuis que j’ai passé 60 ans, ma mémoire n’est plus si bonne. Enfin, de Pithiviers, on part à Beaune-la-Rolande. Et Beaune-la Rolande, je fais rire tout le monde quand je dis que c’est le bonheur. Un certain bonheur. C’est-à-dire que, depuis plusieurs mois, j’ai mené une vie tellement horrible, j'ai vu des choses tellement abominables. J'ai vu des gens battus bien sûr à Drancy. J'ai vu des enfants fous être séparés par leurs parents, et séparés de quelle manière. J’ai eu faim. J’ai été sale, j'ai vécu dans l’horreur, dans la crasse, parmi les rats. J’ai eu peur, j’ai été gardée par des gens armés. J'ai vu tellement de choses abominables que d’arriver à Beaune-la-Rolande me semble une espèce de paradis. Parce qu’à Beaune-la-Rolande on est gardés par des douaniers français qui n'ont pas l’air méchants. Pour certains, ils sont même très malheureux de faire ça. Beaune-la-Rolande, c’est un camp bien sûr mais... ça y est, je sais ce que c'est qu’un camp. Mais c’est un camp dans la campagne française, c’est un camp au milieu des champs. Il y a des pommiers tout autour. On peut se laver à Beaune-la-Rolande. Et on est très peu, pour l'instant. Le camp va se remplir mais on est si peu au départ qu’on remplit une baraque, une seule baraque, qu’on coupe en deux, moitié hommes / moitié femmes. En fait, il s'est passé quelque chose d’abominable à Beaune-la-Rolande, avant nous. Mais, je me rends compte qu’à moitié parce que de voir les pommiers ça me rend tellement heureuse. Il s’est passé que les enfants que j'ai vus à Drancy, c'était de là qu’ils venaient, de Beaune-la-Rolande. C’était souvent là qu’ils avaient été séparés de leur mère. À Beaune-la-Rolande, il devait y avoir des tonnes de couvertures, dégoûtantes, salies, par tous ces enfants. Et Maman et Madelon vont être obligées de laver ces couvertures pendant des jours et des jours à l'eau froide, elles vont frotter ça. Ayant comme chefs, deux infirmières françaises qui leur donneront un morceau de chocolat pour les féliciter quand elles auront bien travailler.
Interviewer: Pourquoi vous dite obligées, Madame Lorch ?
Francine : Parce que c'est du travail obligatoire.
Interviewer: Mais elles seulement ?
Francine : Ben oui parce qu’il n’y a qu’elles au départ. Quand les autres gens vont arriver, les couvertures seront lavées. Et les infirmières vont partir. Elles seront remplacées par des femmes merveilleuses. Deux femmes de la Croix-Rouge française, l'une est protestante, l'autre est catholique : Mademoiselle Monod, Mademoiselle Roland. Et elles vont vraiment faire tout ce qu'elles vont pouvoir pour embellir notre vie à Beaune-la-Rolande. Elles vont nous apporter des choses de l’extérieur. Elles vont transporter du courrier, ça c’est très important. Transporter les messages. Elles ont été merveilleuses. Et puis, il y a aussi une autres personne qui s’appelle Mademoiselle Ovalde (orth ?), moi je ne m’en souviens pas bien mais je sais que c'est une Catholique, amie des Juifs, qui va aussi, je ne sais même pas si elle ne sera pas première chef de baraques, mais ça je l’ai su après, je ne me souviens plus très bien. Oui, parce que ce que j’ai oublié de dire à Drancy, c’est qu’on est obligés de porter son étoile bien sûr. Il y a des Catholiques arrêtés qui portent un petit calicot sur lequel il y a écrit « Amis des Juifs ». C’est beau ça.
Interviewer: Ils étaient qui ?
Francine : Des catholiques ou des Protestants arrêtés avec des Juifs.
Interviewer: Vous vous en souvenez ?
Francine : Oui, je vois le petit calicot marqué « Ami des Juifs », je le vois.
Interviewer: Il avait quelle forme ce petit calicot ?
Francine : C’est une petite chose longue comme ça [fait un geste]. Ça, ça je le vois. Parce qu’on doit toujours porter son étoile dans un camp … A Beaune-la-Rolande, c'est un petit peu bizarre ce qui va nous arriver. C’est un camp un peu en-dehors des autres camps. On doit porter l’étoile aussi mais les autorités ont oublié d'en envoyer. Mais comme le règlement fait qu’on doit quand même la porter, alors on va chercher, on va acheter de la peinture jaune et, au pochoir, on va peindre des étoiles, on découpe des étoiles peintes au pochoir. On est donc gardés par des douaniers qui sont du sud-ouest de la France, qui ont une petite pointe d’accent. A part le chef qui n’est pas toujours bien, les autres font vraiment ce qu’ils peuvent, ils ne sont pas heureux de ce qu’on leur fait faire là. Et j'admirais les pommiers. Et un matin, à mon réveil, au bout de mon lit, il y a une musette, c’est-à-dire un sac règlementaire de douanier, qui est pleine de pommes. C’est un douanier qui est père de famille et qui est allé chercher des pommes et les a mises au bout de mon lit. Ca aussi, c’est risqué. Ca aussi, c’est un acte de résistance de porter des pommes à une petite fille juive. Il y a plusieurs douaniers qui font des choses comme ça. D’ailleurs, j’ai oublié de vous dire que lorsque j’ai été arrêtée à la Rochefoucauld, il y a un gendarme qui était très gentil. Maman lui a dit… elle lui a dit d'ailleurs qu'elle était la belle-fille du Colonel Charles Streiff, colonel de gendarmerie, lui aussi il l’avait connu- et elle lui a dit : « Je suis avec une gamine. J’aurais besoin d’une serviette de toilette, est-ce que vous voulez bien aller m’acheter une serviette de toilette et puis est-ce que vous voulez bien aller à la pharmacie m’acheter quelque chose de vitaminé pour ma fille, un remontant ? » Et le gendarme est allé m’acheter des granulés vitaminés et puis il a rapporté deux serviettes de toilette en disant : « Les boutiques sont fermées, je vous rapporte deux serviette de mon trousseau, c’est ma femme qui les a données, vous les gardez. » Et nous sommes restées avec les serviettes de toilette brodées à son chiffre par sa femme. Ça aussi, c’est beau. Il y avait des gens comme ça, heureusement. Alors à Beaune-la-Rolande, au fur à mesure que les gens vont être arrêtés, donc le camp va se remplir, mais nous passons donc… ça je me souviens très bien que le camp était encore vide pour la Noël puisque pour la Noël, Mademoiselle Roland, une des deux demoiselles de la Croix-Rouge va acheter un petit pot de fleurs que les femmes de la baraque...maman a déjà été nommée chef de baraque, oui élue chef de baraque par toutes les compagnes... et les camarades lui lisent un compliment et lui offrent ce pot de fleur que Mademoiselle Roland est allée acheter. Et elle a une dame, qui s'appelle Madame Montefiore, qui écrit très joliment, et qui lui écrit un compliment qui se termine « Hourra pour notre chef de baraque ! ». Et le 31, à minuit, on tape à la cloison, ce sont les hommes, de l'autre côté, dans l'autre partie de la baraque qui nous souhaitent la Bonne Année. On perd pas son moral. On est persuadés qu’on va bientôt être libérés, que ça va pas durer, on est sûrs.
Interviewer : Vous pouvez préciser l'année. 31 décembre de quelle année ?
Francine : Donc, c’est le 31 décembre 42, c’est bien ça. 42 et on va passer au 1er janvier 43. Et donc à partir de 43, le camp va petit à petit se remplir, on va pouvoir enlever la cloison de baraque parce qu’elle va se remplir de femmes, il y aura des baraques pour hommes et des baraques pour femmes. Là, le camp va se remplir de Juifs français donc et on va donc rencontrer des gens que nous connaissions, on va rencontrer des amis, des cousins. Le camp va se remplir. Ça va devenir une société. Parce qu’on va arrêter les Juifs français. Il y en a dans toutes les professions, toutes sortes de gens. Il y aura des jeunes, des vieux. Des enfants, des vieillards, tout ça va remplir Beaune-la-Rolande. Il va y avoir une espèce de vie de société à Beaune-la-Rolande. Donc maman sera donc nommée chef de baraque. C’est là qu’elle va pas mal se révéler. Elle, qui est d’une famille bourgeoise, avec une aisance sympathique, qui a été élevée en fille unique gâtée, avec une grande rigueur, une grande discipline comme c’était tout de même dans ces familles-là -c’est ce qui lui permet d’ailleurs de faire ce qu'elle va faire - mais enfin une vie joyeuse, elle va se révéler une femme de tête et avec une force extraordinaire, capable de tenir tête aux autorités, capable d’aider tous ceux qui seront dans le chagrin. Elle va faire un boulot formidable. Elle sera une partie du camp infirmière, une partie de notre incarcération à Beaune-la-Rolande, elle sera infirmière et une partie de notre incarcération, comme chef de baraque. Dans les deux parties, elle aura fait un travail colossal.
Interviewer : Vous vous sentez protégée par elle ?
Francine : Oui, terriblement. Je me sens protégée à Beaune-la-Rolande par maman et protégée par mon statut d’enfant de prisonnier de guerre. À cette époque-là, nous sommes tout à fait persuadées qu’il ne nous arrivera rien. Nous savons par le courrier, par le courrier officiel et par tout le courrier qui va arriver en cachette - courrier qui passe par la résistance du camp, par les gens qui aident, par les gens de l’extérieur - nous savons que mon père se donne un mal fou pour essayer nous faire libérer, que mon père écrit partout partout. Il essaie de frapper à toutes les portes, toutes les autorités essayant. Enfin ? Comment peut-on garder dans un camp une femme d'officier français ? Quand on a … on croit Pétain, on y croit encore. Imbéciles que nous sommes. Nous avons des cousins, qui ont servi sous Pétain, qui sont arrêtés par la milice française, bien entendu. On y croit encore en ce moment-là. Mon dieu ! on est bêtes.
Interviewer : Madame, à Beaune-la-Rolande vous mangez quoi ?
Francine : À Beaune-la-Rolande, il y a le régime du camp qui est mieux qu’à Drancy, qui est pas colossal, mais on a droit aux colis. Ca change tout d’avoir droit aux colis. Et ma grand-mère doit se priver - de quelle manière ? - mais enfin elle nous envoie des colis. Et puis, on ramasse dans le camp, il y a de la mâche sauvage et des pissenlits, ça fait des vitamines, on se fait des salades avec ça. Quand on a des colis, c’est différent. Mais le régime du camp était quand même moins terrible, je pense que la soupe doit être plus épaisse qu’à Drancy. Peut-être qu’on a plus de pain qu’à Drancy.
Interviewer : Vous n’avez pas trop faim ?
Francine : Non. Je n’ai pas le souvenir d’avoir eu faim à Beaune-la-Rolande grâce aux colis. Et vous savez c’est toujours la même chose, j’am ma mère. Quand il y a une mère avec son enfant, celui qui doit avoir faim, c’est la mère. Peut-être que maman a faim... j’en sais rien. Moi, avec mon égoïsme d’enfant, je mange.
