MARCELLE DUVAL

https://collections.ushmm.org/search/catalog/irn508514

Crédits : United States Holocaust Memorial Museum/Jeff and Toby Herr Collection

Accession Number: 2001.5.3 | RG Number: RG-50.498.0003

Mention légale :  Ce document est une transcription quasi-verbatim des 2 dernières parties de l’interview de Marcelle Duval, réalisée par Beverlye Gédéon (UPenn ’21). Il ne peut en aucun cas être considéré comme source primaire.  L’exactitude de la transcription n’a pas été officiellement vérifiée.

A transcript of the whole recording  is available in English at :

https://collections.ushmm.org/oh_findingaids/RG-50.498.0003_trs_en.pdf

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Marcelle Duval est l’une des infirmières qui furent affectées au Vélodrome d’Hiver en juillet 1942. L’interview a été faite le 27 septembre 1999.

Part 2 mp4

Interviewer: Alors on va reprendre... Ces fameuses journées de juillet 1942

Marcelle: Oui

Interviewer: Alors racontez nous comment vous avez vécu ça ?

Marcelle : Eh bien si ma mémoire est bonne, le dimanche soir qui a précédé ces rafles, j’ai reçu un coup de téléphone de la Croix Rouge me disant: “Veuillez vous tenir à notre disposition jeudi matin à 7 heures, une station passera vous prendre.” Bon c'était toujours des stations qui passait nous prendre chaque fois que nous avions une sortie. Alors, j'étais sur le trottoir à 7 heures du matin, la station arrive, il y avait 3 infirmières dedans, j’entre, j'étais la quatrième, c'était des camarades que je connaissais bien. Alors elles me disent : “On va au Vélodrome d’Hiver pour ouvrir un poste de secours.” J’avoue que nous étions toutes un peu furieuses parce que, habituées à des sorties, comment dirais-je,  beaucoup plus importantes, nous ne voyions pas très bien ce que nous allions faire dans un poste de secours avec une petite valise de secours puis dans un vélodrome. Aucune d’entre nous n'était jamais entrée au Vélodrome d’Hiver. Alors on se disait : “Qu’est-ce qu’on va faire ? Il n’y a pas de course tout de même à 7 heures du matin.” Alors nous avons fini par penser que c'était une répétition peut-être d’une course de cyclistes qui avait lieu le soir. Alors la voiture nous arrête, nous descendons, nous voyons tout ces agents. Alors nous leur demandons : “Qu’est ce qui se passe?” Alors ils nous disent qu’on a raflé des gens dans la nuit et qu’on les a tous mis dans le vélodrome. Nous entrons, moi je suis complètement affolée par la taille de cet énorme bâtiment et puis alors tout ces gens qui étaient là, les uns qui étaient assis, les autres qui descendaient les escaliers, qui les montaient, des enfants alors partout qui criaient, qui pleuraient. Des enfants qui cherchaient leurs parents, des parents qui cherchaient des enfants. Euh, nous qui pensions voir des cyclistes,  j’avoue que nous avons passé quelques minutes un peu à ne strictement rien comprendre. Et puis personne ne venait nous expliquer quoique ce soit, il n'y avait aucun représentant de quoique ce soit. C’était trop tôt. Alors nous installons notre petit poste de secours. A ce moment là... bouf, je crois que c'était le premier suicidé qui s'était élancé d’un balcon, parce qu’au Vélodrome d’Hiver il y avait des balcons métalliques et ces balcons faisaient des petites avancées rondes. Il s’était mis là le malheureux et puis il était tombé à nos pieds. Heureusement, il y avait le médecin qui était arrivé et il a jugé qu’il était mort sur le coup. On a emmené le corps et je sais que par la suite il y en a eu peut être une vingtaine qui se sont suicidés de cette façon-là. Alors nous avons ouvert notre petit centre. Notre représentant de la Croix Rouge a tout de suite téléphoné pour demander un renfort. Moi, j’ai dit : “Il faut au moins une cinquantaine d'infirmières quand on voit tous ces gens, ils sont des milliers ici. Et puis surtout ce qu’il nous faudrait c’est avoir une tente pour pouvoir les soigner décemment parce qu’on ne peut pas soigner des gens sur une arène comme ça ouverte à tous les vents, puis il nous faudrait des tas de médicaments.”  Nous, nous étions venus avec une petite trousse chirurgicale, des petits pansements, tout ce qu’il faut pour un cycliste mais pas du tout pour ce genre d’intervention. Alors on nous a amené des enfants qui étaient très malades, le médecin a détecté des diphtéries, des oreillons, des scarlatines, des rougeoles, des grippes, des otites... enfin des quantité de choses, c'était insoignable sur place. Heureusement, nous avions toujours des cachets d’aspirines à donner, cela ne fait jamais de mal et puis ça fait tomber un petit peu la fièvre et il y avait des responsables allemands qui sont arrivés. Je suppose qu’ils étaient allemands, j’en sais rien au fond, enfin c'était des responsables et notre médecin a discuté ferme avec eux pour qu’on puisse envoyer ces enfants dans les hôpitaux pour les faire soigner parce que, d’une part, ils avaient de très grosses fièvres puis, d’autre part, leur maladie était ultra contagieuse et ils pouvaient la passer donc à d’autres. Et l’accord nous a été donné. Alors ce qu’ils sont devenus, moi, je ne sais pas, je sais qu’une chose, l’accord a été donné. Nous avons vu beaucoup de femmes qui étaient concernées puisque c'étaient elles qui nous amenaient leur enfant malade et qui ne voulaient absolument pas se séparer de leurs enfants, qui préféraient le garder auprès d'elle parce que la population savait qu'elle devait rentrer en Europe centrale. Nous n’avions, nous infirmières, du moins moi, je n’avais pas du tout réalisé que c'était uniquement des Juifs, je ne connaissais pas du tout ce problème-là. Je m'étais rendu compte que c'était des étrangers parce qu'ils ne parlaient pas très bien notre langue et puis entre eux ils parlaient toujours étranger, mais j’avais pas du tout compris que c'était une rafle de Juifs, absolument pas, enfin du moins le premier jour.

