Shoah Foundation VHA (A. Testyler)
Crédits :USC Shoah Foundation
VHA Interview Code: 7584
Arlette Testyler a été interviewée le 7 décembre 1995 à Paris par Hélène Lévy.
Mention légale : Ce document est une transcription quasi-verbatim réalisée par Beverlye Gédéon (UPenn ’20) et Mélanie Péron . Il ne peut en aucun cas être considéré comme source primaire. L’exactitude de la transcription n’a pas été officiellement vérifiée.
This is December 7th 1995. We are interviewing Arlette Reimann Testyler. Done by Hélène Levy in Paris, France in French.
Hélène : Bonjour, nous sommes à Paris, le 7 Décembre 1995. Nous allons interviewer Madame Arlette Reimann épouse Testyler et moi même je suis Hélène Levy V. Merci.
Bonjour Madame Testyler, je vais vous demander donc de nous donner votre nom de naissance, de jeune fille, épelé et votre date de naissance.
Arlette : Bonjour, madame. Je m’appelle Arlette. A R L E deux T E. Reimann. R E I M A N N. Ma date de naissance est le 30 mars 1933. Je suis née à Paris, dans le 12ème. Je suis française par naissance.
Hélène : Et votre nom d'épouse est..
Arlette : Mon nom d’épouse est Testyler. T E S T Y L E R.
Hélène : Et maintenant, je vais vous demander d’essayer de nous raconter votre vie d’enfant pendant la guerre.
Arlette : Ma vie d’enfant pendant la guerre…
Hélène : Avant la guerre, excusez-moi.
Arlette : Avant la guerre, j’ai eu une vie privilégiée parce que j’avais de parents qui étaient aisés, qui étaient très heureux. Malheureusement, ils ne sont pas restés très longtemps ensemble parce que ma mère a attendu mon père des années dans son village puisqu’ils étaient des promis de village, ce qu’on appelait des promis de village. Mon père est venu ici en France je crois en 19… autour de 25, 27 et pour faire venir justement son épouse parce que la misère était grande en Pologne. Il n’y avait pas assez de travail. Et il est venu ici pour travailler. Et il avait promis à ma mère évidemment, sa promise du village de la faire venir quand il aura assez d’argent. Et puis il y a une anecdote qui était très gentille parce que même ma mère, elle nous la racontait tout le temps comme quoi son père était très très inquiet, parce qu’un an se passait, deux ans se passaient. Ce n'était pas comme maintenant, on ne se téléphonait pas, il n’y avait pas les téléphone, les communication comme ça à cette époque. Mon grand-père était inquiet, il a dit un jour à l’un de ses amis: “Tu sais tu vas en France, vas voir ce garçon, il a promis à ma fille le mariage et puis je vois rien venir. Elle va devenir un jour une vieille fille !” - parce qu’ils avaient à peu près le même âge mon père et ma mère - “et elle va devenir vraiment une vieille fille !”
Et cet homme est revenu après dans le village en disant à mon grand-père: “Ne t'inquiète pas, il est sérieux, il travaille, et le jour où il la fera revenir, elle sera une princesse.” Et ça a été comme ça. Donc elle est venue ici, en 19.. je crois en 1930. Début 1931, ils se sont mariés,
Hélène : Ils étaient tout seuls donc il y avait pas la famille qui était présente.
Arlette : Non non tout seuls. Ma mère est venue… D’ailleurs elle est venue même je pense avec des papiers de date de naissance de sa soeur à cause des dates de naissance qu’on avait le droit de sortir ou de pas sortir. Enfin, je crois que sa date de naissance, ce n’est tout à fait la vraie. Quelque chose à une année ou deux près. Et quand elle est venue ici, elle a été une princesse, elle a eu vraiment une vie dorée, une belle vie, un amour fou comme on voit rarement. D’ailleurs la suite le montrera, que pour elle il n’y avait que lui qui comptait, qui était très très important.
Hélène : Et des souvenirs que vous avez, vos parents parlaient en yiddish, en polonais… ?
Arlette : Polonais non, pas du tout. Ils parlaient le yiddish, c’est vrai, mais mon père je pense était venu ici en France avec un idéal de la France, vous savez comment on disait à cette époque, “la France de liberté, la France de l'égalité”, alors il parlait beaucoup le francais. Moi, j ai pas su le yiddish et je connais bien maintenant, je parle bien le yiddish mais c’est mon époux qui me l’a appris après la guerre parce que je me suis mariée avec un déporté. Mais mes parents parlaient beaucoup beaucoup le francais, c’est vrai ils essayaient de parler français mais ils parlaient le yiddish pour pas qu’on ne comprenne, à la fin bon on comprenait quand même, c’était fait exprès. C'était pas vraiment des gens très religieux. C'étaient des traditionalistes mais ma mère allumait les bougies tous les vendredis soirs. Et il y a une chose que je ne comprenais pas non plus, aussitôt qu’elle allumait les bougies, qu’elle se mettait cette dentelle sur la tête, systématiquement elle se mettait à pleurer et elle pensait, elle parlait de son père et sa mère. Et les bougies étaient faites et tout de suite… je ne comprenais pas très bien, maintenant avec l’âge, je comprends que ces bougies du Shabbat représentent beaucoup de choses.
Hélène : Donc elle parlait beaucoup de son père, vous aviez un peu une image de votre grand-père?
Arlette : Du grand-père oui parce qu’on était retourné en Pologne, j’en ai un très très très vague souvenir mais je devais avoir quatre ans ou cinq ans maximum quand on est retourné en Pologne. Je me souviens du train, des banquettes en bois, blond, comme ça ciré, que je dormais et de l'arrivée dans ce village. Mais très vaguement. Je devais avoir cinq, quatre cinq ans. C’est tout. Ca je me souviens
Hélène : Vous avez rencontré vos grands-parents ?
Arlette : Oui oui on est retournées lors des vacances, on avait pris le train, ça je me souviens très très bien.
Hélène : Le contact était maintenu?
Arlette : Oui oui, le contact était maintenu, d’ailleurs, il parait que mes grands-parents étaient choqués parce que l’on ne mangeait pas casher. Ma mère a avoué tout de suite, non qu’on mange pas casher. On mangeait pas de porc vraiment mais on ne mangeait pas casher. Les fêtes étaient faites à la maison, c’est vrai, on faisait les traditionnelles, les plus belles fêtes évidemment c'était Pessah, mon père avait un grand atelier de fourreur, il avait beaucoup de machines et à Pessah alors, on enlevait tout le parquet… Il y avait un parquet et alors tout était passé à la lessive, à l’eau de javel et après il jouait avec nous sur son parquet qui sentait le frais, lavé comme ça. C'était fabuleux parce que je le vois encore assis par terre avec nous, il traçait des triangles de craie, il mettait des noix et on jouait comme avec des billes, et c'était fabuleux d’avoir son papa qui jouait comme ça. Après on allait à la synagogue. Sa première synagogue était en fait un oratoire. C'était l’oratoire de la rue des Rosiers, une petite shtibele, comme on disait a kleyn shtibele. Je me souviens, une année, très très bien, peut-être elle m’a plus marquée que les autres, où il y avait ma soeur et moi et on était habillées très très joliment. On avait des petits manteaux jaunes avec le petit col en velours marron, petits boutons en velours marron, la petite martingale, et puis le petit chapeau blanc en paille de riz assorti, petits gants. Puis je vois mon père me soulever comme ca, quand la Torah est passée pour pouvoir que j’embrasse cette Torah. Ca, je me souviens très très bien. Ca, c'était à Pessah. Ma mère qui changeait la vaisselle à Pessah. Malgré que l’on était pas très religieux, la vaisselle était changée. Il y avait ces grandes caisses de vaisselle qu’on changeait pour les fêtes. Autrement, il n’y avait pas de kheyder, non, je n’allais pas encore au kheyder je pense que j'étais encore trop petite puisque je devais avoir six, sept ans. Sur mes parents, ça je peux dire, ils passaient des vacances, ils avaient une voiture, on allait à la campagne, ils avaient une de ces grosses voitures que l’on voit encore, qui ressemblent un peu aux taxis londoniens, ces grandes voitures. Alors on partait , il y avait le panier d’osier, il y avait la vaisselle en porcelaine, puis il n’y avait pas le plastique. Donc il y avait cette vaisselle en porcelaine. Et c’était pas très loin. On faisait quoi ? peut-être 20 ou 30 kilomètres. Mais il y avait le pique-nique, il y avait la boisson chaude, froide… en fait, tout était prévu. Et c'était vraiment une expédition, Oui de ça, je me souviens. Mais autrement, c’est plutôt vague le reste.
Hélène : Est-ce que vos parents avaient fait venir de la famille de Pologne ou avaient essayé… vous vous rappelez de quelque chose
Arlette : Non
Hélène : Vers les annees 39, 36… ??
Arlette : Non, ça je ne me souviens pas. Il y avait ici des petits cousins qui étaient là, s’ils avaient de grands rapport, je ne sais pas. Je ne sais pas s’ils avaient de très très grands rapports. Pas de famille qui sont venus.
Hélène : Donc les amis autour de vos parents, c'était plutôt des Français ?
Arlette : Non. Il y avait beaucoup… c’était des familles juives. On était très proches de familles qui étaient dans les meubles, qui étaient marchands de meubles, qui habitaient à Montparnasse, des familles qui habitaient dans l’immeuble. Il y avait quatre familles qui habitaient dans l’immeuble où ils se retrouvaient de temps en temps. Je pense qu’il devaient jouer au rami ou des choses comme ça. Mes parents sortaient beaucoup, ils allaient au théâtre. Moi je vois ma mère sortir, s’habiller pour sortir. Ils allaient au théâtre. Ma première grande sortie a été au Châtelet voir Le Pays du Sourire, ça je n’oublierai jamais. Je me vois … le siège de mon père ne devait être pas loin de l'allée parce que je me vois me mettre debout dans l'allée et m’asseoir par terre pour regarder, et m’approcher presque de la fosse d’orchestre. Donc, ça je me souviens, toutes petites, ils voulaient déjà qu’on soit imprégnées de culture parce que pour mon père, on pouvait faire les pires bêtises mais il fallait être bonnes élèves. Je pense que c’était ça pour lui, c'était important.
Hélène : Donc, l'école était très importante ?