Interviewer : Il y a d’autres enfants à Beaune-la-Rolande ?
Francine : Oui, petit à petit, il va y en avoir. Parce que petit à petit, il va y avoir tous les enfants de prisonniers qui sont arrivés à ce moment-là. A ce moment-là donc ils ont décidé, les autorités, ont décidé de garder les femmes et enfants de prisonniers, de respecter les Conventions de Genève. On va pas nous déporter. Je crois que c’est à ce moment-là que nous avons eu le statut d’otages. Nous devenons des otages. Donc on nous garde, à peu près en bonne santé, parce que nous pouvons servir de monnaie d’échange. Donc, petit à petit, il va y avoir des femmes et enfants prisonniers et il y aura des enfants… autres. Le camp va se remplir. Il y aura une vie sociale, on fera des fêtes, on fera l’école. La directrice de mon école communale de la rue Jouffroy, Mme. Périn m’enverra des livres. J’étais très bonne élève et elle envoie mes livres à Beaune-la-Rolande, mes livres arrivent. Il y a des incarcérés qui vont nous faire la classe. J’ai le souvenir de deux. Il y a en sans dout d’autres. Il y a Mme. Montefiore, cette vieille dame excessivement distinguée qui écrit des poésies si belle qu’elle va nous faire faire dans la classe ; et le banquier Christian Lazard, qui était un monsieur qui a grande allure, qui était arrêté avec ses culottes de golf et qui nous fait la classe lui aussi. Ces gens-là veulent…peut-être que notre bonne orthographe nous vient de là. Merci à eux. Parce qu’ils ont l’esprit chevillé au corps. Et ils pensent que nous serons libérés, il faut que nous, les enfants, nous sachions écrire comme les autres. Ils nous aident. Et à Beaune-la-Rolande, je possède mon cahier de classe de Beaune-la-Rolande. Encore un miracle. Il a réussi à sortir du camp. Je vous le montrerai. Mon niveau scolaire est extraordinaire. Vous verrez – on a fait des cours de sciences, de géographie, d’histoire, de musique, d’orthographe, de calcul ; c’était un niveau bien supérieur à celui de mes petits-enfants qui ont le même âge. Et il y a des chansons dedans, entre autres, une très belle chanson qui est pleine d’espoir. J’aurai dû la prendre pour vous la chanter. Vous voulez que j’aille vous la chercher et que je vous la chante? Parce que cette chanson, elle est très belle, elle a des mots … quand on pense que tous ceux qu’ils l’ont chantée, sauf moi, sont morts... et qu’elle a tellement d’espoir ! Bon, donc Beaune-la-Rolande, c’est formidable. Les autorités nous permettent d’aller chercher un piano. Ma mère qui est une remarquable pianiste puisque c’est une femme qui, avant la guerre, faisait entre 4 et 6 heures de piano par jour. Ma mère va pouvoir jouer. Elle donne un concert. Puis on a des tas de gens-là – on a Max Viterbo, acteur de la Cigale qui est un théâtre parisien très connu à l’époque, on a Marguerite Solal qui est une chanteuse style un peu… pas Edith Piaf mais une autre… j’oublie. On a des tas de gens…on a Marcel Lattès qui est un compositeur…on a Franck qui est directeur des choeurs de l’Opéra, enfin des tas de gens bien entendu. Quand on arrête des Juifs, on aura beaucoup d’intellectuels aussi. Alors on va pouvoir monter des quantités de spectacles, faire des choses extraordinaire parce qu’un prisonnier, ça fait toujours des spectacles. C’est connu. Et on va faire des tas de choses. Moi, j’ai fait un spectacle, j’ai dansé la bourrée auvergnate parce que je pense que je suis une très bonne danseuse de bourrée auvergnate. Et puis, les conjoints d’Aryens, car à Beaune-la-Rolande, il y a aussi les conjoints d’Aryens. C’est-à-dire les hommes mariés à des Catholiques, les femmes pareil. Les Protestants seulement ont droit à des visites. Leurs conjoints pouvaient venir les voir.
Il y aura quelques libérations. Une femme qui est, par exemple, de la famille des banquiers Finali ( ?) et qui arrivera à se faire passer pour folle, et qui arrivera à sortir du camp. Il y a deux, trois miracles. C’est formidable. Jusqu’au jour où, patatra, tout change. Et là, le mot déportation revient.
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CASSETTE 4
http://os.pennds.org/melanieperonvideo/Lorch_Francine-4590-04-V01-5000000003257768.mp4
Interviewer : Madame Lorch, voulez-vous nous chanter la chanson de Beaune-la-Rolande ?
Francine : Oui. Je vais vous chanter cette chanson parce que c’est une chanson qu’on chantait dans le scoutisme même avant la guerre, tous les gens qui ont fait du scoutisme la connaissaient. Donc forcément à Beaune-la-Rolande, j’avais forcément des scouts avec moi. Et c’est une chanson qui est pleine d’espoir et je trouve qu’avec le recul chaque mot compte quand on sait ce qui s’est passé après. Cette chanson m’a été donc enseignée par des gens qui sont tous morts, je suis donc la seule du groupe qui soit vivante.
Unissons nos voix avant de nous quitter
Je vais parcourir d'autres lieux
La vie est si douce et le monde si beau
Entonnons ce dernier adieu.
Je vais par le monde, emportant ma joie
Et mes chansons pour bagages
Je chante l'amour et je chante ma foi
Je pars pour un très long voyage.
Je vais par les villes et je vais par les champs
Mon coeur ne connait pas la haine
Mes poches sont vides et je lance mes chants
Qui sonnent très haut dans la plaine
Et si je rencontre la mort en chemin
Fauchant parmi les rangs des gueux
Et oui, je pars prêt pour mon dernier voyage
Je dirai mon dernier adieu.
Je vais par le monde, emportant ma joie
Et mes chansons pour bagages
Je chante l'amour et je chante ma foi
Je pars pour un très long voyage
Ils l’ont tous fait le long voyage, ceux qu’ils l’ont chantée avec moi. Je trouve que chaque mot compte quand on sait ce qui s’est passé. Cette chanson-là, elle est dans mon cahier d’écolière de Beaune-la-Rolande qui est un cahier très spécial – je vous montrerai tout à l’heure – puisque la couverture, elle est faite d’une espèce de papier qui servait à colmater les trous dans les baraques quand il pleuvait sur nous. Voilà.
Alors la vie de Beaune-la-Rolande donc, elle va basculer du jour au lendemain quand on va parler des déportations. Et là vont partir plein de gens auxquels je me suis attachée. D’abord un cousin germain de ma mère qui s’appelle Pierre Norman qui n’a même pas 25 ans, qui a été arrêté à la frontière espagnole en essayant de rejoindre de Gaulle. Et puis des tas de gens qui sont devenus mes amis. Un monsieur, que j’appelle Léni, un gendarme juif qui est déporté dans son uniforme, et puis, des tas de gens que j’ai aimés. Et là, je recommence à avoir peur. J’y suis restée presqu’un an à Beaune-la-Rolande et j’y ai jamais eu peur. Mais là, ça y est, ça recommence. Quand je vois tous ces gens partir, je recommence. Et puis, c’est nous qui allons partir. Et on va nous ramener à Drancy.
Interviewer : Quel mois, Madame Lorch, Drancy ? C’était le printemps ou l’été.
Francine : Ah, c’est marqué… Attendez voir, étant donné qu’on va rester un an à Drancy et qu’on quitte Drancy au printemps... je ne sais plus.
Interviewer : Ca ne fait rien.
Francine : Vous, vous le savez. Vous avez lu mon récit, il faut que je retrouve mon récit.
Interviewer : Dans votre récit vous dites que c’est le 21 juin 1943.
Francine : C’est ça, c’est juste après la date de l’anniversaire de mon père. Oui.
Interviewer : Vous pouvez raconter votre arrivée à Drancy ?
Francine : Oui.
Interviewer : Le voyage déjà de Beaune-la-Rolande à Drancy, il s’effectue comment ?
Francine : Il y a un voyage dont je ne vous en ai pas parlé, je crois que c’est celui de Beaune-la-Rolande à Pithiviers. C’était le pire de tous. Il se fait en wagon de bestiaux. Et Beaune-la-Rolande – Pithiviers, c’est tout près. Il y a quelques kilomètres. Et on le fait… je ne me souviens plus…en une nuit entière, quelque chose comme ça. C’est quelque chose d’affreux. Je ne sais plus si c’est là où on nous jette dans les wagons avec les chiens. J’ai eu si peur. Ca se trouble. C’est quand les chiens ? C’est à Beaune-la-Rolande ou c’est ... bon, je mélange là.
Interviewer : En tout cas, Madame Lorch, vous parlez du voyage quand vous quittez Pithiviers pour arriver à Beaune-la-Rolande.
Francine : Oui, celui-là, c’était une horreur.
Interviewer : Et est-ce que vous vous souvenez du voyage donc de Beaune-la-Rolande à Drancy en juin 1943.
Francine : Plus maintenant.
Interviewer : Et de votre arrivée à Drancy ?
Francine : Oui, il y a une chose qui m’a frappée toute de suite à l’arrivée à Drancy. C’est que les internés en nous voyant avec nos étoiles jaunes peintes au pochoir avaient l’air affolés et ils sont vite, vite allés au magasin d’habillement, nous chercher des vraies étoiles pour qu’on se les mettent, parce qu’ils nous ont dit “Surtout ne gardez pas ces étoiles-là, c’est pas du tout le même régime, si on vous voit avec ça à Drancy, on va vous punir”. Ca, je me souviens très bien. Bon, je me souviens également quand on nous a mis dans un bloc à part. On a mis dans un bloc, toutes les femmes et enfants de prisonniers, tous les gens, en principe, qui n’étaient pas déportables. Il y avait également le fameux Bloc 3 qui était le bloc des gens que nous pensions être plus privilégiés que nous encore, qui, en fait, seront tous déportés : c’était la direction du camp ou les gens qui faisaient partie de l’UGIF. Ceux-là, ils partiront aussi. Je me suis fait une petite amie là, Myriam [Baur], elle est partie avec sa famille. Je l’ai enviée parce qu’elle avait son père avec elle, et bien elle l’a eu jusqu’au bout.
Interviewer : Quelle différence entre Drancy en été de 43 et Drancy en 42 ? Que trouvez-vous de nouveau ?
Francine : Alors ça va changer parce que, d’abord, on va transformer Drancy du point de vue physique. Les Allemands vont vouloir que ce camp, pour leur propagande, passe pour un camp merveilleux, un camp de recrutement de Juifs avant de les transporter dans un autre pays où on les fera travailler et donc le travail sera fait bien entendu par des gens incarcérés. On va supprimer cet affreux mâchefer, on va le remplacer avec une pelouse. On va faire quelques installations. Ca n’aura plus cet aspect monstrueux qu’il avait en 42. Ca n’est pas si sympathique que ça, eh. C’est caché. C’est-à-dire dire qu’il y a des caves où on torture, mais ça se voit moins. On aura droit à une synagogue ; on aura droit à des spectacles ; on aura le droit à tout un tas de belles choses. Mais, il y aura tout de même la création des escaliers de départ. Maman va y travailler. Monsieur Alphen, il est mort malheureusement. Monsieur Alphen était le chef des escaliers de départ, Maman était son adjointe.