Interviewer: Mais on parlait déjà de déportation à ce moment-là

Marcelle : Non

Interviewer: Non

Marcelle : Enfin, je n’avais jamais entendu parler de déportation. Vous me direz que j'étais pas trop au courant. Evidemment, je lisais pas les journaux, j’avais pas le temps puis cela ne m'intéressait pas beaucoup à l'époque. Donc, il y avait une grande réticence des mères. Je sais qu’ il y a quelques enfants qui ont pu être évacués, je suppose que c’est par l'hôpital Rothschild parce que les délégués de l'hôpital Rothschild sont arrivés et puis ensuite il y eut les délégations de  l’U.G.I.X.[sic]

Interviewer: L’U.G.I.F., oui.

Marcelle: Oui, L’U.G.I.F. c’est ça et puis il y a eu le Secours National qui est arrivé. Enfin, il y a beaucoup de gens qui sont arrivés par la suite.

Interviewer: Mais vous étiez les premières, la première...

Marcelle : En plus, nous étions les premières, il y avait personne quand nous sommes venues

Interviewer: A 7 heures du matin ?

Marcelle: Oui à 7 heures du matin

Interviewer: Alors vous êtes donc confrontée à ces maladies nombreuses, quelles étaient les autres pathologies de ces gens ?

Marcelle: Nous avons eu d’abord pas mal de femmes qui ont accouché et puis beaucoup d’avortements provoqués évidemment de manières assez rapides. Alors là, notre représentant de la Croix Rouge a obtenu des Allemands, et ça c’était effectif, que les fausses couches et les femmes qui étaient enceintes depuis plus de 6 mois après avoir subi un examen puissent être hospitalisées et partent. C'était effectif, nous les avons vues partir et celles-là, elles sont parties avec leurs bébés puis avec les enfants qu'elles avaient. Si elles avaient un homme, je ne pense pas qu’ il soit parti, lui. Mais elles sont parties avec leurs enfants.

Interviewer: Alors, il y avait des femmes avec des enfants, c'était un grand nombre de ces personnes. Il y avait des personnes âgées ?

Marcelle : C'était toute la famille qu'on avait mise. Il y avait des gens âgés, il y avait les grands parents. Ils ont été pris avec les autres . C'était la famille entière.