Arlette : Très. Très importante. Ca, ça a été la première chose qu’il a toujours dit et je me souviens quand ma soeur est rentrée à la grande école, on rentrait à la grande école six ans. A ce moment-là, le stylo, c'était pas comme maintenant. Mon père lui a offert un stylo plume en or. Pour une enfant qui rentre à six ans, qui ne sait pas écrire, c'était fantastique, vraiment, il fallait croire que pour lui c'était une marque. Il fallait s’instruire, il fallait avoir de l’instruction. C’était la première chose à avoir.
Hélène : Vous avez été dans des écoles françaises ?
Arlette : Ah oui oui, j’ai été à l’école communale. J’allais à l’école communale de la rue Chapon dans le troisième puisqu’on habitait au 114, rue du Temple, dans le 3ème. J’ai commencé ma maternelle à la rue Chapon, ensuite je suis allée à l'école de la rue des Vertus et puis après, à la fin de la guerre, on s’est retrouvé dans la rue de Montmorency. Tout ça c’était des écoles du troisième arrondissement puisque c'était notre quartier.
Hélène : Vous avez des souvenirs particuliers. Votre mère avec vous parlait français donc à ce moment-là …
Arlette : Oui oui, ma mère parlait français, oui oui tout à fait. On avait une employée de maison qui venait nous chercher à l'école, d’ailleurs, je le regrettais beaucoup parce que j’avais qu’une envie c’est qu’elle fasse comme les autres enfants, que les grands-mères ou les mamans viennent les chercher à l’école. Ah ben non, moi j’avais la … Alors, ca m'embêtait, j’avais envie qu’on voie ma maman comme elle était toujours habillée, chapeautée, chaussures assorties. Je la vois comme ça. Elle devait avoir certainement des moments où elle était négligée comme tout le monde mais moi je la vois comme ça. Une couturière qui venait toutes les semaines à la maison, nous faire nos toilettes, faire pour elle. C'était une vie privilégiée pour des enfant juifs à cette époque car tout le monde vivait pas comme ça, j’en suis consciente.
Hélène : Et vous avez le souvenir à l'école d’avoir ressenti quelque chose de particulier comme différent ou ... ?
Arlette : Oui je m’en suis rendu compte, c'était à la maternelle. Il y avait un fait qu’on voyait qu’on était differentes parce qu’on volait systématiquement mon goûter. Et on avait ces petites valises en papier mâché. J’en avais une rouge, ma soeur, la sienne était bleue, et on nous mettait le goûter dedans. Alors dedans, ma mère mettait enfin mon goûter et systématiquement on me le volait. Un jour, elle est venue voir la directrice ou la maîtresse, et la maîtresse lui a demandé : “Mais qu’est ce que vous mettez dedans?” Et elle a dit: “Je lui mets des gâteaux, je lui mets des bananes, je lui mets des fruits, je lui mets certainement des bonbons enfin plein de choses.” Et la Directrice lui dit: “Mais madame, c’est énorme tout ça, c’est tentant pour des enfants, il y a des enfants qui n’ont pas tout ça.” Le petit pain au chocolat, je me souviens, on passait devant la boulangerie, elle m’achetait le petit pain au chocolat, on mettait dans la mallette et on partait à l'école. Donc ça devait être beaucoup pour … c'était pas des quartiers où il y avait des enfants très très riches à cette époque.
Hélène : Mais vous n’avez pas le souvenir qu’on vous ait fait une différence d’enfants de Juifs ou d’enfants… ?
Arlette : Ah non, pas du tout
Hélène : C’est quelque chose que vous n’avez jamais ressenti jusqu’au début de la guerre ?
Arlette : Du tout, du tout. Non jamais. Vraiment. Non. Jamais. Pas de racisme, pas d'antisémitisme. J’en n’ai pas souffert du tout. On vivait comme les autres enfants. Je ne voyais pas de différence qu’il pouvait y avoir. Du tout.
Hélène : Et comme petite fille, est-ce que vous avez commencé à sentir… Vous avez des souvenirs des débuts des années 39, 40 ? C’est quelque chose qui … vous étiez trop petite ?
Arlette : Non, ce n’est pas que j'étais trop petite. Il y a quelques souvenirs puisque mon père était engagé volontaire pour la France puisque pour lui, c'était la France. Il voulait être français. Ma mère l’a suivi, le suivait pendant son service militaire partout et là je me suis rendu compte que la France pour lui représentait beaucoup et elle nous avait mis en pension momentanément, mais je ne sais pas si c'était une pension juive ou pas juive. C'était une pension pour tous les enfants, et les premiers bombardements, je me souviens un bombardement qui est arrivé et on est sorti dans la cour et j’ai dû entendre quelque chose sur les Juifs parce que lorsque je suis revenue à Paris et qu’il y a eu un bombardement et que les sirènes ont commencé à marcher, je me souviens qu’avec ma soeur, on est sorties et on a dit : “Ca, c’est la faute des Juifs !” et ma mère, ça l’a fait... elle a dit: “Ou vous avez entendu ça?” Et on a dit: “Ben, c’est en pension qu’on a entendu ça.” Donc là, j’ai du avoir quelque chose mais que j’en ai souffert, non pas du tout. Vraiment pas.
Hélène : Votre père est revenu donc de son service militaire ?
Arlette : Oui, mon père est revenu de son service militaire donc il a dû reprendre ses activités, je ne sais pas. Et puis tout au début qu’on a commencé à prendre les Juifs, il a reçu un petit papier vert comme ça. Et il y avait écrit: Veuillez vous rendre au commissariat pour vérification d'identité. Et ma mère, elle avait, vous savez ces femmes qui ont un sixième sens qui tremblent un petit peu. Peut-être elle était moins [inaudible] que mon père qui était là, venu avant. Elle lui a dit: “N’y vas pas, n’y vas pas…Avroum, n’y vas pas” Il s’appelait Abraham mais elle l’appelait Avroum. “Avroum, n’y vas pas.” Et mon père lui dit: “Quoi, pas y aller, qu’est ce que ca veut dire ? J’ai fait mon service militaire, j’ai des enfants qui sont francais et puis dans la France de Zola…” Et puis il a commencé à citer Voltaire, des noms… Et il dit: “J’y vais.” Et évidemment, il y a été. Je me souviens, on y a tous été. Il était au commissariat de la rue Beaubourg qui existe toujours et il n’est plus ressorti. De là, on l’a envoyé à Pithiviers.
Hélène : Vous avez le souvenir d’avoir été avec votre maman… ?
Arlette : Oui oui. Ah oui au commissariat oui. Très très bien.
Hélène : Vous l’avez tous accompagné ?
Arlette : Ah oui, ça je me souviens très très bien et quand ma mère... à chaque fois qu’on sentait qu’elle avait envie qu’il revienne ou quelque chose comme ça, j’ai jamais posé la question mais dans ma tête de petite fille, je me disais : “Mais puisqu’il a parlé de Zola et de tout ça, c’est des amis , mais pourquoi ils font pas quelque chose ces gens-là. Où ils sont ces gens-là? ” Mais moi je me rendais pas compte que c'était la France de la liberté dont mon père parlait. C'était pas des amis. Moi, je pensais que c'étaient des amis parce qu’une enfant de sept ans ne sait pas que la liberté passait par Zola, par tous ces grands écrivains qui étaient importants.
Hélène : Et vous vous rappelez de quand vous êtes allés à Beaubourg avec…, vous avez des souvenirs ?
Arlette : Non c’est tout. Non non je ne me souviens plus du reste.
Hélène : Sauf que vous êtes rentrées seules.
Arlette : C’est tout, oui ça je me souviens très bien. Ma mère qui pleurait, qi pleurait tout le temps, constamment. Ca je me souviens.
Hélène : C'était avant le port de l’étoile, de toute façon le nettoie c'était en 41 ?
Arlette : C’est ça, c'était avant le port de l’étoile. Bon, après elle s’est organisée. C'était une femme énergique qui s’est battue. Ma mère était une femme qui savait se battre et qui savait faire face. Jusqu’à un certain moment, tant qu’elle avait de l’espoir que mon père allait revenir. Et ça, on l’a vu par la suite, elle s’est battue tout le temps. Tout le temps, ça a été une mère-courage, elle se battait, elle faisait face, pour ça oui, c'était quelqu’un qui était très énergique. Elle a dû reprendre en main… je sais pas ce qu’elle l’a fait.
Hélène : Età ce moment-là, votre père est parti vers …?
Arlette : Pithiviers. Mon père est parti vers Pithiviers et… justement, c’est un des actes aussi qui l’a poussée à se battre. Parce qu’elle s’est dit : “Il faut que je rentre en contact avec mon mari.” Et elle a trouvé, je ne sais pas par quel moyen, de trouver quelqu’un qui habitait Pithiviers, pour nous mettre, nous, en pension à Pithiviers, et rien de moins, elle a trouvé un gendarme qui gardait le camp de Pithiviers. C'était un Alsacien. Il faisait passer des lettres à des prisonniers qui étaient dans le camp, donc grâce à lui, on a pu voir justement mon père. Et on est restées pendant plusieurs années chez lui. Il avait une fille, il avait un garçon qui était aviateur et c'était un Alsacien. C'était un gendarme, il portait à ce moment-là des guêtres en cuir sur des chaussures comme les gendarmes en avaient. Et dedans, il glissait des lettres qu’il apportait aux internés du camp de Pithiviers. Ca je me souviens très bien. Et on est restées pas mal d'années jusqu'aux rafles du Vélodrome d’Hiver, pratiquement on allait chez soi...
Hélène : Et donc vous alliez toute la semaine…?
Arlette : Ah non non, on habitait carrément chez eux, on était en pension chez eux.
Hélène : Vous alliez à l'école à ce moment-là ?
Arlette : Oui oui, on allait à l'école à Pithiviers. On allait même à l'église, on allait à la messe parce que c’était ses Alsaciens qui étaient des croyants et on faisait la vie comme tous les gens de Pithiviers.
Hélène : Vous ne disiez pas que vous étiez juive ?