Interviewer : Vous vous souvenez du prénom de Monsieur Alphen ?
Francine : Non.
Interviewer : Il avait quel âge ?
Francine : Non … il était plus âgé que Maman. Mais je ne me souviens plus. J’ai eu l’occasion de revoir sa fille.
Interviewer : Elle s’appelle comment ?
Francine : Je ne sais pas … elle est mariée … je ne me souviens plus. J’ai eu l’occasion de dîner chez des amis avec elle. Si vous voulez, je peux facilement vous la faire rencontrer. Donc, Maman était adjointe aux escaliers de départ. C’était un boulot effroyable parce que, dans ce Drancy qui était devenu si beau, les déportations se succédaient et les gens vont arriver, passeront quelquefois une nuit à Drancy et partiront immédiatement. Ils partent pour ce qu’on appelle Pitchipoï. Nous ne savons sait pas ce que c’est Pitchipoï. Il y en a qui ont des prémonitions, qui se suicident. Très peu. Il y a peu de suicides. J’en ai peu vu finalement. Et Maman va faire ce travail qui est quelque chose d’abominable ; qui va lui ébranler la santé pour toute la vie d’ailleurs. C’est affreux de préparer les gens à partir quand on sait qu’ils vont certainement mourir. Et qu’on ne peut pas leur dire parce que si elle leur disait ce qu’elle a entendu, elle, à la Radio anglaise, ça serait peut- être pire. La mort serait peut-être là mais dans des bains de sang. Il y en aurait peut-être plus encore qui mouraient. Donc, elle ne peut pas se permettre de le dire. En plus, elle n’en est pas sûre. Elle a entendu ça elle à la radio mais elle n’est pas sûre que c’est vrai. Il faut pas leur faire perdre l’espoir à tous ces gens-là. Et cette préparation, ce travail qu’elle fait dans les escaliers de départ, c’est épouvantable parce que les gens qui partent…on fait partir n’importe qui…on fait partir les vieillards, les grand vieillards…on fait partir les malades, on fait partir les comateux…on fait partir les femmes qui viennent d’accoucher… ou les femmes enceintes…on fait partir les bébés qui viennent de naître.
Interviewer : Vous avez vu tout ça Madame ?
Francine : Tout ça j’ai vu. Tout ça, j’y assiste des fenêtres de mon bloc. Tout ça…je les vois partir. Je vois ma mère qui s’occupe d’elles, qui court comme une folle pour trouver, pour faire une bouillotte dans une bouteille à quelqu’un qui a mal au ventre…pour aider quelqu’un qui vient d’avaler du gardénal pour se suicider. Pour…qui court quelquefois chez nous pour prendre son propre pull-over pour le donner à ces gens-là parce qu’il y en a un qui a froid…pour se priver de sa nourriture pour le donner…n’importe quoi, elle essaie de les soulager, elle essaye de faire n’importe quoi. En plus, moralement, c’est épouvantable pour elle parce que tous ces gens qui partent parmi eux il y en a certains qui lui disent, “Mais vous restez, vous ? Pourquoi restez-vous ?” Elle explique pourquoi elle elle reste mais elle est malheureuse de rester ; effectivement, elle pense que c’est injuste. Pourquoi est-ce qu’elle a le droit de rester parce que son mari est prisonnier de guerre ? Et qu’elle est un otage ? Donc nous allons être un groupe d’otages assez conséquent ; à la fin nous serons environ 80 enfants et pas loin de 200 femmes. Et il y en a parmi nous quelques-unes qui ne sont pas des vraies femmes des prisonniers, qui l’ont fait croire en arrivant à se débrouiller, à montrer des lettres qu’on leur a passées. Il y a parmi nous des femmes arrêtées partout, il y en a quelques-unes qui sont d’authentiques Résistantes, qui ont été arrêtées dans la Résistance, certaines venaient de Lyon d’ailleurs et qui ont été reconnues comme juives et mises parmi nous. Il y en a de tous les milieux et il n’y a pas que des Françaises parmi nous, il y a des Polonaises dont les maris ont servi dans l’armée française à titre étrangers ou certaines parce que les maris étaient soldats français mais elles n’avaient pas encore été naturalisées. Il y en a parmi elles, certaines qui parlent Yiddish, une langue que nous ne comprenons pas du tout, du tout. Ca les étonne d’ailleurs. Elles sont très étonnées que des Juifs puissent ne pas comprendre le Yiddish mais nous sommes obligés de leur expliquer pourquoi mais elles ont beaucoup de mal à comprendre. Effectivement, ne parlent pas Yiddish toutes les familles juives occidentales. Où l’aurait-on appris?
Interviewer : Est-ce qu’il y a une sorte d’école à Drancy ?
Francine : Oui, il va y avoir des quantités de choses à Drancy. Je vais même suivre les cours d’un rabbin. Je crois que c’est le rabbin de Lyon, dans mes souvenirs, qui était un type absolument formidable ; on l’oblige à raser sa barbe d’ailleurs, les autorités l’obligent, et ce rabbin est un homme merveilleux qui va nous faire la classe et qui va même m’apprendre un peu d’Hébreu. À la fin de mon séjour à Drancy, je sais lire l’Hébreu sans le comprendre mais je sais le lire. Et je connais même une prière que je peux chanter, non, je peux réciter.
[récite la prière]
Je l’ai appris dans 1943. Je le sais encore. Je ne l’ai jamais récité depuis. C’est drôle.
Interviewer : Vous aviez dix ans ?
Francine : Oui. C’est drôle. Ca s’arrête. Je ne sais plus la suite. [chante en Hébreu] Mais j’espère que ce rabbin-là, il est à la droite de Dieu, qu’est-ce qu’il était bien. Il était formidable. Et il ne savait pas le Yiddish non plus ! Mais il était lui aussi patriote.
Interviewer : Vous restez combien de temps à Drancy la seconde fois ?
Francine : Un an. Alors on va en voir défiler du monde
Interviewer : Et puis, vous en partez quand ?
Francine : Au printemps 1944. Alors il y a des femmes de prisonniers parmi nous qui sont occupées à travailler chez Levitan. Levitan était un marchand de meubles très connu avant la guerre qui était d’ailleurs d’origine juive et, comme il a des entrepôts très grands, c’est là qu’on va stocker tous les meubles qu’on prend dans tous les appartements juifs puisqu’on vide tous les appartements juifs. Et il y en a plusieurs parmi nous dont le travail est d’aller travailler tous les jours chez Levitan, emballer les meubles, les objets, les bibelots, tout ce qui part pour l’Allemagne. Et nous, nous avons appris que notre appartement a été vidé, que tout est parti, même mes jouets. D’ailleurs, quand on a vidé notre appartement, nous avons appris par des gens qui faisaient partie de la Résistance que nos voisins, qui nous connaissaient très bien dans notre quartier, tous nos voisins, ont assisté à ça. Il y a un boche qui s’est amusé avec ma poupée et les gens se sont mis à gronder en voyant ça, et il a cessé. Et donc, on ne perd jamais son sens d’humour, il y a des femmes qui reviennent de chez Levitan, je me souviens très bien, en racontant qu’elles ont assisté ou qu’elles ont emballé même les meubles... Il y en a une qui a dit : “ J’ai emballé la salle à manger de ma belle-mère, je ne l’aimais pas du tout cette salle à manger.” Je m’en souviens encore. Le sens d’humour ne se perd jamais. Alors, maman fait ce travail abominable ; elle aussi, c’est une sorte d’emballage. Faire partir tous ces gens. C’est quelque chose d’horrible, ces escaliers de départ, je ne peux pas arriver à rendre l’horreur de ces escaliers de départs. C’est monstrueux, vous savez ; c’est compté, un départ, ça doit faire mille, pas 999. Et quelquefois, il en manque parce qu’il y en a qui sont morts entre temps, il y en a dans le coma qu’on a transporté autre part, il y en a un qui peut se cacher sous un escalier. Je me souviens que des fois Monsieur Alphen disait à maman : “Madame Christophe vite vite vite rentrez dans votre bloc ! Il en manque, il en manque vous allez être prise, vite vite vite, sauvez-vous !” Elle avait du mal à se sauver parce qu’elle voulait tellement les aider, les aider. Elle arrivait dans notre chambre, elle se jetait sur notre paillasse. Elle sanglotait. C’était abominable ce qu’elle faisait et elle l’a fait jusqu’au bout. Il faut voir ce que c’est, ces départs, et le matin dans ces autobus parisiens. Tous ces gens qu’on emballe. Je me souviens, une fois, il y avait tout un groupe d’enfants, ils avaient eu … la scarlatine… mon dieu qu’ils étaient malades…ils sont tous partis. “On va les soigner !” Puis, en même temps, il y avait l’orchestre. En même temps, maman qui était donc cette grande pianiste a dû donner des récitals pour ces gens qui partaient. Et les Allemands s’y connaissaient bien la musique, ils sont venus écouter bien entendu. Ils ont bien vu qu’elle avait du talent. Ils l’ont filmée pour un film de propagande ; ils ont dû se régaler en écoutant son Chopin, elle était une sacrée spécialiste…de Chopin et de Schumann. Mais elle jouait bien La Cathédrale Engloutie de Debussy. Quand il y avait un départ, une grande déportation, qu’elle était vraiment dans un état épouvantable, elle s’en allait jouer La Cathédrale Engloutie au piano parce qu’à un moment, vous savez, on sent que l’eau monte, l’eau monte et tout le monde va mourir. Et longtemps après la guerre, quand ma grand-mère est morte, elle s’est mise au piano et elle a joué La Cathédrale Engloutie. J’ai encore ma mère et quand elle mourra, j’ai préparé une cassette pour qu’au-dessus de sa tombe, on joue La Cathédrale Engloutie.
Alors, après Drancy, donc on était otages. Je ne sais plus ce qui s’est passé à ce moment-là – est-ce que c’est à cause de la Résistance ou ça a été une punition ? Je ne sais plus. Donc ils ont décidé de nous déporter nous aussi, les femmes et enfants de prisonniers.
Interviewer : Vous l’avez su combien de temps avant le départ, Madame Lorch ?