Interviewer: Alors, vous êtes dans cette station d’urgence

Marcelle: Oui

Interviewer: Et, on ..

Marcelle: Alors nous avons reçu dans l'après midi la tente que nous avions demandée ce qui a permis de faire des examens, de soigner plus discrètement nos malades.

Interviewer: Et votre équipe était toujours aussi réduite ?

Marcelle: Non, nous sommes montés à douze mais ce n’était évidemment pas suffisant. ll aurait fallu que nous soyions beaucoup plus. Alors, ce que nous avons reçu, nous avons reçu en complément des secouristes et puis un certain nombre du personnel de la Croix Rouge qui ont monté une biberonnerie parce qu'on avait dit, paraît-il, aux personnes arrêtées qu’elles emportent avec elles des denrées pour deux jours. Mais étant donné que l’on n’avait prévenu personne que nous étions en pleine état de guerre, qu’il y avait des tickets de rationnement, vous savez que les Juifs à cette époque-là n’avaient le droit de faire leurs courses alimentaires que, je crois, entre 16 heures et 17 heures, quelque chose comme ca, quand il ne restait plus rien dans les magasins en général. Par conséquent, très rares étaient ceux qui avaient des provisions chez eux. D’autant plus qu’ils ne mangeaient pas de charcuterie, par conséquent, à cette époque-là, on n’avait pas de frigidaire, donc on ne pouvait pas garder du lait. Il y avait des gens, c'était très difficile de faire des provisions. Mais enfin, on a essayé de confectionner des biberons. Je ne sais pas du tout s’il y en a eu suffisamment ou pas. D’après ce qu’on a l’air de dire, je ne crois pas qu’il y ait d’enfants qui aient souffert sur ce plan-là parce que toutes les administrations humanitaires qui étaient venues ont probablement fait envoyer des caisses de lait, aussi bien l'hôpital Rothschild.

[PAUSE]

Interviewer: Alors on revient donc encore à ces journées au Vélodrome d’Hiver

Marcelle: Oui

Interviewer: Vous commenciez à parler des problèmes de nourriture

Marcelle:  Oui, mais j’ai pas fini d'évoquer ceux de la santé

Interviewer: Alors

Marcelle: Vous m'aviez demandé quelles étaient les maladies soignées, je vous ai dit qu’ il y a eu pas mal d’accouchements mais il y a aussi beaucoup de crises d’hystérie, des crises d'épilepsie qu'il fallait soigner. Et puis, je me rappelle, parce qu’alors-là, ça a été dramatique,  nous avons eu 5 cas de folie... de la folie furieuse. Et on ne savait vraiment pas comment s’y prendre d’abord parce qu‘on n’avait pas l’habitude, nous personnellement, nous n’avions pas la force de maintenir des gens en folie furieuse. Alors on a fini par obtenir un déshabilloir où on a pu enfermer ces 5 personnes. Je ne sais pas ce qu’elles sont devenues. Je pense que des gardes mobiles ou des infirmiers spécialisés sont venus les chercher mais on ne pouvait pas les laisser dans le milieu ambiant. Mais enfin, pendant ces trois jours, nous, en tant qu’ infirmières, je pense qu'on a un petit peu fait face à la demande médicale mais, ce à quoi on n'a sûrement pas fait face, c'était à la demande d'hygiène, à la demande des biberons, et à la demande d’eau et d’alimentation. Mais cela n'était pas notre rôle, à nous, d'infirmières.

Interviewer: Alors vous aviez des problèmes pour communiquer avec ces patients ?

Marcelle: Non, aucun parce que si on voulait communiquer, ils parlaient français et on n’avait quelquefois un petit mal à les comprendre mais enfin, vous savez, on se comprend toujours dans ces cas-là . Mais entre eux ils parlaient étranger.

Interviewer: Est-ce que vous avez des souvenirs précis de personnages que vous avez rencontrés parmi cette foule, non ?

Marcelle: Non

Interviewer: Non, vous n’avez pas de souvenir d’une personne en particulier ?