Arlette : Ah pas du tout… Je savais la messe en latin, je peux même encore chanter le Salve Regina. Je connais très bien la messe en latin parce qu’on allait au catéchisme, on allait à l'église avec eux, d’ailleurs à la sortie de la messe, il y avait ce petit morceau de brioche qu’ils appelaient le pain béni, il sentait bon, alors tout le long du chemin, avant de le manger, je le sentais, tout le long du chemin, je me disais: “Que ça sent bon!” Mais cette Alsacienne se débrouillait bien, elle faisait de la bonne cuisine. Je pense que si elle nous a pris en pension, c'était avec des pécunes. Ma mère payait et certainement grassement parce ça leur a mis du beurre dans les épinards. Je ne pense pas qu’un gendarme devait gagner tellement d’argent. Mais chez eux, j’avoue qu’on était très bien. On était très bien. Toute la guerre, je n’ai pas souffert de la famine. Du tout, du tout. Toute la guerre hein.
Hélène : Et vous avez le souvenir de votre maman, comment ça se passait à ce moment-là ? Elle allait voir votre père où ?
Arlette : Oui, elle venait nous voir épisodiquement et puis tout un été, on a même passé tout un été tous les quatre ensemble. Du fait que les hommes étaient pris pour faire les vendanges, je veux dire les moissons des récoltes, Il n’y avait pas d’hommes, ils étaient tous pris à l'armée, prisonniers, STO, le travail obligatoire, donc ils avaient besoin de main-d’oeuvre pour faire les récoltes et ils avaient pris justement les internés du camp de Pithiviers. Et on s’est retrouvé dans une ferme et on a été logés dans la ferme dans une grange avec ma mère, ma soeur et mon père. Et on a vécu tout un été, dans cette ferme, dans cette grange, et je vois encore -il n’y avait pas d’électricité- ma mère faire des bougies avec de la graisse et mettre une mèche qui avait un mal fou à tenir pour pouvoir s'éclairer. On a été superbement heureux parce que, pour une enfant, même si eux, pour ma mère qui sortait d’une bourgeoisie, tout lui manquait, là c’était… pour les enfants, c’est fabuleux de vivre comme ça en plein air. Donc pour moi, c'était des vacances, j'étais très contente. Et ma mère disait à cette époque à mon père: “ Tu sais Avroum, regarde, on est dehors, viens on va s'échapper, on va aller en zone libre.” Parce qu’il y avait la zone libre et puis mon père toujours naïf qui croyait au bien : “Je suis bien là, regarde, on nous fait pas de mal, je te vois, je vois les enfants, je vais finir la guerre ici, c’est pas la peine parce que, si moi je me sauve, c’est vous qui allez en souffrir, alors je suis bien comme ça.” Je pense que c’est dommage qu’il n’a pas écouté ma maman, je pense que la suite n’aurait pas été si tragique.
Hélène : Votre maman, pendant que vous étiez à Pithiviers, en pension, elle faisait la navette, elle travaillait à Paris, vous aviez une idée ou elle était pas à côté de vous ?
Arlette : Pas du tout. Non, j’ai pas un trop grande idée. Quand on était à Pithiviers, je pense qu’elle devait travailler, s’organiser à Paris ou, car après j’ai retrouvé des actes de réquisition d’atelier de mon père donc je sais qu’elle avait donné une partie de l’atelier de mon père, une partie de l’atelier qui était très importante aux Français qui avaient promis de libérer mon père si elle donnait cet atelier. Et c'était un atelier de fourreurs où ils faisaient des petits gilets en lapin pour les Allemands qui étaient au front, vous savez le front de Russie. C'était une réquisition, ce qu’on appelait les Juifs utiles puisqu’on était utiles aux Allemands et pas aux Français par rapport aux Allemands. Et je pense qu’elle devait s’occuper de ça. C’est ce qu’elle faisait.
Hélène : Et votre père, vous avez un souvenir à Pithiviers, ou à la ferme, comment il était ? Ce qu’il disait, est-ce qu’il vous parlait?
Arlette : Mon père parlait jamais de souffrance, jamais de douleur, c'était un homme gai, paisible, tranquille. C'était pas un révolté, c'était pas un exalté, je n’ai pas l’impression d’avoir vu un homme exalté. Un homme très paisible, très tranquille, mais qui nous parlait. Non je pense qu’il voulait essayer d'occulter ça, il ne nous a jamais parlé de ça, non.
Hélène : Vous aviez le sentiment qu’il avait quelque chose à craindre ?
Arlette : Je pense qu’il devait le craindre mais il ne voulait pas nous le communiquer, mais c'était pas quelqu’un qui voulait communiquer sa peur, surtout à deux petites filles. Non, je ne pense pas qu’il voulait nous communiquer sa peur. Il avait, je pense, confiance en la France. Pour lui je pense que c'était ça, il avait une confiance dans cette France où il était venu tout jeune homme parce qu’il est venu en 25, 27, je ne sais pas, dans ces années-là, il devait avoir une vingtaine d'années. Il avait une très grande confiance, il pensait que ça va passer, c’est un moment à passer. Et oui, c’est ce que c’est.
Hélène : Et vous avez le souvenir des personnes qui vous l’entouraient à la ferme, il y avaient d’autres…?
Arlette : Non, je ne me souviens pas du tout. Du tout, du tout.
Hélène : Vous avez des souvenirs d’enfants qui ...?
Arlette : A cette époque-là non. J’ai des souvenirs de plus tard mais pas à cette époque. Mais la pas du tout
Hélène: Et vous êtes retournées à ce moment là à Paris… en 42, vous pensez?
Arlette : Oui, on est retournées à Paris. Par quel hasard on est retournées à Paris, je n’en sais rien. Je ne sais pas trop comment on est retournées à Paris mais enfin on s’est retrouvées à Paris. La preuve c’est qu’on était à Paris lorsqu’est arrivée la rafle du Vélodrome d’Hiver de juillet 42. Là malheureusement, on était à Paris.
Hélène : Dans le même appartement ou... ?
Arlette : Dans le même appartement, oui, oui. Dans l'appartement où on était, où l’on habitait et là on s’est trouvées, en juillet 42. Ca par contre, j’ai un souvenir très très précis de la rafle du Vélodrome d’Hiver.
Hélène : Vous vous rappelez du port de l'étoile …?
Arlette : Ah oui, je me souviens du port de l'étoile jaune quand on nous les a distribuées. Et puis ma mère, maniaque ou coquette, elle était avec son amie qui habitait en face, son mari avait été aussi à Pithiviers, elle s'était amusée à les doubler de satin jaune pour que ce soit bien. Et il y avait plusieurs femmes dans le quartier, dans la rue, elles avaient décidé d’ourler ces étoiles jaunes, de nous les mettre et on a marché dans la rue très fiers avec ces étoiles jaunes et on a même fait des photos. On est rentrés, je crois que c'était le photographe qui s’appelait Jérôme, il y avait un photographe sur les boulevards pas loin du Rex. Et on a fait des photos avec les étoiles jaunes et elles n'étaient même pas cousues à cette époque, on l’avait juste épinglée comme ça. Je dois avoir une photo où on voit ma maman, ma soeur et moi. Et on était assez fières, elle voulait pas qu’on se sente diminuées par cette étoile jaune, ça je me souviens très bien.
Hélène : Donc c’était à aucun moment quelque chose que vous avez ressenti par rapport aux autres comme quelque chose de honteux ?
Arlette : Après oui, mais sur le moment, non. Pas sur le moment. Pour moi, j’ai pris ça presque comme un jeu, comme à l'école, on nous mettait, vous savez, des fois une médaille parce que j'étais une enfant sage. C'était un truc comme ça dans mon esprit. Une marque distinctive mais pas avilissante comme eux l’avaient programmé, pas dans mes yeux de petite fille. Non. Peut-être pour ma soeur c'était plus avilissant parce qu’elle a quand même seize mois de plus et elle l’a ressenti ça peut- être différemment mais moi je ne l’ai pas ressenti ainsi
Hélène : A l’école non plus ?
Arlette : Non, non
Hélène : Les enfants n’ont rien dit
Arlette : Je ne sais pas, je n’ai pas de souvenirs d’avoir été à l'école à Paris avec cette étoile jaune et quand on était à Pithiviers ou après, jamais je n’ai porté l'étoile jaune, jamais. Je n’ai jamais plus porter l'étoile jaune après.
Hélène : Merci.
Arlette Reimann Testyler
Part 2
Helene: Nous allons parler donc de 42, de juillet 42. Comment tout est arrivé, est-ce que vous avez senti vous … ?