Francine : Quelques jours en avance, peut-être. Sans doute quelques jours avant parce que je me souviens que toutes les mères ont fait des provisions pour partir. Elles ont toutes fait des paquets. Tout ce qu’on pouvait garder qui était venu… soit ce qu’on avait pu garder du camp, ce qui n’était pas colossal, et surtout des colis parce qu’on avait encore droit aux colis. Elles ont gardé ça, elles ont fait des paquets. Et puis, on est partis. On est partis par la Gare de l’Est, en camion. Pas par les autobus parisiens. On est partis par la Gare de l’Est et je me souviens très, très bien. La Gare de l’Est, je me souviens très bien, je nous vois parqués sous les arcades de la Gare de l’Est, gardés par des soldats en armes bien entendu, des femmes et des enfants, et il y en avait des tout petits. Et les gens passaient. C’était le matin de bonne heure donc les gens passaient pour aller à leur travail. Il y en avait qui passaient en baissant la tête ; il y en avait qui passaient en levant la tête, en nous regardant. Il y avait des regards, des regards de sympathie formidables. Il y avait même quelquefois une main qui se levait. Et là, il y a une de nos compagnes Rose-Marie Leriche. Elle parlait très bien l’allemand. Il y avait un des Allemands, un vieux boche, je ne sais pas ce qu’il lui a pris, elle lui a dit en nous montrant, nous les enfants “ “C’est beau ce que vous faites, vous n’avez pas honte ?” Et alors-là, encore un miracle ! Au lieu de la taper, il a répondu : “Nous serons punis un jour.” C’est la seule fois de notre vie, de toute notre incarcération, que nous avons entendu une phrase comme ça. C’était un vieux. Peut-être que… c’était pas un SS. Mais vous me direz que la Wehrmacht faisait les mêmes erreurs. Mais celui-là, il a peut-être compris.
Interviewer : Madame Lorch, vous vous souvenez du jour ou du mois de votre départ de la Gare de l’Est ?
Francine : C’était au mois de mai 1944. Donc nous sommes partis avec un espoir fou parce que nous étions sûrs que les Alliés allaient arriver, ce n’était pas possible autrement. Ca allait se finir enfin cette erreur.
Interviewer : Le voyage se passe comment ?
Francine : Le voyage se passe bien pour nous puisque que, nous, nous sommes des otages, il n’y a pas de wagons de bestiaux. Nous sommes partis dans des trains de 3ème, mais c’est même aberrant, c’est l’illogisme du délire Nazi. Il y a des gens dans le train qui, pour aller jusqu’au wagon restaurant, ont traversé notre propre wagon. Il nous restait quelques sous, nous avons pu acheter deux trois trucs au wagon-restaurant, vous savez. C’est aberrant, ce truc-là.
Interviewer : En général, vous étiez habillés comment ?
Francine : Normalement, nous avions nos vêtements, qui étaient vieux et terriblement rapiécés, mais enfin nous avions nos vêtements.
Interviewer : Vous étiez en bon état physique, en général ?
Francine : Oui, nous étions pas en trop mauvais état physique malgré nos longs mois d’incarcération ; nous avions eu droit au colis. Ça change tout quand on a des colis On n’était pas gros mais on n’était pas au dernier seuil, comme ce sera plus tard
Interviewer : Est-ce que vous savez où vous êtes dirigés ?
Francine : Non, on n’a pas compris. Je ne me souviens plus ce qui s’est passé, si on l’a entendu ou lu ou vu. Nous avons su que nous partions à B.B. La naïveté... On est toujours naïfs décidément. C’est la naïveté des gens se faisant arrêter pensant qu’ils vont être sauvés par le Maréchal Pétain. C’est la même naïveté qui prévaut quand on pense amener à B.B. B.B. ça peut être Baden-Baden, c’est une ville d’eau, il y a des hôtels, c’est très, très bien. C’est là qu’on va aller. Alors on part dans ce train. Le voyage, la première partie n’est pas épouvantable. On passe par les Ardennes belges. C’est très intéressant. On regarde. L’endroit où le fameux roi des Belges, Albert, s’était tué dans la montagne. Et puis, on pénètre en Allemagne. On a changé de train. A Hanovre, on a subi un bombardement de la gare. Là aussi, on nous fait mettre dans un abri avec des civils allemands, des militaires allemands. Nous sommes des otages. Alors, on n’est pas battus, on nous fait rien de mal. Et puis on reprend un autre train. Le dernier train, quand même, il est moins confortable. Mais il y a quelque chose quand même quelque chose qui nous étonne : on n’a plus les mêmes gardiens, on a des « Gestapistes », des types avec les longs manteaux de cuir. Ca, ça a quelque chose de plus inquiétant. Puis quand on arrive, B.B., une surprise, ce n’est pas Baden-Baden. C’est Bergen-Belsen. Ca ne nous dit pas plus. Ca va nous dire quand on va franchir les portes du camp.
Interviewer : Quelle est votre première image ou votre premier souvenir de découverte de Bergen-Belsen ?
Francine : Les prisonniers russes d’abord parce que Bergen-Belsen a d’abord été un camp de prisonniers russes, donc on aperçoit les prisonniers russes. Ils sont pas beaux à voir parce que les prisonniers russes, on le sera plus tard, sont condamnés à la mort par la faim. Ca a été le sort de tous les prisonniers russes.
Interviewer : Ils sont habillés comment ?
Francine : Ils sont en uniforme. Je vois ça vaguement. Et puis alors, on arrive dans nos baraques. Bergen-Belsen est séparé en plusieurs camps et il y a notre enclos qui deviendra plus tard ce qu’on appellera «le camp de l’étoile ».On nous met dans notre enclos. Il y a des baraques. Nous débarquons avec nos paquets. Je crois me souvenir que nous sommes entourés, comment dire, pas agressés, mais on nous saute dessus, gentiment, par les Hollandais qui sont là avant nous. Et on nous apporte la soupe, je me souviens de cette soupe. Peuh ça nous semble monstrueux. Il y a quelques racines avec la terre dedans. Nous la refusons. Et les Hollandais qui sont là, nous la demandent notre soupe. Comment peuvent-ils manger ça ? Nous arrivons de Drancy où nous avons une soupe lavée, des légumes lavés. Nous mangeons ce que nous avons dans nos colis. On a vite changé.
Interviewer : Pardon de vous faire revenir un peu en arrière. A la descente du train vous voyez que les prisonniers ? qui vous aide à descendre du train? Il y a des gens ?
Francine : On nous met dans des camions. Des camions nous amènent.
Interviewer : Et c’est des prisonniers ou c’est des … qui vous reçoit ?
Francine : Les Allemands en uniforme. Les SS qui nous appellent par ordre alphabétique et qui écorchent nos noms d’ailleurs et qui ne sont pas contents quand nous de comprenons pas mais peut-être que nous comprenons pas exprès. Pour les faire répéter.
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CASSETTE 5
http://os.pennds.org/melanieperonvideo/Lorch_Francine-4590-05-V01-5000000003257769.mp4
Interviewer : Vous en êtes dans votre récit au 7 mai 1944 à votre arrivée à Bergen-Belsen, avec votre mère. Vous avez des petits objets avec vous et vous êtes reçues par des prisonniers hollandais.
Francine : Déportés hollandais.
Interviewer : Déportés hollandais, pardon. Vous voulez bien continuer votre récit ?
Francine : Alors, le début à Bergen-Belsen… bien entendu, c’est horrible, c’est un camp, mais ça n’est pas aussi horrible que ça va le devenir parce que, au départ, comment vous dire ? On est logées dans une baraque, on a une paillasse par personne, on a la possibilité d’aller se laver, et on arrive même… c’est toujours cette… comment dire… cette force que l’être humain a en lui. Un exemple : ma mère se dit « Tiens, on va peut-être là pour un moment, il faut que ma fille apprenne l’allemand. » Et il y a une Hollandaise, maman lui dit : « Je vais vous payer. Je vais vous donner un peu de pain. Vous allez donner des leçons d’allemand à ma… » parce qu’elle parlait couramment allemand. Maman lui donne ou un peu de pain ou un peu de soupe, je ne sais plus quoi et elle me donne des leçons d’allemand. Vous voyez, il y a une vie sociale, c’est plus fort que soi. On essaie toujours de créer quelque chose, de tenir. Alors on s’organise et… bien entendu que c’est horrible, il y a les appels et tout est affreux mais on a tellement d’espoir. Tellement d’espoir. Ca va très vite changer. Tout de même, ma mère est nommée chef de baraque là aussi. Elle sera toujours reconnue comme… elle qui est d’une douceur extraordinaire, qui a toujours été d’une douceur extraordinaire, sera connue comme une femme forte, qui tient le coup. C’est une très grosse responsabilité d’être chef de baraque parce que les mères, pendant la journée, vont toutes travailler en commandos. Donc, ma propre mère a la responsabilité de tous les enfants et de ces 80 gosses. Il faut les tenir propres. Il y avait tout de même la vermine qui allait nous envahir. Il faut qu’on mange, il faut qu’on soit propres, il faut qu’on soit pas malades. Et c’est elle qui doit s’occuper de ça. Elle a la responsabilité également des malades, de ceux qui ne vont pas travailler en commando. Donc, s’il y a des faux malades, c’est elle qui sera punie. Elle a la responsabilité de la propreté de la baraque. C’est un très gros boulot. Et comme toujours, elle le fait avec dévouement. Et c’est très dur d’être chef de baraque de mères avec des enfants. Il n’y a pas, parmi nous, la même fabuleuse solidarité qu’il y a dans les autres camps. Dans notre groupe, je veux dire. Non pas qu’on se fasse du mal. Loin de là. Mais il faut comprendre, chaque mère défend son gosse avant tout. Donc, s’il y a quelque chose, c’est pour son gosse – ce qui est bien normal ! Donc, on se défend moins les unes les autres, tout en… il y a tout de même une solidarité mais c’est son propre gosse d’abord. C’est tout à fait normal. Alors, il y a parmi nous des gens… ça va être un camp un petit peu spécial, ce camp de Bergen-Belsen. Ces Hollandais, qui sont là, qui nous attendent, ce sont les diamantaires d’Amsterdam. Ils sont aussi jugés comme privilégiés, comme otages parce que les tailleurs de diamants, ça peut être très utile pour les Allemands. Ils en ont besoin pour leur industrie de guerre de tailleurs de diamants. D’ailleurs, il se passera quelque chose d’épouvantable, quelque temps plus tard, c’est que les Hollandais refuseront de travailler pour les Allemands. Et on les séparera de leurs familles alors que là, ils sont arrivés en famille. Et puis, il y a parmi nous, des gens qui sortent un peu de l’ordinaire. Pourquoi… je me souviens de Pierre Ogouz qui est un journaliste français… pour quelle raison est-il là ? Je ne le sais pas. Il y a M. Reinach, qui est un conseiller d’Etat, qui est déporté avec sa femme. Il y a M. Meyer qui est le maire du Havre. Il y a plusieurs personnalités avec nous mais je ne saurais dire pourquoi.
Interviewer : Vous vous souvenez bien d’eux ?
Francine : Plus ou moins. Le journaliste Pierre Ogouz, oui, très bien. Il est mort du typhus. Je me souviens de lui parce que… il était fabulauex, il nous racontait des histoires bien entendu. Même à Bergen-Belsen, on raconte des histoires, on se chante des chansons, on se récite des poèmes etpuis, on se donne des recettes. Je vous en parlerai après des recettes. Tous les gens qui ont eu faim se donnent des recettes. Oui, Pierre Ogouz, je me souviens très bien parce qu’il était collectionnaire d’autographes et il nous racontait que, petit garçon, il avait sauté sur le cheval du Maréchal Foch pour avoir l’autographe de Foch. Alors, la vie à Bergen-Belsen, au départ, les enfants arrivent même en l’honneur de ma mère, pour le 20 août de son anniversaire, à lui faire une petite fête. J’ai encore le programme de cette fête. Parce qu’on a encore un peu de papier, on a encore quelques crayons et on a fait un programme.