Marcelle: Non, nous avons souvenirs d'une foule grouillante et puis complètement angoissée, alarmée, toujours à la recherche de quelqu’un qui manquait dans une famille ou c'était un enfant, ou c’était un proche, ou c’était un ami qu'on cherchait. Il n’y avait aucun ordre.  Personne ne faisait de service d’ordre. Alors les gens montaient, descendaient, il y en avait partout. Il y avait des femmes qui avaient besoin d’avoir un biberon pour leur bébé qui n’osaient même pas sortir de leur fauteuil parce que vous savez il y avait des rixes entre les gens quand il y avait un baquet d’eau qu’on apportait, il y avait 50 bras qui se tendaient pour essayer de remplir une timbale ou autre chose. Et puis les gens se tapaient dessus. Alors je sais que nous avons des collègues qui sont montés, comment dirais-je, dans les étages pour porter des biberons mais elles ont failli se faire lyncher. Alors, ensuite il a fallu augmenter la protection des agents. C'était sous  la protection d'agents qu’ on montait porter les biberons dans les étages.

Interviewer: Donc il y avait un grand désespoir et une grande violence

Marcelle: Il y avait une grande violence

Interviewer: Parmi ces gens ?

Marcelle: Ah oui, sûrement... le grand désespoir ça ne nous a pas étonnés et puis, qu’est-ce que vous voulez, dans les bombardements on avait toujours des désespoirs effroyables, ça on vivait dedans. Mais la violence, nous n'avions  jamais vu une violence comme ça.

Interviewer: Donc ces gens avaient manqué de nourriture ?

Marcelle : Oui, et puis surtout, c’est tellement bête de manquer de quelque chose quand c’est la faute d’un manque d’organisation.

Interviewer: Donc il y avait un problème d’organisation dans le vélodrome, on avait rien prévu.

Marcelle : Était-ce un problème d’organisation ou était-ce un problème de non-information moi je crois plutôt parce que nous, en tant qu' infirmières, nous n'étions pas du tout informées de ce que nous allions trouver. Bon, en principe, l’alimentation c'était du ressort du Secours National mais le Secours National quand il intervenait, c'était justement au cours de ces bombardements. Ils avaient des provisions pour 200 ou 300 personnes. Voilà. Mais là il y en avait 9000, c'est pas la même chose si on ne vous a pas prévenu à l’avance. Comment voulez vous que l'on dispose et de la vaisselle nécessaire et des aliments nécessaires ? ,Alors le premier jour on n'a rien donné . Et l'alimentation est arrivée le deuxième jour, je me rappelle très bien à 17 heures. Ils avaient dû faire un effort considérable pour trouver quelques neuf mille assiettes et on a servi des pommes de terre. Mais, malheureusement ces pommes de terre n’étaient pas cuites ou très insuffisamment cuites, les gens n’en ont pas voulu et il se sont mis à toutes les  déverser sur l'arène alors tout le monde recevait comme ça des pommes de terre qui était jetées, alors c'était absolument dégoûtant. Alors on a essayé de le dire au Secours National qu’ils fassent cuire leur pomme de terre un petit peu plus longtemps mais je me rappelle très bien la réponse du responsable. Il nous a dit : “Quand on faim, on mange n’importe quoi.” Je ne crois pas qu’ on mange des pommes de terre crues quand on n’y est pas habitué.

Interviewer: Donc même la tentative de résoudre le problème alimentaire n'a pas fonctionné parce que ce n'était pas bien organisé.

Marcelle: Le deuxième jour n'a pas fonctionné, le troisième jour, je ne me rappelle pas.  Peut être que ça a fonctionné le troisième jour, c’est possible.

Interviewer: Ces trois jours vous restez tard le soir ?

Marcelle : Nous arrivions à 7 heures le matin, on partait à 22 heures le soir. C'étaient des journées, vous savez,  un peu effroyables.

Interviewer: Et ça,  ça a duré un peu 3 jours alors ?

Marcelle: Oui et puis le troisième jour, c'était fini, pour nous. A-t-on été relevés ou bien est-ce que dans la nuit, on a fini ? Je ne sais pas quand les évacuations ont été terminées mais il y avait déjà beaucoup moins de monde le troisième jour.

Interviewer: Donc ces gens étaient évacués ?

Marcelle: Ils étaient évacués probablement  mais pendant la nuit

Interviewer: Et vous savez où ils allaient?