Arlette: Juillet 42 est arrivé puisque j’avais eu … j'étais quand même protégée jusqu'à présent. Juillet 42 est arrivé comme une masse, parce qu’ils sont arrivés à 3 heures du matin. 4 heures du matin. Et c'étaient pas des Allemands hein. Tout ce que je vais vous raconter s’est passé avec des policiers français. Ils sont arrivés vers 3 ou 4 heures du matin, ils ont sonné à la porte et je me souviens maman a ouvert et la première chose qu’ils ont dit : “On vient chercher votre mari.” Et ma mère a dû sortir un gros mot en leur disant : “Mais vous l’avez déjà pris.” Ils le savaient pertinemment, ils le savaient très bien qu’il était déjà parti, et elle avait même reçu une lettre “parti en destination inconnue”, elle était affolée, elle dit: “Mais, il est déjà parti et même en destination inconnue.” Et eux, sans se démonter commencent à lui dire : “Alors c’est vous et vos enfants.” Et alors-là, j’ai vu débarquer un furie. Ma soeur dormait encore et elle a attrapé une chaise, tout ce qu’elle a trouvé, et elle leur a lancé à la tête en leur disant : “Vous ne m’aurez jamais. Moi, je n’irai pas.” Evidemment, c'était une révolte comme ça, évidemment ça a échoué. Ils nous ont quand même arrêtées et ils ont dit : “Bah vous prenez quelques petites affaires et puis vous nous suivez.” Elle était furieuse, elle était révoltée, elle a essayé de se battre, elle a … je pense qu’elle s’est presque fait traîner en fait, parce qu’elle voulait vraiment pas partir. Et elle pleurait, elle suppliait. Puis, il n’y a rien eu à faire vraiment, ils ont été intraitables. C'étaient des policiers français, il y avait les autobus en bas qui attendaient. Dans l’immeuble, on était quatre familles juives, je crois. Chaque famille avait deux enfants, et ils ont pris tout l’immeuble. Par contre, en face, il y avait une amie de ma maman que je vous ai dit justement, son mari était aussi à Pithiviers avec mon père donc elles avaient sympathisé. Et elle avait aussi une petite fille qui je crois avait un an et demie de moins que moi. Et elle aussi, les gendarmes sont arrivés, les policiers sont arrivés, ont fait le même cirque. Et elle, elle s’est trouvée un peu pétrifiée et elle a dit le même scénario que ma mère. Et un des policiers lui a dit : “Allez chercher du pain et du lait !” Quatre heures du matin, cinq heures du matin, elle les regarde et puis il dit : “Oui oui oui, allez chercher du pain !” Et quand un policier vous dit ça eh bien qu’est ce que vous faites ? Vous y allez. Et au moment de partir, il lui dit : “Et vous prenez la petite !” Elle avait qu’une petite fille, elle prend sa petite filleet elle descend dans la rue. Et au moment où elle s’est trouvée dans la rue - elle nous a raconté après- elle s’est dit : “Il vient de me sauver la vie.” Elle s’est cachée dans une porte cochère, elle a vu les autobus partir, elle nous a peut-être vues monter, nous, dans ces autobus qui avaient été réquisitionnés. Mais elle, un des gendarmes, un des policiers lui a sauvé la vie. Par contre nous, on nous a mis dans ces autobus et on est parties au Vélodrome d’Hiver. Je ne savais pas ce que c'était qu’un Vélodrome d’Hiver. On est arrivées là dans ce Vélodrome d’Hiver, ahhh, c'était quelque chose de terrible. Ces femmes, ces enfants. Il n’y avait pas d’hommes. Les seuls hommes qu’il y avait, c'était des garçonnets qui avaient déjà quinze ans. Tous les autres, c'étaient que des femmes et des enfants. Les plus vieux avaient peut-être quinze ans parce que les autres hommes avaient déjà été arrêtés comme mon père. Et alors ça a été l’horreur. On débarquait dans ce Vélodrome d’Hiver, les femmes entassées, il y avait des femmes enceintes, il y avait des femmes qui avaient des bébés, il y en avait d’autres qui étaient malades. Et tout le monde était là entassé. Moi, petite fille, je me suis retrouvée là, je ne comprenais pas, j’avais l’impression de tourner comme un zombie. Il y avait des enfants qui couraient partout. Parce que le Vélodrome d’Hiver c’est fait de marches où les gens s’asseyaient pour être spectateurs et puis il y avait cette piste cyclable et je me souviens d’avoir vu cette piste cyclable pleine de sang, parce qu’il y avait des jeunes femmes, des jeunes filles ou elles étaient indisposées -pour une enfant de huit ans, on ne sait pas ce que c’est que les règles. On était déjà moins informées que maintenant. Maintenant, les enfants saven. Mais c'était pas qu’on savait pas ce que c'était - il y avait des femmes qui avaient des aiguilles à tricoter et qui s’avortaient, en espérant qu’on allait les faire sortir. Il y avait des …. Je m’excuse. Il y avait du sang partout. Partout. Je ne pouvais pas aller aux toilettes sans voir du sang. Ca c'était terrible. Je me disais bon : “Comment des gens peuvent tant saigner? Comment des femmes peuvent avoir tant de sang? Pourquoi on saigne? D'où ça vient?” Et je me souviens d’avoir été voir ma maman et elle m’a dit : “Il faut faire là ma chérie, on peut pas faire autrement.” Alors il y avait du coton, il y avait des éponges, il y avait des tas de trucs qui étaient pleins de sang. Puis il y avait les petits garçons, après avoir marché avec un petit voisin qui était dans le même immeuble, qui s’appelait Lazare Shelbourn. Mais lui, il était plus âgé, il devait avoir 13 ou 14 ans. Puis je pense qu’il a voulu sortir du Vélodrome d’Hiver. Et il s’est rapproché d’un policier qui gardait la place, pour demander : “Laissez moi sortir.” Et il n’y a rien eu à faire. Mais je sais qu’il y en a quelques-uns qui ont réussi à sortir comme ça, mais très très peu. Ca a été une pincée. Ce Vélodrome d’Hiver c'était l’enfer, la saleté, la promiscuité… On est restées dedans je crois 3 ou 4 jours je ne m’en souviens même plus mais c'était un siècle, c’était une horreur ces femmes qui essayaient d’arranger pour faire dormir les enfants. Mais je vois que du sang. Pour moi le Vélodrome d’Hiver, c’est synonyme de pierres et de sang et de femmes ou qui avortent et de bébés qui pleurent. C'était terrible. A la suite de cela, on est partis, on savait certainement qu’on allait certainement aller dans les camps d’internement que les hommes avaient quittés quelques mois plus tôt, je pense que c'était au mois de mai, juin, ils ont vidé les camps français de Drancy, Pithiviers, Beaune-la-Rolande. Et les hommes sont partis malheureusement sur Auschwitz-Birkenau puisque c’est là que j’ai appris que mon père a atterri. Donc nous, on nous a fait sortir du Vélodrome d’Hiver et on nous a emmenés à la gare. Et on nous a mis devant ces wagons à bestiaux qui étaient là rangés. Et on était sur le quai. Et je me souviens très bien, avant de monter dans les wagons à bestiaux, ils ont déposé sur le quai de la gare des bidons de lait, pour faire une distribution de lait, et puis je crois une petite boîte de sardines, enfin bon un truc comme ça, je ne me souviens plus très bien. Evidemment toutes ces mères qui étaient là, chacune voulait pour son enfant. Telle est la mère. D’abord son enfant, d’abord son enfant. Et puis ma mère, je me souviens très bien, a commencé à dire: “Non, on ne va pas leur montrer qu’on est des sauvages, on va procéder en ordre, on va d’abord donner aux petits, aux plus jeunes et puis après on donnera aux plus grands.” Et c’est ce qui s’est passé, et ma soeur était une des assez grandes, des moyennes, puisqu’elle avait déjà une dizaine d'années, et je me souviens qu’elle est venue voir maman et qu’elle lui a dit: “Je voudrais encore maman.” Et ma mère lui a dit: “Non, c’est pas encore ton tour.” Donc quand on est arrivés après, on est montés dans ces wagons à bestiaux, qu’on nous a fermés. Il faisait très chaud, c'était au mois de juillet, il faisait très très très chaud. Et puis la petite lucarne grande comme ça, avec cette espèce de barreaux. Comment un enfant de cinq ans, de deux ans, de six ans peut aller respirer, ce n’est pas possible. Alors elles avaient instauré, je ne sais pas si c'était maman ou les autres, en disant: “On va prendre les enfants les plus jeunes et à tour de rôle, les faire respirer devant cette lucarne.” Beaune-la-Rolande était à côté, mais c'était long le temps qu’on arrive, qu’on démarre, qu’ils aient l’autorisation. Il devait y avoir des convois de priorité également, enfin, Dieu sait quoi. Nous on était là en attendant sous cette chaleur. Et c’est ce qui s’est passé donc on a pu être un peu organisés dans ces wagons à bestiaux parce que les enfants on les prenait… Je me vois très bien, me prenant, me faisant respirer, devant ce grillage, enfin à tour de rôle. Et puis le train a démarré. Ma mère qui etait une femme courage comme je vous l'ai dit voulait certainement faire passer une lettre, à quelqu’un, un français chrétien, à Paris, en disant: "J’ai donné de..." ou à propos de l’atelier ou pour faire sortir, enfin je ne sais pas, elle a voulu faire communiquer quelque chose. Elle s’est dit, je vais écrire une lettre. Il n’y avait pas d’enveloppe mais elle a trouvé un morceau de papier et puis elle a écrit son petit mot. Et le jeter sur la voie ferrée et être sûre qu’il arrive, elle n'était pas sûre. Et je la vois encore prendre un billet, de l’argent, l’enrouler dans cette petite lettre qu’elle avait écrite. Elle a dû se dire: "Ca va se défaire, je vais le jeter, ça va tomber et tout va s'éparpiller." Je portais des nattes, j'étais blonde, elle m’a pris des cheveux de mes nattes, et avec les cheveux de mes nattes, elle a attaché la lettre et le billet et elle l’a jeté sur la voie ferrée. Bon, c’est connu que les cheminots étaient des gens de la résistance. Et bien cette lettre est arrivée, figurez-vous, à Paris. Elle est arrivée. Je ne sais pas ce qu'elle contenait un message que ma mère voulait faire passer mais ce message est arrivé. Ca c’est fantastique quand même parce que,en se disant que peut être les Allemands l’auraient trouvée, peut-être un des collaborateurs auraient pu la trouver. Parce que la France était comme ça. Et bien non, ça a du tomber sur des cheminots et ils l'ont fait parvenir à Paris.
Helene: Vous l’avez su par votre maman qu’elle est arrivée?
Arlette: Ah oui oui. D’ailleurs elle était très contente, elle a vu, après, les gens chez qui ça devait arriver. Cette lettre est parvenue.
Helene: Et vous ne savez pas le contenu de la lettre ?