Interviewer : Est-ce que, Mme Loch, est-ce que votre grand-mère ou votre père, est-ce que quelqu’un de votre famille sait où vous êtes ?
Francine : Alors, mon père le sait parce que, toujours par cette drôle de Conventiond de Genève qui stipule que le prisonnier de guerre doit avoir l’autorisation d’écrire à sa famille et doit recevoir des nouvelles de sa famille, il va dont avoir le droit… il va donc apprendre que sa femme est déportée à Bergen-Belsen. Il aura donc le droit de nous écrire à Bergen-Belsen. Et nous aurons le droit de lui répondre. Les premières lettres sont en français mais très très vite on doit écrire en allemand. Ce qui pose un problème pour nous. Bien entendu, il faut trouver au bon moment quelqu’un qui puisse nous traduire la lettre, pas toujours facile. Et c’est mon père, je crois, qui va apprendre à ma belle-mère… à ma grand-ère, pardon, que nous sommes déportées, parce que nous n’avons pas, nous, de rapports avec ma grand-mère. Ma grand-mère se cache. Ma grand-mère, elle est à Paris, elle se cache comme Juive et elle se cache comme Résistante. Elle est dans un réseau qui récupère les pilotes anglais et américains dont les avions ont été touchés et qui sont tombés en parachute sur le sol de France.
Interviewer : Est-ce que vous vous souvenez du nom de ce réseau, Madame ?
Francine : Pas du tout mais je me souviens… pas du tout, je ne me souviens pas du nom du réseau, je ne l’ai jamais su mais je me souviens qu’il y avait dedans, l’Abbé Ménardais, l’abbé Ménardais était le curé de Chalmaison à côté de Provins, et c’était également l’aumônier des danseurs de l’Opéra. L’abbé Ménardais était un type absolument extraordinaire qui a sauvé des dizaines de Juifs dans la maison d’orphelines qu’il avait à côté de sa cure, à Chalmaison. Il a caché des armes dans son clocher, il a caché des armes dans les tombes, il a fait des choses fabuleuses. Et il y avait également dans ce réseau, Madeleine Baruch. Madeleine Baruch était pharmacienne rue Duphot, c’était une voisine de ma grand-mère, et comme elle parlait très bien allemand, elle interrogeait tous les officiers allemands qui venaient chez elle, elle leur vendait des parfums, des souvenirs de Paris pour leurs femmes, elle les embobinait et elle arrivait à savoir des quantités de renseignements pour son réseau et, au point que, les gens du quartier croyaient qu’elle était collaboratrice et que, le jour de la Libération de Paris, ma grand-mère a dû se précipiter chez elle en lui disant « Vite, vite, Madeleine, mettez votre brassard de Résistante, on croit que vous êtes une collboratrice ! On va vous tondre la tête, vite ! vite ! vite ! » Les gens du quartier n’en revenaient pas mais c’était vraiment une très grande Résistante.
Interviewer : Madame Loch, si vous voulez bien, on va aller dans des souvenirs un peu plus personnels. En été 44, vous avez 11 ans et vous avez déjà 2 ans d’internement. Comment vous, petite fille, vous arrivez… vous pouvez comprendre quelque chose même du système ? Est-ce que vous avez faim ? Est-ce que vous avez froid ? Comment…
Francine : Depuis 2 ans, je suis d’abord enfermée. Même si mon incarcération est relativement privilégiée, comme je le dis toujours, je suis déjà enfermée. Un enfermement, ça veut dire un fil de fer barbelé et voir la liberté de l’autre côté, du fait du fer barbelé. C’est déjà quelque chose d’abominable quand on est une petite fille. J’ai donc subi, comme je vous l’ai dit, la faim, le froid, j’ai vu la séparation de quantités, de quantités de personnes, y compris ces enfants avec une telle peur que ça m’arrive. Tout fait peur. J’ai même peur qu’on me tonde la tête, vous voyez ? Ca a l’air bête comme ça mais une tête tondue, c’est quelque chose de terrible pour une petite fille de cette époque où on a toujours de si beaux cheveux longs. J’ai toujours peur qu’on me tonde.
Interviewer : Vous avez vu des enfants tondus ?
Francine : Bien sûr.
Interviewer : Et à Bergen-Belsen ?
Francine : Non, quand nous arrivons justement nous sommes des otages, on nous laisse nos cheveux. On nous laisse nos vêtements. Mes cheveux… ils vont devenir quelque chose d’innommable. Ma mère va me les couper tout courts, tout courts, tellement je serai envahie par les poux. J’aurai ce qu’on appelle de l’impetigo, j’en ai eu en France d’ailleurs. L’impetigo, ce sont des croûtes répugnantes. Les croûtes arrachées, on n’aura pas ce qu’il faut pour les soigner. A Bergen-Belsen, on va tondre tout autour. Mais j’aurai quand même « trois cheveux sur la tête ». C’est mieux que d’être complètement tondue. On aura des poux de corps aussi. Les poux de corps, c’est différent. On les appelle les poux boches parce qu’ils ont un dessin sur le dos. Ca gratte.
Interviewer : Quel dessin ?
Francine : Une espèce de croix-gammée. C’est pour ça qu’on les appelle les poux boches. J’ai eu faim. Et la faim à Bergen-Belsen, elle va être de pire en pire parce que, les paquets qu’on a faits, ça va s’épuiser. Ca va pas durer longtemps. On va vite la manger la soupe ! Avec le sable, avec la terre dedans. Et on aura faim, la vraie faim. La faim qui fait vraiment voir le mal. Jusque-là, j’ai eu faim, certaines fois j’ai eu faim au point de dire à maman « J’ai faim, maman ! J’ai faim ! » Mais, c’était pas torturant. A Bergen-Belsen, ça va être une faim torturante. C’est-à-dire une faim qui fait vraiment mal, qui fait mal au ventre, qui fait qu’on a envie de se rouler par terre en criant. Et moi, je vais lui dire à maman, parce qu’une mère, ça vous a mis au monde, une mère c’est donc fait pour vous apporter le bonheur. Et je vais le lui reprocher. Je vais tout le temps lui dire que j’ai faim pour qu’elle le sache bien, pour qu’elle le comprenne bien. Ma pauvre mère ! Je ne la laisse jamais tranquille. Chaque fois que j’ai faim, je lui dis « Maman, j’ai faim ! » Alors, elle a encore plus mal. Mais je ne peux pas m’en empêcher. J’ai besoin de lui faire mal. J’ai si mal moi-même. J’aurai une crise d’appendicite aussi à Bergen-Belsen. Quand on a vu l’état de l’infirmerie, on s’est dit qu’il valait peut-être mieux pas me faire opérer. Et puis, on a tous les bobos.
Interviewer : Est-ce que vous… alors donc vous n’avez pas été opérée ?
Francine : Non, parce que le médecin du camp a dit à maman « Si elle tient le coup, je veux pas l’opérer. Je ne peux pas. D’abord, je n’ai pas d’anesthésiants et puis j’ai rien. C’est pas propre. J’ai un bistouri qui est un couteau. Ca s’est passé. J’ai été opérée plus tard. Le régime du camp a changé petit à petit. On a su le débarquement. Je le vois encore. On l’a su, on a sorti une table et on sautait sur cette table en chantant. Le 14 juillet, on a fait quelque chose d’absolument extraordinaire. On avait donc nos vêtements. Nos vêtements étaient dans un état pitoyable, autant vous dire. Ils étaient vieux, rapiécés, troués, vous voyez, tout ce qu’on peut imaginer. Sales. Pleins de poux. Les poux, ça se cache dans les coutures, dans les poches, partout. Mais, on a réussi, le jour du 14 juillet, à habiller de bleu-blanc-rouge les trois femmes qui étaient devant le groupe. Il fallait partir en rangs. Et, les trois femmes qui étaient en rang devant, on les a habillées en bleu-blanc-rouge. Elles sont parties travailler, en commando, en bleu-blanc-rouge. Et il n’y a pas eu de sévices. On n’a jamais compris ce qui s’était passé. Et on a chanté La Marseillaise. Voilà, et puis les jours ont passé. Le camp s’est rempli. Il en venait de partout. On a construit des baraques et des baraques et des baraques. Et les camps qui étaient… les prisonniers russse ont disparu, je ne me souviens pas comment. Ne me demandez pas. Un jour, il y a eu des déportés à la place des prisonniers russes, et c’est tout. Il y avait de plus en plus de déportés, dans tous les coins, en costume à rayures bien entendu. Tiens, j’aurais dû y penser, on parle de camps, j’ai mis une robe à rayures… Il y en avait partout. Ils avaient l’air beaucoup plus malheureux que nous, on voyait bien qu’ils étaient battus, on voyait bien qu’ils mouraient de faim. Et nous, on avait toujours un régime, un peu différent. On n’était pas battus. On avait de plus en plus faim mais on n’était pas battus. On était bien entendu de plus en plus malades. On a commencé à avoir des morts chez nous.
Interviewer : A avoir des… ?
Francine : Des morts. Et puis, le régime a changé. Alors, on avait droit à ces lettres de papa. Dans cet univers fou, on recevait les lettres de papa. Papa avait même le droit de nous envoyer des colis. Tout arrivait. On en a reçu trois. Tois colis. Lui, il se privait dans son camp. Il mourait de faim parce qu’il avait été transporté dans un camp de représailles. J’avais oublié de vous dire que les officiers juifs, ils avaient été mis dans une baraque à part et puis ensuite dans un camp spécial, le camp de représailles qui s’appelait Lubeck. Il y avait tous les officiers juifs là, mêlés à des officiers nobles, mêlés à d’autres officiers qui étaient un peu spéciaux, considérés à part. Il y avait le fils de Léon Blum, il y avait le neveu de Churchill, il y avait le fils de Staline. Il y avait les fils Rothschild. Voilà.
Interviewer : Comment ils ont… pardon, Madame Loch, comment ils ont, dans l’offlag où votre père était prisonnier, comment ils ont su, parmi ces officiers, qui était juif et qui l’était pas ?
Francine : Ils ont été mis dans le… bon, alors attendez. On repart en arrière. Mon père a donc été fait prisonnier. De Laval, il a été envoyé en Allemagne. Là, il a été envoyé dans un grand camp qui était à Nuremberg. Et à Nuremberg venaient des camps des prisonniers de partout. Là, on a fait des sélections et, de là, on l’a envoyé en Autriche au camp de Edelbach qui était l’Offlag 17A. Et c’est là, dans l’offlag 17A que les ordres sont arrivés de mettre les offciers juifs dans une baraque spéciale. Donc, ils ont été mis dans une baraque spéciale. Ca allait. Et mon père n’avait pas été désigné s’appelant Robert Christophe… bon, il n’avait pas été mis. Il est allé se dénoncer. Il est allé se mettre dans la baraque spéciale. Il a dit « Il n’y a aucune raison ! » Des copains lui ont dit « Mais tu as peut-être tort. Tu aurais peut-être… s’il nous arrive quelque chose… » Il a dit « Non, je ne peux pas ! J ene peux pas laisser les autres ». Là, il y a eu des scènes extraordinaires parce que, parmi tous ces officiers, il y en avait qui étaient des collaborateurs, bien entendu, qui ont été des salauds, et puis, il y en avait, des bons catholiques, qui sont venus immédiatement dans la baraque des Juifs. Les Allemands sont arrivés en disant « Pas d’officiers non-juifs ici ! Voulez-vous sortir ! » Et je m’en souviens encore, entre autres, entres autres mais il y en avait beaucoup qui ont fait ça, entre autres, le Général Badoit [orth ?] , enfin qui n’était pas général à l’époque, qui est devenu le Général Badoit qui est maintenant un très vieux monsieur, qui était Intendant Général de France, qui à l’époque était le Lieutenant Badoit, qui s’est retourné vers l’Allemand et qui a dit : « Monsieur, il n’y a pas ici d’officiers juifs ou d’officiers pas juifs. Il n’y a que des officiers de l’Armée Française ! »
Interviewer : C’est votre père qui vous a raconté cela ?
Francine : Oui. Nous avons toujours continué à voir Badoit. Toute notre vie, nous l’avons vu.
Interviewer : Si vous voulez bien, on va revenir maintenant aux tout derniers jours de … disons de janvier 1945 à Bergen-Belsen ?
Francine : Donc, mon père a été envoyé dans le camp de représailles de Lubeck et là, à Lubeck, il sait que nous sommes à Bergen-Belsen. Il sait que les Alliés ont débarqué, que les Alliés envahissent, pour libérer la France, que les Alliés envahissent petit à petit et lui, il sait que les premiers camps ont été libérés. Ca, il l’a appris. Et il sait, entre autres, il connaît l’existence d’Auschwitz. Et il connaît l’existence des camps de concentration. Il sait ce qu’il s’y passe. Il l’a appris dans son camp. Malgré tout, il nous envoie des colis puisque la Convention de Genève lui permet. Ces colis, ils nous arrivent à moitié vidés mais on les reçoit quand même. C’est tout à fait extraordinaire. Et le peu qui nous reste dedans nous sert de troc. Et, donc, je vous le disais, nous avons su le débarquement et, à la façon dont le camp se remplit, nous comprenons que d’autres camps d’Allemagne se vident. Et entre autres, un matin, nous voyons de l’autre côté du barbelé, des quantités de femmes qui sont tondues, qui sont maigres comme des squelettes et qui sont en costumes rayés. Et nous commençons à leur parler à ces femmes, et nous nous apercevons que ce sont des Françaises. Et nous nous apercevons que ces Françaises, il y en a une partie que nous avons connue à Drancy. Ma mère reconnaît des femmes qu’elle a embarquées dans les escaliers de départ. Et nous leur posons des questions à travers le grillage et c’est comme ça que nous apprenons, c’est là, là ! que nous apprenons qu’il y a des camps pires que le nôtre. Il y a des… c’est à ce moment-là que nous apprenons qu’il y a des chambres à gaz et des fours crématoires. Enfin des fours crématoires, non, puisque nous en avons à Bergen-Belsen mais des chambres à gaz. C’est là que nous apprenons que les gens sont systématiquement tués par ces femmes qui sont les rescapées d’Auschwitz, les rescapées de la marche à la mort qu’on a envoyées à Bergen-Belsen.
Interviewer : Donc nous sommes… ça, c’est quel mois s’il vous plaît ?
Francine : Ca c’est janvier 45 ou peut-être un peu avant, je ne sais plus quand se passe la marche à la mort. Auschwitz est libéré en janvier 45, peut-être un peu avant, je ne sais plus mais c’est en plein hiver. Et je me souviens que ces femmes meurent de froid. Entre autres, je me souviens qu’elles n’ont pas de culotte sous de leur robe et c’est nous qui nous cotisons. Il nous reste quelques culottes ; on leur jette ces culottes par-dessus le barbelé. On leur jette ce qu’on a, ce qui nous reste. On s’aperçoit qu’il y a encore plus misérables que nous. Et alors, nous allons hériter de ces femmes et nous allons hériter également de leurs chefs de camp. Et le fameux Kramer, le fameux chef de camp d’Auschwitz, va venir diriger Bergen-Belsen. C’est lui que nous aurons comme chef de camp.
Interviewer : Vous vous en souvenez ?
Francine : Oui parce que le régime change et puis je l’ai vu.
Interviewer : Vous pouvez nous raconter ?
Francine : Oui, alors le régime va changer. C’est certain. Même pour nous. Même pour nous, les privilégiées. On aura de moins en moins à manger, on sera de plus en plus entassées parce que, comme le camp se remplit, Bergen-Belsen va devenir vraiment le dépotoir de l’Europe. Ca va devenir l’égout. Vraiment pour moi, c’est l’égout, l’égout numéro 1 du monde, de l’Europe du moins puisqu’on va y mettre tout ce qui reste et qu’on pourrit à Bergen-Belsen. C’est un camp où on pourrit. Il n’y a pas de chambres à gaz mais on pourrit. Tout le monde pourrit à Bergen-Belsen. Pour moi, petite fille, c’est un souvenir de boue. De boue, d’ordures, avec des gens, des morts-vivants qui meurent là-dedans. C’est ça, pour moi, Bergen-Belsen. C’est une pourriture ! Rien d’autre qu’une pourriture ! Et puis, au-dessus de cela, des gens qui hurlent, des gens armés qui hurlent. C’est ça Bergen-Belsen pour moi. Rien d’autre. On aura de plus en plus faim. On aura de plus en plus de poux. Il y a le typhus qui gagne. Ah j’ai oublié de dire que on nous a soi-disant vaccinées contre le typhus. C’était une vaccination horrible. C’était une piqûre dans le sein qui est horrible, qui fait affreusement mal. Cétait 3 doses en 1. Il paraît qu’ils ont rajouté de l’alcool, je ne sais pas mais ej sais qu’on se tord en hurlant quand on a ce vaccin. Et ça nous a pas empêché d’attraper le typhus. Ca n’a rien empêché du tout.
Interviewer : Est-ce que votre mère était là aussi ?
Francine : Oui. Maman est de plus en plus abominable. Elle est couverte de bobos. Elle a déjà eu des bobos dans les camps de France mais là, ils sont horribles. Elle est couverte de bobos et on voit son os quelquefois. Mon dieu ! Dire qu’elle a été une jolie femme !
Interviewer : Mais, Madame Loch, dans le livre de vos parents, votre mère également raconte cette scène en disant qu’elle a eu si mal qu’elle vous a proposé…
Francine : De l’aide.
Interviewer : Vous vous souvenez…
Francine : J’ai pas voulu. J’ai pas voulu, oui. J’avais ma fierté. J’ai dit « Non, non, j’irai toute seule ! » C’était horrible. Ce qui devient de plus en plus horrible ce sont les appels. Les appels, c’est n moment abominable dans tous les camps. Ca existe dans tous les camps. Ca existait déjà en France. C’est affreux. On nous compte. On nous compte, on nous recompte. Ca fait partie… ça fait partie de cette politique d’abêtissement, d’abaissement. Il faut faire de nous des bêtes alors tout ce qui peut nous rendre encore plus malheureux, encore plus tristes, encore plus bêtes, on nous le fait faire. L’appel ça dure des heures, des heures, des heures, quelque soit le temps. Ils seront de plus en plus longs. Les appels l’été, c’était quelque chose d’épouvantable parce que l’Allemagne c’est un pays, ce qu’on appelle continental, c’est—à-dire qu’il fait très, très chaud l’été. Et ces appels sous le soleil bûlant, on étouffait et on … il y avait ce qu’on appelle des mouches allemandes. J’avais jamais vu ces mouches-là autre part, ces espèces de bêtes noires qui se collaient. Et les appels avec le froid, ça va être de plus en plus épouvantable parce qu’évidemment on n’a pas assez de vêtements contre le froid, on n’est pas nourries. Et un appel ça dure des heures ; on nous compte, on nous recompte comme si il y en avait qui s’évadaient. Mais ils se trompent toujours, ils doivent le faire exprès : on oublie, on oublie un malade dans la baraque. Et quand il y en a qui tombent, on n’a pas le droit de les ramasser. Je me souviens qu’un jour, maman est tombée devant moi dans la neige et j’ai pas eu le droit de la ramasser. J’ai pas eu le droit d’y toucher, j’ai pas eu le droit de me pencher pour l’effleurer. Et j’étais là au garde-à-vous et je voyais maman couchée et en moi je me disais « Est-ce qu’elle se relèvera ? » Elle s’est relevée. Quand on rentrait de ces appels, on avait tellement froid, c’était horrible ! On avait l’impression que les doigts et les orteils allaient se détacher. On se tapait dessus pour essayer de les réchauffer. Je me souviens, j’étais souple à l’époque, je me souviens que je mettais mon gros orteil dans la bouche pour essayer de le réchauffer, tellement c’était froid, tellement c’était froid. Ce froid, quelle horreur ! On n’arrivait plus à se réchauffer.
Interviewer : Madame Loch, en janvier 1945, quand vous voyez les déportés arriver d’Auschwitz, en même temps que la découverte qu’il existe des chambres à gaz, vous apprenez aussi que les Alliés sont en train de libérer les camps ?
Francine : Oui.
Interviwer : Donc…
Francine : Alors l’espoir nous gagne, bien entendu. Là, à ce moment-là, l’espoir et le désespoir nous gagnent. L’espoir parce que on pense que c’est peut-être la fin de nos misères. Et le désespoir aussi parce que, là, on est arrivés à un tel point que on pense que on subs… on survivra pas. On n’en peut plus, pour certaines d’entre nous. On a déjà eu des morts.
Interviewer : Et quelle est votre dernière heure à Bergen-Belsen ? Commen ça se passe ?
Francine : Mes dernières heures. Ben, il faut dire qu’on assiste déjà aux bombardements. On a des bombardements à Bergen-Belsen. Il y a des troupes tout autour de Bergen-Belsen.
Interviewer : Des troupes de…
Francines : Des troupes allemandes. C’est un endroit de manœuvres Bergen-Belsen. Les troupes manoeuvrent dans les forêts qui entourent Bergen-Belsen. On les fois des fois défiler en chantant. Ca fait peur d’ailleurs, ils chantent très bien ces gens-là. Et ça fait très peur de les voir défiler là dans la Forêt Noire. Et puis, on entend le bruit des canons et on entend les avions de plus en plus. Les avions alliés viennent bombarder la région. Et ils mettent des… ils ont l’intelligence de mettre des fusées aux quatre coins du camp pour ne pas le bombarder. Malgré tout, il y a eu des bombes qui tombaient. Il y a des cratères dans le camp. Il y a des bombres qui tombent. Une sur la cuisine ce qui va compliquer les choses. Et une, je crois, sur le four crématoire. Et d’ailleurs, le four crématoire n’arrive plus à fournir tellement il y a de morts et on est obligés de faire des grands charniers, de creuser et de mettre les corps dans les charniers et on met de la chaux pour…
Interviewer : Vous avez vu ça, Madame Lorch ?