Arlette: Non, pas du tout. Pas du tout. Et on est arrivé dans ce camp. C'était au mois de juillet, il faisait beau, il faisait chaud. Ma mère espérait qu’on arriverait à Pithiviers où il y avait mon père, en se disant, "Je connais le gendarme, et tout ça", mais malheureusement, on a été dirigées sur Beaune-la-Rolande. C'était un camp que l’on ne connaissait pas. Et quand on est arrivés la-bas, on s’est rendu compte -comme il faisait beau- les hommes, ils s'étaient déjà organisés puisqu’ils avaient vécu dans ce camp pendant plusieurs années donc ils avaient fait même… je me souviens très bien, devant la baraque, je me souviens qu’ils avaient fait planter des fleurs. Il y avait des petites fleurs qui poussaient, ils étaient très organisés. Il y avait même un théâtre à Beaune-la-Rolande. Et on est arrivé dans ce camp, et nous les enfants, on l'a pris un petit peu comme un camp de vacances mais pour les adultes, c'était très très dur parce qu'il y avait les histoires des châlits, vous savez les couchettes où on dormait, c'était pas propre. On venait de quitter le Vélodrome d’Hiver où il y avait eu cette promiscuité, c'était sale. Je me souviens d'une anecdote. Quand on est arrivé, ma mère a dit: “Il faut que je lave mes enfants. C’est pas possible, on peut pas rester comme ça, il faut laver les enfants.” Il n’y a pas d’eau chaude alors qu’est ce qu’elle a fait ? Elle a pris quatre briques qu’il y avait dans le camp, elle a pris une bassine d’eau, et puis elle a dit : “Je vais faire chauffer, et puis on va leur laver les cheveux, il y a des poux, il y a tout, il faut laver les cheveux, il faut laver les enfants.” Et puis, il y a un flic, un gendarme qui gardait le camp qui est passé et qui lui a demandé ce qu’elle faisait. Elle a dit : "Je fais chauffer de l’eau, je vais laver les enfants." Et puis avec sa botte qu’est ce qu’il a fait ? Paf, il a envoyé la bassine en l’air, et bien ça n’a pas découragé ma mère, elle a recommencé deux fois, elle a recommencé, trois fois et après quand il est repassé, il a dit : “Elle est trop têtue, qu’elle les lave ses gosses.” Et elle nous a lavées. Donc ça c'était à Beaune-la-Rolande. Et on n’est pas restées longtemps à Beaune-la-Rolande, parce que ma mère a dû rentrer... elle est rentrée, je pense, dans les bureaux, dans l’administration et puis pelle parlait un peu l’allemand. Et comme elle avait donné l’atelier de mon père en gage, en espérant qu’il sortirait, elle a dit : “Si ca ne l’a pas fait sortir lui, ça va me faire sortir, mes enfants et moi, il faut que ça fasse quelque chose C’est pas possible.” Et elle est rentrée, un jour dans la baraque, en disant : “Je vais sortir du camp.” Et elle a été trouver une voisine qui habitait avec nous du même l’immeuble et qui était aussi à Beaune-la-Rolande, donc la maman de ce garçon, Lazare, et elle avait une petite fille de trois ans et elle l’a suppliée : “Donne-moi ta fille, donne-moi tes enfants !" A d'autres : " Donnez-les moi ! C'est des enfants, puisque moi je vais sortir.” Et cette femme qui était un peu malade, je crois, elle était hémiplégique, je me souviens, elle était un peu paralysée de la face, elle a dit: “Si je garde la petite qui a trois ans, on ne me fera rien. Laisse-la moi.” Et ma mère lui dit : “Non, donne-la moi, je vais la sauver.” Puisqu’elle était déjà sûre qu’elle allait sortir. Et elles n'ont pas voulu. Vous savez, pour qu’une mère se sépare de ses enfants, c'était terrible. C’est dommage parce que la petite, elle aurait été, je pense, actuellement ici, vivante. Elle était belle. C'était un beau bébé, un très beau bébé. Elle était toute blonde. Avec de grands yeux bleus. Mon Dieu ! qu’est-ce qu’elle avait fait ? Pourquoi tant d’enfants, pourquoi ? Pourquoi tant d’innocents ? Oui, on se demande pourquoi, qu’est ce qu’ils avaient fait tous ces petits enfants ? De quoi étaient-ils coupables ? Et bien, nous, on a eu la chance, on en est sorties, on est rentrées sur Paris. Et à la suite deça, ma mère a dû voir que c'était trop dangereux et elle s’est dit "On peut plus rester là". Même si elle était ce qu' on appelait utile pour les Allemands, elle a eu très très peur. Et les Allemands avaient mis les scellés à la maison dans les appartements vous savez, fermés, mais elle a voulu retirer ... je crois, elle est retournée deux fois, trois fois, retirer ce qu’elle avait caché. Et on s’est retrouvées en …
Hélène: Vous avez le souvenir où vous étiez quand vous êtes allées à Paris. Etes vous retournées vous même dans l'appartement ?
Arlette: Non, on n’est pas retournées dans l'appartement, je me souviens, on n’ est pas retournées dans l'appartement. Non,non, on est parties directement. Je pense que maman avait trouvé une filière qui avait été… Tenez, je ne l’ai su que maintenant parce que les documents sont arrivés d'Amérique maintenant. Et c'était une filière qui était faite par le dispensaire de la rue Amelot. Il y avait avant la guerre, un dispensaire dans la rue Amelot qui s’occupait de mettre des enfants en vacances, pour ceux qui n'étaient pas des privilégiés, parce que pas tout le monde partait, comme maintenant les colonie ou les trucs comme ça, donc on plaçait des enfants dans des familles françaises, et la colonie scolaire payait ces familles françaises dans ces fermes et ça permettait aux enfants de Paris d’avoir du bon air. Et ces gens-là cachaient déjà des enfants, les assistantes sociales avaient placé les enfants dans ces familles et les autorités, si certaines personnes posaient des questions, on leur disait : "Bon c’est des petits Parisiens. Ils n’ont pas grand-chose à manger à Paris, donc on les place dans les fermes, dans les familles" mais ils ne savaient pas que c'étaient des enfants juifs. Donc ma mère avait du entendre parler de cette filière, et on est arrivées justement dans un, eux ils étaient dans des petits villages solognots [inaudible]. Et nous, on est arrivées chez une des soeurs, et toutes ces familles puisqu’ils se connaissaient tous -des cousins, des petits cousins, des beaux-frères, des belles soeurs - qui habitait à Vendôme. Et nous on est arrivées à Vendôme dans une famille comme ça qui gardait des enfants, qui avait des enfants. Bon à cette époque, moi je la prenais pour une femme déjà mûre, et j’ai appris maintenant qu’elle n’avait que 25 ou 27 ans et elle a eu des enfants donc après la guerre. Bon c’est vrai que ma mère la payait pour nous garder mais c'était des braves gens parce qu’ils risquaient leur vie. Tous les jours, ils risquaient leur vie de cacher des enfants juifs. Et elle avait aussi un neveu à elle, et j’avoue que chez elle, on a été très très bien traitées parce qu’elle ne faisait pas de différence. Il y avait son neveu, il y avait nous, ma soeur et moi. Et puis, il y avait ma mère aussi. Mais si l’on faisait une bêtise et Dieu sait ce qu’on lui en a fait voir ! On a fait des tours pendables comme les enfants faisaient parce qu’elle partait au ravitaillement sur son vélo pour qu’on puisse avoir de quoi manger, du beurre, de la crème, des oeufs. Elle nous disait : "Bon, la vaisselle de la vieille, vous la ferez. Je mets la clé en haut d’une poutre et en revenant de l'école, vous faites la vaisselle." Et puis on poussait la clé. Et quand elle revenait, on disait: "On a pas trouvé la clé." Bon il y avait une claque à une, il y avait une claque à l’autre. On était tous à la même enseigne et c’était très très très agréable. Ces gens-là, lui, il était paralysé d’une jambe, il travaillait dans une usine, il y avait une usine à Vendôme, une usine de sabots. Il était paralysé d’une jambe et il allait travailler à vélo, il avait un vélo qui avait juste une roue qui marchait et revenait. Il avait un jardin, il cultivait de tout dans ce jardin, il faisait des salades, des asperges, des fraises. Il me donnait beaucoup de fraises, de choses comme ça. Jusqu'à présent, c’est mon fruit préféré. Et il m’a fait connaître la nature, je passais des heures avec lui dans ce jardin et on y est retournés, il n’y a pas tellement longtemps, je le voyais grand, il est tout petit. Puis il y avait un puits, au milieu. Il n’y avait pas l’eau courante alors on puisait l’eau, comme ça, au puits. Et puis, l'été quand il faisait beau, on faisait chauffer l'eau et on prenait un bain dehors, c'était une enfance encore un fois, pour moi protégée. Je pense que pour ma mère ça a du être beaucoup plus stressant, parce qu'à cette époque on a vécu sans papiers. On allait à l'école sans papiers donc il devait y avoir quand même des complicités parce que, dans ces villages, pour aller à l'école et ne pas être inscrit sur les effectifs, il avait du y avoir quelque chose qui s'est passé. Et en plus, on habitait pas loin de la FeldKommandantur. Il y avait des Allemands qui passaient tout le temps. Je me souviens de ma mère qui tremblait parce que j'étais très blonde, j'étais toute menue. Puis il y avait toujours un Allemand qui passait, qui me prenait dans les bras, qui me faisait sauter en l’air qui me disait: “Une petite Mädchen comme ça, [il] avait laissé dans son village.” S’il avait su que c'était une Mädchen juive qu’il avait dans les bras… Il y en a même un qui m’a rapporté une poupée, un jour qu’il est revenu de permission d’Allemagne. Comme quoi il ne savait pas qu’il y avait des enfants juifs, comme quoi malgré ce qu’Hitler a dit, les caractéristiques, c'est que du pipeau tout ça parce que quand on est une enfant, qu'on soit blond, qu'on soit brun… J'étais très blonde c’est vrai, ma soeur était très brune, bah ils les avaient en face d’eux tous les jours. Et on a vécu comme ça pendant des années jusqu'à la libération, avec ma mère, sans papiers.
Hélène: Je vais vous demander, votre père, vous avez su en 42 qu’il était parti mais c'était quelque chose qui paraissait clair ou vous et votre mère en parliez ?
Arlette : C’est-à-dire que ma mère, pendant la guerre, n’en parlait pas. On savait bien puisqu’elle avait reçu ce papier "Parti en destination inconnue."
Helene: Qu'il avait quitté Pithiviers, c’est tout.
Arlette: Oui c’est ça. C’est ça puisque nous on y était après, on savait qu’il y avait les femmes qui avaient pris les camps et après il y avait… Et c'est en arrivant au Vélodrome d’Hiver, lors du Vélodrome d'Hiver, qu'on a commencé à entendre parler de ce pitchipoï, en se disant "on va aller à pitchipoï" et tous les enfants parlaient d'aller à pitchipoï mais on se rendait pas compte que pitchipoï, c'était le néant. Donc quand on en parlait après la guerre, on disait mais c’est vrai qu’ils disaient qu’ils allaient à pitchipoï, et je me disais c’est vrai qu’on disait qu’on allait aller à pitchipoï. Mais pitchipoï, c'était Auschwitz, c'était Birkenau, on savait pas nous. Mais ma mère pensait que mon père allait revenir. Elle était sûre q'il allait revenir, c’est pour ca, je pense qu’elle s’est maintenue. Elle était très courageuse. Elle était très forte. Pendant toute cette époque, elle a été très forte. C'était une excellente cuisinière. A Vendôme, il y avait la vie qui continuait dans les campagnes, il y avait des communions, il y avait des choses comme ça, et puis comme beaucoup de mères juives, elle faisait très bien la cuisine. Elle faisait les challah, pour les non juifs, c'était des brioches. Donc pour les communions, "on va demander à l’Alsacienne" - parce qu'on l'appelait l'Alsacienne ; elle avait un accent quand même, elle passait pour une Alsacienne - "on va demander à l’Alsacienne, elle va faire les gâteaux pour les communions." Et ma mère faisait des gâteaux, elle était une bonne couturière aussi, elle devait être adroite de ses mains. Et on a vécu comme ça jusqu'à la fin de la guerre, cachées, sans papiers. Pour elle, ça devait être dur mais, moi, personnellement, je n’en ai pas souffert, j’aimais bien cette vie de nature, cette vie de… On allait moitié à l'école parce que les effectifs des professeurs étaient réduits. Donc une semaine ou une journée, c'étaient les garçons, une semaine, c'étaient les filles, ou vice et versa, donc on allait que des demi journées à l'école. On avait des lapins dans cette maison où on était donc elle nous envoyait apporter de l’herbe aux lapins alors on passait l'après midi entier à ramasser de l’herbe alors qu'en dix minutes, on aurait pu ramasser un sac d’herbes, on passait des journées, on allait dans les vignes, on se gorgeait de raisins même pas mûrs. Ca pouvait donner des coliques mais ça fait rien. Je ne peux pas dire que j'étais malheureuse à cette époque, les seules choses que je me souviens d’enfer c'était le vélodrome d’hiver et l'après-guerre. J’avoue que j’ai été peut-être plus inconsciente ou peut être trop jeune, je ne sais pas, ou très protégée, tout au moins, ça c’est sûr.