Francine : Oui. Et alors, la charrette aux morts passe tous les jours, pour ramasser les morts. Il y en a de plus en plus. La charrette passe là. Il y a la Lager Strasse c’est-à-dire la route centrale, au mileu du camp, et la charrette passe là tous les jours. Elle est tirée par des déportées bien entendu. Elles ramassent… elles s’arrêtent… devant chaque enclos, elles ramassent ces corps. Et on porte ces corps, on… tout nus parce qu’il faut toujours récupérer les vêtements. On les porte, on les jette sur la charrette et j’ai vu, j’ai vu quelqu’un qui tirait la charrette qui est tombé, qui n’était pas complètement mort et qu’on a jeté sur la charrette. Et, j’ai peur pendant les bombardements. J’ai horriblement peur. La baraque tremble. Je me serre contre maman. A cette époque-là, on n’a plus deux paillasses. On n’en a plus qu’une seule pour deux parce que le camp s’est tellement rempli qu’on a ce petit machin où on est imbriqués l’une dans l’autre pour dormir. On y dort mal d’ailleurs. C’est fini l’époque où on s’endormait le soir, je vous l’ai pas dit, c’est vrai… je voulais vous le dire : en se donnant des recettes. Comme on avait faim, on se donnait des recettes le soir. Il y avait parmi nous une déportée qui s’appelait Nerita Burgas [orth ?]. C’était une grande femme rousse. Elle avait eu une vie assez excentrique avant la guerre. Elle avait fréquenté les grands restaurants ce qui était le cas d’aucune de nous. Et alors, elle nous disait avant de dormir le soir : « Ce soir, je vous emmène chez Maxim’s. Ce soir… »
Interviewer : Pardon, Madame Lorch, nous devons passer sur une autre bobine.
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CASSETTE 6
http://os.pennds.org/melanieperonvideo/Lorch_Francine-4590-06-V01-5000000003257770.mp4
Interviewer : Madame Loch, pardonnez-moi donc de ne pas pouvoir vous laisser continuer l’histoire des recettes échangées entre affamés, mais je voudrais que vous parliez maintenant de…
Francine : La fin de Bergen-Belsen
Interviewer : Comment vous quittez le camp de Bergen-Belsen ?
Francine : Oui. Alors on entend le canon mais nous ne le savons pas, c’est le canon anglais. C’est le canon de… enfin, on se doute que c’est le canon de la délivrance. Mais on l’entend sans savoir si c’est vraiment lui qui va nous délivrer. Le camp devient de plus en plus horrible. Je vous dis, il y a le typhus. Tout le monde est malade. C’est abominable. Et, il y a une chose qui nous console c’est que nous savons qu’il y a des kapos qui l’ont attrapé. Et nous savons qu’il y a des Allemands qui l’ont attrapé. Et là nous apprenons que l’on va nous emmener. Alors c’est, à la fois, un espoir et un désespoir parce que… un espoir c’est parce que, on se dit si on sort de ce cloaque, de cet égout, on va peut-être s’en tirer mais, d’un autre côté, s’il est libéré, nous on va nous emmener plus loin. On sera pas libérées. On n’a pas le choix. On nous fait partir. Et on nous dit « Sans bagages ! » Donc le peu de petites affaires que nous avons précieusement gardées, il faut s’en séparer. Nous avons gardé… maman a gardé le couteau qui lui a servi à couper le pain pendant tant d’années quand elle a été chef de baraque. Et 2-3 petits souvenirs, entre autres, la couverture des livres que mon père avait publiés avant la guerre. Livres qui ont servi à mère à nous nous occuper, les enfants, car il faut le dire qu’elle nous lisait, relisait ces livres simplement pour que nous entendions notre langue, que nous soyons capables, si nous étions un jour libérés, de parler convenablement notre langue. Donc, nous partons. Nous partons, une partie en camion, une partie à pieds.
Interviewer : Vous, vous partez comment, votre mère et vous ?
Francine : En camion. Il y a des gens qui essayent de s’échapper de Bergen-Belsen et de monter sur notre camion. On les fusille tout de suite, là devant nous. Je me souviens… je me souviens que… ils sont tombés là devant nous. Bom ! Nous sommes arrivés à la gare de Bergen et là il y avait un énorme tas de rutabagas et un énorme tas de betteraves fourragères. Nous nous sommes battues pour ramasser ça et prendre ça. Nous sommes montées dans les wagons, en nous précipitant dans ces wagons, pour essayer de trouver une place assise, quelque chose. Il y avait nous, les femmes et enfants de prionniers, il y avait les diamantaires, ce qu’il en restait des familles hollandaises, il y avait quelques Juifs grecs de Salonique qui avaient aussi été considérés comme privilégiés. Et nous sommes montés dans ces trains, qui étaient des trains répugnants, ils étaient couverts de poux. Nous avons su plus tard qu’ils avaient servi à transporter des typhiques. Et nous sommes montés là-dedans… pfff… il y avait les fous parce que le typhus rend fou. On se battait. C’était horrible ! On se battait dans ce train. On se battait pour trouver un petit coin où s’asseoir. Comment vous dire ? On était devenus fous. On avait tellement faim. On n’en pouvait plus. Et le train est parti. Et le train a roulé pendant 3 semaines. On essayait – nous l’avons su beaucoup plus tard- de gagner Theresienstadt en Tchécoslovaquie. Mais le train n’a jamais réussi aprce que partout où on passait, les troupes alliées arrivaient. Alors il tournait en rond. Et ce train est devenu un espèce de cauchemar ambulant. Nous avions de plus en plus de malades par le typhus et quand quelqu’un mourait, nous jetions le cadavre par la fenêtre On aurait pu nous suivre en suivant nos cadavres le long de la voie. Les premiers jours, nos gardiens nous ont donné un petit peu de pain. On avait les rutabagas que nous avions fauchés à la gare de Bergen. Puis les derniers jours, on n’avait rien. Alors lorsque le train s’arrêtait, on allait ramasser les orties qu’on trouvait. On faisait du feu sous les wagons avec ces orties. Et les Allemands passaient et donnaient des coups de pieds dans le feu parce qu’ils disaient que nous risquions de mettre le feu au wagon. Et, nous avions la dysenterie. Là je suis obligée d’être… de donner un détail trivial mais il fut le donner pour montrer comment nous vivions. Le train roulait des heures et des heures et nous avions la dysenterie. Cela voulait dire que nous nous vidions sur le plancher du train. Et donc, nous vivions dans nos excréments. Voilà, nous avons vécu 3 semaines là-dedans. Quand le train s’arrêtait, s’il y avait un ruisseau, nous allions au ruisseau essayer de se laver. Nous enlevions nos vêtements, nous essayions de claquer nos poux clac-clac-clac. C’est devenu vraiment une espèce d’horreur, ce train. On a été bombardés parce que les Alliés ont cru que c’était un transport de troupes allemandes. Nous avons eu des blessés, je crois même des morts. Tout ce qui nous restait de blanc, nous l’avons accroché sur le train pour que, de là-haut, ils pensent que c’était pas des combattants. Et puis, les derniers jours, les gardiens sont partis. Du moins les officiers. Il restait plus que quelques hommes de troupes qui ont fini par partir… enfin, il restait presque plus rien. Plus de gardiens. Et dans les derniers jours, une fois que le train s’est arrêté, les femmes encore valides ont essayé d’aller chercher quelque chose dans les champs, ou peut-être dans une ferme, et ma mère est partie aussi pour essayer de trouver peut-être quelques pommes de terre, quelque chose, et quand les femmes sont revenues, maman n’était plus là. Les femmes sont montées dans le train. Le train s’est remis en marche et il n’y avait plus maman.
Interviewer : Et vous aviez 12 ans ?
Francine : Et j’avais… pas encore 12 ans. Enfin je les ai eux après, une fois libérée. J’avais 11 ans ½ et ça, c’est le moment le plus abominable de ma vie ! De ma vie ! Ce sont ces quelques heures que j’ai passées dans le train qui roulait sans maman. Parce que un enfant peut tout supporter s’il a sa mère. Je me souviens qu’à Bergen-Belsen, je ne suis pas partie assez vite d’une baraque lors d’un déménagement de baraque. La matraque est tombée, elle est tombée dans mon dos. Je n’ai pas couru assez vite. Mais ça ne fait rien ! La matraque, je l’ai supportée parce que maman était là. Mais là, là il n’y avait plus maman. Et ça, c’est insupportable. Un enfant ne peut plus rien supporter s’il n’a pas sa mère. Et le train a roulé, roulé, roulé. Et je me souviens que je les regardais tous et je leur disais : « Vous pouvez tous mourir ! Ca m’est complètement égal maintenant ! Vous pouvez tous mourir mais pas maman ! » Et 50 ans plus tard, quand je pense à ce moment-là, j’ai mal. J’ai vraiment mal. Et puis à l’arrêt d’après, maman est remontée. Maman est remontée parce qu’elle avait effectivement failli crever dans un champ. Et qu’une camarade avait réussi à la tirer. Mais qu’elle n’avait pas eu la force de monter jusqu’à notre wagon. Qu’elle était montée dans le wagon de queue. Les wagons ne correspondaient pas puisqu’il y avait n’importe quoi comme wagons. Il y avait des 3ème classe, il y avait des 4ème classe allemande, il y avait des wagons à bestiaux, il y avait même des wagons-plateau, sans toit, qui avaient circulé comme ça. Avec les femmes crevant de froid la-dessus. Voilà, j’ai retrouvé maman en piteux état. Bien, et puis, on avait beaucoup entendu le canon. Beaucoup, beaucoup entendu les avions. Et puis, une nuit, le train s’est arrêté. On n’a rien entendu. On a dormi. Et le matin, quand on a ouvert les yeux, il y avait là des Cosaques, des Cosaques. Les Russes car les Russes… les Soviétiques qui nous ont libérés – un pays ne change pas tellement – étaient habillés comme des Cosaques. Avec les chemises russes. Ils étaient à cheval avec le bonnet d’astrakan. Et on a vu passer nos gardiens les mains en l’air. Ceux qui restaient. Alors, on n’était pas en très bel état. On était près d’un village. Les Russes nous ont dit « Le village est vide. Entrez ! » On est entrées dans ce village. Il s’appelait Tröbitz. Il était à 80kms au sud de Berlin.
Interviewer : Vous pouvez l’épeler ?
Francine : T-R-O-¨-B-I-T-Z Nous sommes entrées dans les maisons. Nous nous sommes lavées. On n’imagine pas ce que c’est que de se laver quand on ne s’est pas lavé pendant si longtemps. On a brûlé tous les vêtements. Il y avait plein de poux. On s’est lavé, lavé, lavé, lavé. Puis on a mangé. Ils avaient des provisions dans leur cave. Ils avaient des bocaux avec des légumes. Ils avaient des poulaillers. Ma mère, si douce, je me souviens, elle épouillait un lapin comme ça… elle l’a… on a mangé tout ce quil y avait. Ce qui était fou d’ailleurs. Parce qu’on aurait pu en mourir. Il y en a qui sont morts d’voir trop mangé le premier jour malheureusement. Et puis, voilà. Et puis, on a eu le typhus quand même. Alors les Russes sont venus. Ils nous ont dit « On est bien obligés de vous mettre en quarantaine parce que vous avez le typhus. » Et puis au bout de je ne sais pas combien de jours, maman s’est mise à délirer. Sa température est montée à 41. Elle avait le typhus. On l’a transportée à l’hôpital. Et là, j’ai de nouveau cru que je la perdrait. Elle m’a dit au revoir. Elle m’a dit d’être bonne dans ma vie, qu’elle espérait qu’elle avait fait son devoir toute sa vie, qu’elle esperait que je le ferais moi aussi, mon devoir. On a toujours fait son devoir dans la famille. Voilà, j’ai vécu dans mon village, avec les rescapés, en sachant que maman se remettait petit à petit, qu’elle ne mourait pas. Mais on était loin de tout. En dehors de tout. On savait plus rien. En zone russe. On ne savait plus rien. On n’avait pas beaucoup à manger. Ce n’est pas que les Russes nous privaient. C’est qu’il n’y avait pas grand-chose. Les Allemands sont revenus dans leur village. Ils étaient, comment dire ? Je sais que je ne me suis pas trompée parce que jai entendu à la télévision un officier français qui avait dit la même chose. Ils étaient plats. Ca nous a suffoqués de voir que ces gens, qui avaient conquis l’Europe d’une manière horrible, étaient capables, une fois vaincus, de devenir des carpettes. C’est bizarre ! Ils n’avaient plus de dignité. On en avait plus qu’eux. Alors mon père, de son côté, donc quand il a été libéré par les troupes anglaises, il a filé à Bergen-Belsen. Il a fouillé même dans les charniers pour nous retrouver. Il ne savait pas du tout où on était. Et quelqu’un, qui était très malade, lui a dit : « Elles sont parties. Je sais pas où, elles sont parties. » ll est rentré en France. On va pas raconter ça, ça serait une trop longue histoire. C’est un vrai livre aussi. Mais enfin, il a fait des appels à la radio. Il a retrouvé une femme de chez nous qui lui a dit « Voilà où elles sont ». Alors si je peux dire en vitesse, il a réussi à passer le rideau de fer, ça a été là aussi une aventure incroyable, il nous a retrouvées à Tröbitz. Il a réussi avec l’aide de dizaines de gens à trouver des transports, des ambulances, à nous ramener. Enfin, c’est toute une histoire aussi. Je me suis retrouvée à Paris, le 12 juin, le jour de l’anniversaire de mon père. Je lui ai dit que c’était le plus beau jour de ma vie… non, c’est le jour où je l’ai retrouvé que je lui ai dit ça, le 6 juin. « Papa, c’est le plus beau jour de ma vie ! » Papa, maman et leur fille. Voilà. Qu’est-ce que vous voulez savoir d’autre ?
Interviewer : Même en allant… juste… votre métier ? Vos fiançailles ? Votre famille actuelle ?
Francine : Bon la remise en route qui a déjà été très difficile parce que nous étions malades. Tous, même mon père. En plus, il avait eu d’immenses privations. Plus qu’un prisonnier de guerre normal puisqu’il avait été en camp de représailles, parce qu’il s’était privé… pour essayer de nous libérer, toute sa nourriture, il s’en était servi comme troc. Donc il avait vraiment souffert de la faim, presqu’autant qu’un déporté. Il était très malade. En plus, il avait un métier lbéral. Il fallait recommencer à écrire. Maman ne pouvait rien faire. Elle était dans un état pitoyable. Moi, j’étais pas très fraîche. Très marquée. Très marquée. Il a fallu récupérer notre appartement qui avait été confisqué. Se racheter des meubles qui étaient partis en Allemagne. Tout était à recommencer. Tout était à refaire. C’est la vie entière qu’il faut reprendre. Puis, on ne raisonne plus comme les autres. On n’a plus la même façon de voir la vie. Alors il faut se réadapter complètement. C’est dur. On a réussi. A l’époque, il n’y avait pas de psychiatre. Heureusement qu’on s’aimait. Probablement que, si je n’avais pas eu l’amour de mes parents, j’aurais peut-être eu moins de facilité parce que 3 ans – c’est énorme 3 ans – quitter la vie de tous les jours quand on est un enfant ! On n’est plus le même. J’ai retrouvé mes petites camarades de l’école, qui ont été adorables avec moi, mais on ne se comprenait plus. Voilà, alors vous voulez qu’on passe à mes fiançailles ? J’ai connu, tout à fait par hasard, mon mari. Le fait qu’il soit juif est tout à fait un hasard aussi parce que ça m’était complètement égale d’épouser… non, j’aurais même préféré ne pas épouser un Juif en fait parce que je voulais partir, quitter tout ce qui était juif. Je ne voulais plus jamais entendre parler de Juifs. Je ne voulais surtout pas avoir des enfants juifs. Et j’ai donc hésité pour dire la vérité… oui, il faut tout dire. J’ai donc hésité à l’épouser parce qu’il était juif.
Interviewer : Vous pouvez nous dire son nom ?
Francine : Oui, il s’appelle Jean-Jacques. Ca m’embête parce que… oh tant pis, Lorch L-O-R-C-H. Je garde mon nom de Christophe que j’aime beaucoup. Et puis, on s’est fiancés. J’espère « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », c’est pas ça ? On a fait deux enfants.
Interviewer : Votre époux aussi, juste pour… vite parce qu’il va être interviewé également… il est aussi un survivant ?
Francine : Il est un survivant mais il n’a pas été arrêté. Non, ça c’était autre chose. D’ailleurs, il déteste parler de ça et moi, j’ai besoin d’en parler, j’en ai toujours parlé avec mes parents. Mon père est mort malheureusement. Trop jeune. Ma mère vit toujours. Très abîmée. Je ne peux donc plus en parler avec elle. Je ne peux pas en parler avec mon mari parce que mon mari ayant perdu sa famille, il ne peut pas en parler. Alors qu’il me dit « Toi, tu peux en parler parce que ça s’est bien terminé. » Peut-être. Enfin, de toute façon, c’est une question de personnalité. Moi, j’ai absolument besoin d’en parler. Je serais très malheureuse si je n’en parlais pas. J’en parle toute seule, des fois.
Interviewer : Madame Lorch, quel est le nom de vos enfants ? Ils sont nés quand ?
Francine : Alors, mon fils Yves est né en avril 59 et ma fille Annick est née en juin 51. Ils sont tous les deux mariés. Et ils ont des enfants. Ma fille a trois enfants et mon fils a un enfant.
Interviewer : Quel est le nom de votre petit-fils du côté de votre fils ?
Francine : Non, mon fils a une fille…
Interviewer : Pardon
Francine : qui s’appelle Gaëlle.
Interviewer : Et le nom des trois enfants et le nom de famille du côté de votre fille ?
Francine : Je ne le dirai pas. Ma fille a trois enfants qui s’appellent Maude, Thibaud et Benjamin.
Interviewer : Vous ne le direz pas pour vous ou pour elle ?
Francine : Pour elle. Parce qu’elle me l’a demandé.
Interviewer : Qu’est-ce que ça représente d’être juive pour vous, Madame Lorch ?
Francine : Un grand emmerdement… Vous vous souvenez de la prière des gens du ghetto de Varsovie qui n’avaient jamais perdu leur sens de l’humour ? « Mon Dieu, merci d’avoir fait de nous le peuple élu mais, s’il te plaît, tu ne pourrais pas en choisir un autre ? » Pourquoi faut-il que les hommes se déchirent parce qu’ils sont ceci ou cela ? Je suis juive comme dit Shylock dans Le Marchand de Venise : « Si on me pique, je saigne comme les autres ».
Interviewer : Madame Lorch, quel a été vos activités ? Est-ce que vous avez pratiqué un métier ou quelque chose que vous avez aimé faire ?
Francine : Oui, j’ai été décoratrice.
Interviewer : Où ça ?
Francine : J’étais décoratrice, j’ai appris mon métier au Printemps, un grand magasin. Ensuite, je me suis mise à mon compte. J’ai toute ma vie installé des stands dans les expositions internationales.
Interviewer : Vous continuez maintenant ?
Francine : Non. Je suis à la retraite.
Interviewer : Depuis quand ?
Francine : Oh déjà pas mal d’années parce que j’ai été assez malade et j’ai dû m’arrêter.
Interwiever : Pour conclure l’entretien, et avant de filmer les documents, est-ce qu’il y a autre chose, un message, autre chose que vous aimeriez dire ?
Francine : Oui, je voudrais dire qu’il fait toujours garder l’espoir en soi, bien entendu. Mon père, peu de temps avant de mourir, et dieu sait si sa vie avait été difficile parce qu’il n’a pas eu que ces 5 années de guerre, il a eu une vie très difficile, nous avons eu une vie très difficile après la guerre, nous manquions de tout. Notre réinsertion, comme on dit maintenant, a été dure. Et mon père, peu de temps avant de mourir, m’a dit : « La vie est belle ! » J’ai dit « C’est vrai, papa ». Il a dit : « Souviens t’en ! La vie est belle ! Tu dois tous les jours de ta vie te dire la vie est belle ! » Et c’est vrai. Quand nous étions, mes parents et moi, très pauvres, après la guerre, vraiment pauvres, nous avons mis longtemps à repartir, mais ça ne fait rien, on s’aimait tant. Ca ne nous empêchait pas de nous disputer mais on s’aimait. On était malades aussi, ça fait rien, on s’aimait. C’est ça mon message : que les gens arrêtent de ne plus faire d’effort. Il faut faire un effort même pour s’aimer, et alors ? On faisait un effort dans le camp. L’effort que l’on doit faire tous les jours de la vie est moins fort que dans le camp. Voilà. Et puis, j’aimerais que l’on arrête de se battre à cause des religions. Je ne… si, je veux dire ça : mon père disait « Je ne me présente pas en disant Robert Christophe, juif. Mais par contre, je n’admets pas qu’on les touche. Là honnêtement, je bondis ! » Et moi, je fais la même chose. Mon père disait : « Je ne suis ni fier ni fier honteux d’un état dont je ne suis pas responsable. Je l’assume avec dignité. » Et c’est ce que je fais. Et c’est ce que j’ai expliqué à mes enfants. Et c’est ce qu’ils font. Je ne veux pas qu’on touche à un cheveu d’un Juif. Mais je ne suis pas en train de porter ma juiverie sur un plateau. Je suis un être humain comme tous les autres. Un point, c’est tout. Voilà.
Interview : Merci, Madame Lorch.
[23’10 fin de la transcription]