Hélène: Vous étiez très protégée par votre mère qui avait ou … ?
Arlette: Par ma mère puis par ceux qui l'entouraient aussi parce qu’il y avait des familles qui nous ont cachées, faut pas oublier, elles devaient risquer beaucoup. C’est vrai qu’elles etaient remunérées mais enfin elles risquaient quand même, l’argent paye pas la liberté et le risque qu’elles encouraient. Je pense quand même, enfin, elles étaient inconscientes, je ne sais pas si ces familles étaient inconscientes mais enfin beaucoup étaient conscientes. Récemment, on a été rendre un hommage dans ces villages, d'ailleurs on ne savait pas parce que quand on se rencontrait dans les communions, on voyait un enfant, on voyait un autre enfant, mais on ne savait pas que lui, il était juif. Ils ne savaient pas qu’on était juifs, et puis quand, à la Libération, quand les Américains ont pris tous ces documents dans tous ces villages, et les ont emportés aux Etats Unis pour les classer. Et c’est seulement au bout de 50 ans qu’ils ont renvoyé tous les documents en France, et c’est de là qu’on a commencé à savoir qu’on était, je ne sais pas, beaucoup d’enfants cachés. D’abord, on a cru qu’on était deux ou trois ou quatre ou cinq, puis il y en a un qui a commencé à dire. Parce qu’il y a un jeune garçon qui était caché, maintenant c’est un adulte, sa femme travaille dans la radio juive actuellement en France, puis qui a dit: “Je pense que la femme de Yoselé - parce que mon beau-frère fait les missions en Yiddish à la radio juive- elle était aussi cachée.” Et ça a fait boule de neige, et c’est ainsi qu’on a pu savoir qu’on était caché, qu’il y avait pleins d’enfants qui étaient là.
Hélène : Donc, maintenant nous sommes au moment de la fin de la guerre, pouvez-vous nous raconter comment tout ça… ?
Arlette : Comment on a vécu la fin de la guerre? On a été libérés par les Américains. On a été très bombardés parce qu’à Vendôme, je sais pas, il y avait les lignes des chemins de fer, on habitait près des lignes des chemin de fer. C'était une ville où on a eu la chance d’avoir des champignonnières, vous savez ces caves où les champignons poussent. Et on a vécu dedans pendant les grands bombardements où la ville a été bombardée -on avait peur des V2, des V1, tout ça- et on vivait dans ces champignonnières. Et ma mère avait toujours très très peur donc elle avait fait construire un espèce de grand lit, je me souviens très bien, j’avais l’impression qu’il faisait au moins 5 mètres de long, je ne sais pas pourquoi. Monté tout en bois, c'étaient des planches très rudimentaires, et elle avait installé ça et on était beaucoup de familles et on vivait dans ces champignonnières-là. Et c'était très amusant, toujours très amusant parce que Vendôme est une ville magnifique, très historique. Et il y avait ce château, et nous, on était sous le château puisque ces champignonnières-là. Et donc on a été libérés par les Américains. Je me souviens bien des Américains quand ils sont arrivés avec leur chewing-gum, leur spearmint gum, leur chocolat, on ne savait plus ce que c’était. Ah oui, c'était magnifique ! C’est vrai qu’il y avait des filles qui avaient certainement couché avec des Allemands ou des choses comme ca, alors on leur a rasé la tête. Moi ça m’avait très impressionnée. Donc les Français, les soi-disant les FFI, il y en avait peut-être qui n'étaient pas tout à fait des FFI, il y a avait peut-être des FFI, il y avait des résistants, les vrais, les moins vrais, vous savez, et puis ils avaient rasé les têtes de ces pauvres malheureuses parce qu’on peut dire en fait que c'étaient des malheureuses, parce que je pense que si elles se prostituaient ou si elles couchaient avec des Allemands, c'étaient pas tellement pour dénoncer ou collaborer, pas dans ces campagnes-là, c'était pas à ce stade-là, c’était pas des espionnes, c’était pas ça. Et elles défilaient dans les rues comme ça, dans les camions, la tête rasée. Alors après ça a été la mode des grands turbans, c’est comme ça qu’est venue la mode des turbans parce que les filles justement pour cacher leur calvitie. Et puis il restait que quelques Allemands qui étaient encore dans la ville, qui s’étaient rendus. Et il y avait le Loir, la rivière le Loir qui passait, et qui était toujours très sale comme toutes les rivières. Les résistants n'ont rien trouvé de mieux que de faire descendre ces Allemands et ces collaborateurs dans cette rivière et de nettoyer tous les égouts avec les pelles et tout ça et, nous, les enfants, on allait voir ces soi-disant collaborateurs, ces Allemands. C'était encore une histoire, une continuité de jeu, c'était pas dramatique. Dans mon esprit, c'était toujours pas dramatique, pas plus de les voir, je ne les regardais pas comme des ennemis parce que pour moi, ils ne m’avaient encore rien fait de mal à cette époque. J’étais persuadée que papa allait revenir. C’était pas question qu’il ne revienne pas, vous comprenez. Ma mère était là, ma soeur était là.
Hélène : Mais votre mère ne vous disait rien, elle ne vous racontait pas ?
Arlette : Ben ma mère pleurait, ma mère attendait, ma mère était quelqu’un qui pleurait, qui attendait son amour d’enfance qui allait revenir, quoi. Elle, c’est ça qu’elle attendait et puis quand les bombardements se sont arrêtés, on est restées, nous, un tout petit peu, je pense qu’elle, elle, est revenue sur Paris et tous les jours, elle allait à la gare de l’Est, attendre les convois qui arrivaient avec les déportés et puis son mari qui ne revenait pas. Et puis pour elle, c'était pas son mari mais c’était son amour qui ne revenait pas. Cet amour d’enfance qui ne revenait pas. Quand je pense que moi ça fait près de 40 ans, plus de 40 ans, que je vis avec mon mari, j’ai ce bonheur, j’ai cette chance et elle, elle n’a pas eu … combien ? elle n’a pas eu 10 ans à vivre avec lui. Cet amour d’enfance qu’elle attendait toute sa vie. C'était deux enfants qui s’aimaient, ils étaient du village. Ils étaient même petits cousins, c'était son dieu, c'était son amour, il l’a fait venir de Pologne pour la combler de cadeaux. Elle a été comblée de cadeaux, de fourrures, de bijoux. Elle a tout eu mais si court, c'était pas… elle attendait. Et puis … donc l’hiver 45, donc entre juillet, la libération en 44, ça a été comme dans un espèce de petit tourbillon, je voyais maman qui attendait, qui espérait et puis papa qui revenait pas.
Hélène : Vous étiez restées à Vendôme ?
Arlette : On était restées à Vendôme et on était revenues aussi. On avait deux appartements qui avaient été réquisitionnés par les Français. Alors donc on n’avait plus où habiter, on avait deux grands appartements, un où il y avait l'atelier de mon père au cinquième étage, nous on habitait au troisième étage. Les appartements étaient grands puisqu’on avait mêmes des salles de bain avant la guerre, des trucs comme ça. Tout ça donc, c'était grand. Mais les appartements avaient été réquisitionnés. Le temps qu’elle récupère au moins un des appartements, elle nous a laissées à Vendôme et après on habitait dans le 14ème jusqu'à ce qu’elle le récupère. Mais moi, je ne la vois qu’attendre papa, attendre papa, espérer qu’il revienne. Et puis je me souviens un jour elle est revenue, elle pleurait et je lui ai dis: “Pourquoi tu pleures?” Elle dit: “J’ai vu quelqu’un qui a vu papa.” Et elle a dû me dire que c'était Auschwitz. Et moi dans ma tête de petite fille, ça me disait rien, de petite fille. Et puis il parait qu’il était malade et qu’il avait le typhus. Le typhus c’était une maladie bizarre, ca devait être très grave, pour moi, dans mon idée. Et il avait le typhus et puis depuis pas de nouvelles. Et puis c’est tout ce que l’on savait de lui. Et on a attendu les derniers, les derniers transport. Elle espérait encore jusqu’au jour où quelqu’un a dû lui dire “Je crois qu’il est passé dans la chambre à gaz après le typhus, il est pas sorti du Revier que pour aller dans la chambre à gaz.” Alors là on a senti que ma mère avait quelque chose qui se brisait. C'était fini. Pas de raison de vivre. C'était terminé. Et elle est tombée malade. Elle pleurait. Elle pleurait jour et nuit. Elle est tombée malade, elle a … la tête… Un jour, elle est tombée du train. On nous l’a ramenée et elle souffrait le martyr de la tête. On la ramenée de l'hôpital, elle pleurait : “Il faut me donner de l’opium. Donnez moi quelque chose, je peux plus.” Vraiment, elle était très mal. On l’a emmenée à l'hôpital et je voulais qu’elle se batte, je me souviens ma soeur lui a dit, à l’hôpital : “Mais maman, nous on est là. On est là.” Et ma mère lui a dit: “Je vous laisse assez.” C’est vrai qu’il y avait de l’argent, c’est vrai qu’il y avait les moyens. “Moi, j’ai besoin… je veux revoir papa.” Et ça devait être très dur pour ma soeur aussi d’entendre une mère qui dit : “Je baisse les bras” alors qu’elle s'était battue tout le temps. Tout le temps. Elle était vraiment une femme courageuse. Elle était forte. Et elle dit : “Non, moi je veux revoir Papa, je veux revoir Papa.” Et elle est décédée en ayant que ça en tête, en voulant voir son mari, son amour qu’elle n’avait pas pu continuer. Qu’est-ce que c’est que dix ans, même pas, dans une vie de femme ? C’est rien. Et elle s’est laissée mourir et elle est morte en janvier 46. Donc, vous voyez, de juillet 45 à janvier 46, c’est vraiment attendre jusqu'à la fin et puis se dire : “Eh bien non. Mon petit amour d’enfance, c’est fini.” J’avoue que le jour de l’enterrement, je me vois encore au cimetière à Bagneux, devant sa tombe, et quand on l’a descendue, j'étais malheureuse, c’est sûr, mais je lui en ai voulu. Pourquoi elle m’a abandonnée, pourquoi elle m’a laissée alors qu’elle avait été là tout le temps ? Pourquoi nous laisser là ? Ca a été mon premier sentiment. Et pendant longtemps, j’avoue, longtemps, des années, je comprenais mais je lui en ai voulu beaucoup de nous avoir abandonnées. Beaucoup, beaucoup. Oui, ça c'était la seule chose que je pouvais en vouloir à maman, c’est de m'être sentie abandonnée, d’être seule, comme ça. Je me disais : “C’est pas normal qu’elle nous abandonne.” Et, c’est ce qui s’est passé. Et alors là, alors que tout ce que je vous ai dit, cette période de guerre qui aurait dû être dure, a été pour moi privilégiée quand même parce que j’avais ma mère, j’avais ma soeur - manger, je n'étais pas une grosse mangeuse, je ne souffrais de rien, j'étais bien, j’ai connu la nature, j’ai connu de belles choses - ça a été la descente aux enfers, l’horreur parce qu’on n’avait pas vraiment de famille. Il y avait un soi-disant beau frère de ma mère qui était venu, le mari de sa soeur qui était revenu de je ne sais pas où.Et puis tout le monde a tout pris, tout le monde s’est servi. Et nous, on n’avait plus rien. On n’avait pas seulement pas de papa, pas de maman mais tous les biens, tout ce qu’ils ont laissé, tout le monde se servait. Et nous, on était là toutes seules, toutes les deux livrées à nous mêmes. C'était très dur. Et puis je me suis dit que ce n’est pas possible. Comment ? Et puis dans mon esprit, maintenant je m’en rends compte, je tournais comme un zombie parce que je n’avais pas de références, je m'accrochais donc à ma soeur. On n’a pas grande différence. Elle n'a que 16 mois de plus que moi. Elle était plus mûre que moi. Mais pour moi elle était le pilier, c'était la seule chose qui me restait. Et puis tout d’un coup, on m’a quand même séparée. Parce que, bon c’est vrai qu’il y a eu une partie … on nous a donné des tuteurs, des subrogés tuteurs, bon tout ça, je préfère même pas en parler parce que tout le monde a tout pris. Et un des tuteurs a dit: “Bon la petite, on va la mettre en pension.” Et puis la grande ? Je ne savais pas du tout ce que ma soeur faisait à part. Donc moi on m’a mise en pension pour que je finisse, continue mes études dans la Sarthe.
Hélène : Et vous, vous aviez donc 13 - 14 ans ?
Arlette: Non, je n’avais pas encore 14 ans. C'était en 45, en 46. En 46, j’avais 13 ans. J’allais avoir 13 ans. Donc on m’a mise en pension. Et puis là ça a été un retour, quelques mois, encore un peu de paix parce que j'étais de retour dans un milieu avec des enfants, donc un petit peu occulté mais il y avait quelque chose qui me manquait, certainement j’ai dû être très perturbée. Parce que je me souviens, alors que je me suis remise à refaire pipi, partout, il y avait quelque chose qui n’allait pas, ça j’ai jamais raconté ça. Et c'était la première fois que… Un jour, je me suis levée et j’avais mouillé mon lit. J’ai eu honte. Honte. C'était quelque chose de terrible. Je crois que depuis l’âge de 2 ans, 3 ans j’ai dû être propre. Là tout d’un coup, il y a dû avoir quelque chose d’affectif qui s’est passé. Sont arrivées les vacances scolaires, je suis rentrée à Paris et puis j’ai vu ma soeur qui était là. Et puis qui travaillait. Je lui dit: “Qu’est ce que tu fais ? “ Elle me dit: “Je travaille parce qu’il faut qu’on gagne notre vie… “ J’ai dit : “C’est pas possible. Comment c’est possible ? Moi je veux continuer mes études” et puis je vois ma soeur qui travaille, je dis: “Je ne retourne plus en pension.” Et puis je suis restée avec elle et j’ai dit non: “Je ne retourne pas.” Donc on était dans l’appartement que ma mère avait pu récupérer, un des appartements. Les charges, les loyers, tout ça on n’avait pas d’argent, on s’en fichait. Et on vivait là toutes les deux.
Hélène : Seules?
Arlette : Seules. Comment on n’a pas mal tourné ? Comment on s’en est sorti ? Je vous assure, je ne sais pas comment. Fallait vraiment ou qu’on ait un bon fond ou qu’on ait … Mais alors vraiment, je ne sais pas comment. Comment deux enfants de quatorze ans, deux filles vivant toutes seules dans cet appartement. Et puis on était fières de nous parce que je me souviens, il y avait cette amie qui habitait … de ma mère qui était en face qui était très gentille, c’est la seule qui nous a tendu la main. Parce que je me souviens, un an après le décès de maman, c'était juste la date anniversaire. Moi je ne savais pas ce que l’on fait les shivim, les shloshim, les yortsayt, vous savez le jour de l’anniversaire de l'année... elle, elle savait par contre. Elle vient un jour et puis elle dit comme ça : “Allez les filles, on va ensemble, je vous emmène au cimetière.” Elle nous a emmenées au cimetière. C'était le jour anniversaire de la mort de maman mais comme elle ne voulait pas que ce soit dramatique : “On va aller au cinéma.” Et elle nous a amenées au Rex, je me souviens encore voir “Dumbo l'éléphant”. Donc, s’il n’y avait pas eu cette femme-là, qui elle venait mais sans nous dire “Ah les pauvres filles” ou nous apporter à manger. Pas du tout. Des fois elle disait, elle venait, elle disait: “J’ai trop préparé, allez hop, on fait une dînette les filles, on mange ensemble.” Et nous on voulait être fières, donc on voulait l’inviter aussi. Mais du beurre il n’y en avait pas. De temps en temps, on avait un petit peu de margarine. Ce qui fait qu’elle disait tout le temps: “C’est marrant chez toi, comment cela se fait que chez vous le beurre il est un peu salé? Il a un drôle de goût” On lui disait que c’est parce que c’est du beurre salé qu’on a fait venir de la campagne. On ne lui disait pas que ce n'était que de la margarine. Oh je me souviens une fois on avait été voir des amis de mes parents qui étaient marchands de meubles à Montparnasse. Et puis on arrive à Montparnasse, c'était une famille qui avait quatre filles. Ils avaient de l’argent. Les parents étaient là. Et on mangeait. Puis nous, on regarde les pommes de terre. On avait pas vu la couleur des pommes de terre depuis pff x temps avec ma soeur. Et ils ont dû le voir et ils nous ont proposé je pense de dîner et on a dit : “Non, on veut rentrer à la maison.” Parce que quand même, on était fières. Ils ont dû voir qu'on manquait de quelque chose et elle a dit : “Tiens prends quelques pommes de terre.” Bon, c'était rationné. “Prends quelques pommes de terre.” Et je me vois avec ma soeur, on prend les pommes de terre, on descend dans le métro, et de Montparnasse à la République, c’est loin, on changeait aux Invalides, on s’est dit : “Comment on va faire cuire ces pommes de terre pour ne pas en perdre une goutte ? Est -e qu’on les fait sauter ? Mais non ça va diminuer. On n’a pas d’huile. Est ce qu’on les fait … ?” On a dit: “ On va faire une soupe, on va faire un yushke. Vous savez ce que c’est un yushke ? C’est cette soupe qu’on appelle de pauvres. C’est la soupe des pauvres d’ailleurs en Pologne que l’on fait avec des pommes de terre et un peu de farine. Donc on s’est dit on aura les pommes de terre, on aura le potage et on aura les légumes. Et on s’est fait … la saveur de ce yushke, vous ne pouvez pas savoir. Deux enfants, donc 13 et 14 ans ….
Hélène : Et que votre mère vous avait appris sinon ...
Arlette : Oui, je pense que oui… Enfin, bon, on savait se débrouiller puisque actuellement, on fait la cuisine sans vraiment l’avoir appris. Je pense que c’est un don inné. Ma mère, elle cuisinait merveilleusement bien. Tout le monde disait : “C’est un cordon bleu ta mère.” Jusqu'à présent les gens qui la connaissaient disent : “Ta mère ? Une cuisinière hors pair. Savoir recevoir comme ta mère recevait, c'était hors pair” Donc, un pommier ne donnant pas de poire, je pense que si elle cuisinait bien, c’est pour cela que l’on cuisine bien ma soeur et moi aussi. Ah ces pommes de terre ! Qu’est-ce qu’on a manqué ! On a manqué de tout. Là, c était vous voyez pour moi, c'était pire que la guerre. Je n’avais pas ma mère, j'avais que ma soeur, on manquait de tout, on n’avait rien. De rien, de rien, de rien. Et puis il n’y avait pas vraiment quelqu’un pour dire, pour voir, pour se dire mais qu’est-ce qu’elle font ces deux filles ? De quoi vivent-elles? Comment vivent-elles? Vraiment ça a été très très dur. Je pense que chacun doit avoir sa part. Je n’ai pas eu ma part pendant la guerre, je l’ai eue après. Oui, ça c'était la période la plus dure jusqu’au jour où ma soeur, elle a rencontré son mari. Ma soeur avait une vénération, c’est pour mon papa, son père. Son papa, c'était quelque chose... Je vais vous raconter un petite anecdote. Quand elle était toute petite, elle embrassait je crois tous les hommes, tous les garçons, les trucs ça. Et quand est arrivée la guerre, on l’appelait “tous les Mensch” parce que vous savez, en Yiddish tous les “Mensch” ça veut dire “tout le monde” parce qu’elle embrassait tout le monde. Et un jour elle s’est révoltée et elle a dit : “Je n'embrasserai plus personne jusqu'à ce que papa revienne de déportation” Et ça a été comme ça. Jamais ma soeur n’a embrassé ni un monsieur vieux ni jeune. C’était fini. Et après la Libération, quand elle a été obligée de travailler, un jour elle revient complètement excitée. Je lui dit : “Qu’est-ce que tu as?” Elle me dit : “Tu ne devineras jamais.” Je lui dis : ” Qu’est-ce qui t’arrive ?” “Tu ne devineras pas.” Je lui dis : “Qu’est-ce que je ne devinerai pas ? ” “J’ai vu papa, j’ai vu papa, j’ai vu papa.” Je dis : “Quoi papa?” Elle me dit : “Il y a un garçon en face de moi : “C’est papa, c’est papa, c’est papa.” Et c’est vrai que mon beau frère ressemble à mon père. Et elle avait à ce moment-là, pas tout à fait 17 ans. Et à 17 ans, ils se sont mariés. Donc à partir de là, disons que la vie a commencé un petit peu à changer. Elle, elle s’est sentie d’abord plus sécurisée, il y avait déjà un foyer puisque lui il est venu travailler. Il était dans la fourrure. Nous on avait l'appartement. Donc, il a commencé à créer un atelier dans l'appartement de mes parents. Moi, je vivais avec eux. C'était déjà une vie plus normale et puis ben ce frère … enfin le mari de ma soeur avait un plus jeune frère de trois ans qui venait à la maison, qui était tout seul puisqu’eux revenaient de déportation. Mon mari a été déporté à l'âge de… à l’anniversaire de ses 14 ans. Et puis, il s’est trouvé qu’il nous a présenté son frère qui venait et puis qui a sorti la petite soeur. Et puis la petite soeur devait rentrer à minuit parce qu’elle était toute petite, elle était trop jeune. Mais le petit frère ne se décourageait pas, il la sortait, je faisais du sport, j’allais … j'étais dans un mouvement de jeunesse.
Hélène : Juif ?
Arlette : Juif. Oui oui. Alors ça, les mouvements de jeunesse, ça a été pour nous une bénédiction. Ces mouvements de jeunesse, parce que comme on était livrées à nous-mêmes, c'était des mouvements de jeunesse de la rue de Paradis, l’U.J.R.E., des communistes, des socialistes alors que mes parents ne l'étaient pas du tout. Mais eux nous ont pris en charge.
Hélène : Après la guerre
Arlette : Après la guerre. Tout de suite après la guerre. Et c’est les seules vacances que j’ai passées, c’est les seuls gens qui nous ont pris en charge. On allait le dimanche dans ces foyers-là de la rue de Paradis et on se retrouvait, on était considérés comme des Mensch. On était quelqu’un alors que l’on était rien pour les autres. Pour les petits cousins, on n’était rien, on n’était qu’un fardeau. Parce qu'ils avaient écrit, les petits cousins, à la famille -on avait de la famille à New York, on avait de la famille en Argentine- en leur disant : “Il y a deux petites orphelines qui sont là. Bon, les parents avaient de moyens” et trucs comme ça. On va vite tourner la page parce que les seules réponses qui leur sont revenues en leur disant : “Il n’y a pas d’avenir aux Etats Unis. Vaut mieux qu’elles restent en Europe.” Vous voyez, donc on tourne la page. Et dans ces foyers justement juifs, on a été mis en valeur, on a fait du sport. Je me suis retrouvée au retour … quelqu’un dans mon milieu parce que je pouvais oublier toutes ces angoisses que j’avais de ne pas être épaulée, assistée. Je pense que j’ai eu besoin un peu toute ma vie, maintenant je m’en rends compte, d'être protégée. Et c’est ce que mon mari fait aussi actuellement. Je pense que c’est quelqu’un qui m’a protégée quand ma soeur s’est mariée et qui me protège même maintenant. Il m’a protégée toute ma vie en fait. Et je crois que j’ai retrouvé en lui, pas seulement un beau-frère, le frère d’un beau-frère mais le meilleur qui puisse m’arriver. C’est-à-dire que quand je l’ai rencontré lui, j’avais 15 ans, 15-16 ans. J’allais avoir 16 ans. Je ne connaissais rien de la vie, j’étais très vulnérable. Et puis lui, il m’a fait prendre conscience de prendre patience, que la vie continue, qu’il y a des choses bien. Il me sortait, m'emmenait au cinéma. Il m’emmenait même danser l'après midi. Il me ramenait après chez ma soeur. Tous les samedis, il était présent. Il était là tout le temps. Et puis bien sûr, de fil en aiguille, si lui il avait besoin de retrouver un foyer, il l’a trouvé. Moi, j’avais besoin de retrouver une épaule, quelqu’un qui m’écoute et puis il était là. Et puis, il est toujours présent. Ca c'était important. Bon à part ça, on a vécu, grâce à cette période des Juifs qui s'occupaient d’enfants justement qui étaient seuls, des moments très agréables, oui vraiment là ils nous ont pris en charge. Je pense que ce n'était pas tout à fait désintéressé parce qu’ils nous parlaient de politique, un peu d'endoctrinement mais ça n’avait pas d’importance parce qu’on était bien dans ces mouvements de jeunesse. C'étaient des mouvements de jeunesse. On était considérés. On vendait l'Humanité, Vaillant, des choses comme ça. Après on a changé, parce qu’on s’est rendu compte, que le sionisme aussi a ses valeurs. Mais c’était des valeurs sûres… ils ont su nous protéger, au moins de pas être à la rue. C’était très important. Beaucoup d’enfants comme nous se sont retrouvés dans ces mouvements de jeunesse. C'étaient des bons mouvements de jeunesse. C'était propre, c'était sain, c'était bien, c’était très bien, oui oui
Hélène : Vous faisiez surtout du sport ?
Arlette : Du sport. Oui oui. Du sport, des promenades,
Hélène : Et l’école. Vous vous… C'est fini hein ?
Arlette : C’était fini. Ah oui ça a été fini.
Hélène : C'était l’insertion immédiate professionnelle ?
Arlette : Ah oui, ça a été l’insertion professionnelle tout de suite. D’ailleurs quand on s’est mariés, je pense que j’avais besoin d'étudier, j’adorais l'école. C’est pour ca qu’actuellement je suis une perpétuelle, une éternelle étudiante. S’il y a des conférences, j’y vais. Auditeur-libre, en Sorbonne, je vais. J'étudie les hommes qui nous gouvernent, la politique, l'économie européenne. Tout m'intéresse, j’ai besoin d'étudier, j’ai besoin de savoir. Conférences en anglais. C’est une lacune que j’ai dû avoir. Et donc aussitôt qu’il y a une possibilité de s’inscrire à des cours, j’y vais. Et mon mari d’ailleurs voulait, même quand on s’est mariés, il m’a dit : “Tu devrais reprendre tes études.” C'était la galère, il fallait quand même travailler. Je ne pouvais pas le laisser. Mais c’est vrai que c’est ce que j’aurais aimé faire. C’est vrai. Il voulait. Il aurait aimé, lui aussi. Enfin, on ne fait pas toujours ce qu’on aime, ce qu’on veut. Mais je le fais en vieillissant. Maintenant que je suis une femme plus âgée, je peux faire quand même ce que je n’ai pas pu faire quand j'étais plus jeune. Oui, ça ç’a été une période qui nous a relevés. Donc on s’est épaulés avec mon mari, on s’est mariés. J’ai une fille dont je suis très fière, qui me donne beaucoup de satisfaction. Oui...
Hélène : Qui a fait des études, ce qui est important.
Arlette : J’ai perdu un fils malheureusement après elle. Elle a fait des études, oui. J'espère qu’elle a réussi sa vie. Elle nous a donné … elle a fait trois beaux petits garçons. Les trois Mousquetaires. Ca, c’est une belle chose. Et les petits enfants, surtout l'aîné, se sentent concernés par cette période. Le deuxième aussi, il veut aller à Auschwitz mais le premier s'intéresse à tout, lorsqu’on a été remettre cette plaque commémorative dans le village où on était, il est venu. Il y avait chaque année à la Synagogue de la Victoire, vous savez, il y a la commémoration pour la journée des déportés. Comme c’est un enfant, un petit fils de déporté, et qu’il est Bar Mitzva, cette année on lui a demandé de lire, vous savez les noms de enfants, du livre de Klarsfeld et il vient spontanément. Et pendant toute la cérémonie je le regardais, il pleurait, il pleurait, il pleurait. Je me suis dit : “Ben il n’arrivera jamais à lire.” Et puis quand il est monté au pupitre, il a lu les noms des enfants et j’ai pensé à ce moment, si mon père pouvait l’entendre, si ma mère pouvait le voir. Avoir la chance d’avoir un des petits fils, son arrière petits fils qui est monté à la Victoire. Il y avait toutes les personnalités, il y avait tous les membres du gouvernement. C’est passé à la télévision. Malheureusement, j’aurais préféré qu'il ait ses arrières- grand-parents ou que ma fille ait ses grands-parents. Un jour, toute petite à la sortie de l'école, elle m’avait dit aussi- je ne sais pas si elle s’en souvient- “Je ne veux pas que tu viennes me chercher.” Elle allait dans un petit cours privé parce qu’elle avait deux ans d’avance. “Je ne veux pas que tu viennes me chercher a l'école” Je lui ai demandé : “Mais pourquoi ?” Elle m’a dit : “Je veux faire comme les autres, pourquoi c’est pas une grand -mère qui vient me chercher ou un grand-père ?” C’est dur. Et là je me dis : “Ben mon Dieu, je suis contente. Mes petits enfants ont leur grand-mère, ont leur grand-père, ça fait plaisir. Oui, je suis très heureuse pour ça, elle a bien réussi. Oui, c’est une très bonne chose d’avoir une fille comme ça, elle me donne beaucoup de joie. Malgré que c’est dur qu’elle soit partie de la maison, la maison est vide mais c’est la vie. C’est vrai.
Hélène : Merci.
[ Fin de l’interview ]