Marcelle : Mais non, personne ne savait où ils allaient. Nous, nous pensions qu’ils rentraient dans leur pays d’origine. Nous n’avions pas du tout compris que c’était parce que c’était des Juifs. Bien sûr, ils avaient une étoile jaune mais, d’abord il y en avait beaucoup qui la cachaient alors ils ne l’avaient pas tous visible. Et puis cette idée d'une déportation affectée à  une race, enfin, cela nous était pas venu à l'esprit.

Interviewer : Sur le moment, vous ne pensiez qu’aux problèmes d’urgence…

Marcelle: C'était un problème d’ étrangers qu'on faisait rentrer chez eux tout simplement. Probablement dans des camps, nous pensions, bien sûr, mais on pensait pas du tout à ce qu'il allait leur arriver

Interviewer : Alors ces gens ont été évacués assez rapidement en trois jours

Marcelle : Je pense qu’ils étaient évacués nuitamment pour que la population ne s'en aperçoive pas puisqu’on ne pouvait pas sortir le soir de 22 heures à 6 heures du matin, il y avait le couvre feu. Donc les autobus pouvaient vers 2 ou 3 heures du matin venir les chercher. Personne n’ en était le témoin car dans les journaux, je ne crois pas qu'on en a parlé.

Interviewer : Et vous même, vous en parliez dans votre famille ?

Marcelle: Non, parce qu'il y avait un principe à la Croix Rouge à l'époque, on nous avait dit : “Ecoutez, ne parlez jamais de ce que vous faites, parce que vous voyez trop de choses horribles c'est pas la peine d'en parler.”  On n’en parlait jamais puis on préférait ne pas en parler, vous savez.

Interviewer: Et sur ce point précis vous n’en avez pas parlé non plus, c’était quand même une situation exceptionnelle ?

Marcelle : Oui, mais on n’avait tellement l'habitude de ne pas parler. Vous savez la question de discrétion dans la profession,  on l'applique ou on l’applique pas, on n’en parlait pas.

Interviewer: Alors, vous nous avez parlé des problèmes médicaux, des problèmes de nourriture, il manque les problèmes d’hygiène. Est ce que vous pouvez nous en parler un peu ?

Marcelle : Ah ! les problèmes d'hygiène, je pense que l’on en a beaucoup malheureusement parlé. Et il y avait quelques 8000 personnes et il faut penser qu’ au Vélodrome d’Hiver vous aviez uniquement cinq toilettes. Alors évidemment les gens se soulageaient où ils pouvaient. Personne ne venait nettoyer. Vous aviez beaucoup de gens qui se soulageaient à la place même qu'ils occupaient, comme les sièges étaient à claire voie, cela dégringolait à l'étage du dessous. Les gens étaient arrosés. Voilà comment ça se passait.  Alors, tout ça, ça sentait mauvais, c'était vraiment horrible.

Interviewer: Donc, les gens restaient sur les gradins, s’entassaient sur les gradins, les sièges...

Marcelle: Oh il y en avait partout, vous savez, c'était le désordre total. On a besoin dans des cas comme ça d’ avoir certainement un service d’ordre et puis cela éviterait beaucoup de souffrance aux gens .

Interviewer : Rien n’avait été prévu.

Marcelle : C’est à dire, moi, j'étais étonnée qu’ils ne le fassent pas spontanément d’eux-mêmes parce que vous savez, les gens peuvent prendre des initiatives même dans les malheurs. Il y aurait pu avoir des gens qui pensent à faire respecter un certain ordre dans les rangées des spectateurs mais je crois que c'était du chacun pour soi. Tout le monde était dépassé par les événements

Interviewer: Alors une fois que cela a été terminé vous avez repris vos activités habituelles ?

Marcelle: Voilà,

Interviewer: Donc l’ école d’ assistante sociale ?

Marcelle: Oui, j’ai fait mes cours d'assistante sociale et puis alors après est arrivé le débarquement alors nous avions été envoyées en Normandie. Nous sommes restées trois mois, un mois à côté de Caen pour les blessés de Caen et ensuite, nous étions près de Lisieux où nous avons énormément travaillé parce les armées allemandes étaient encerclées. Il y a eu de très grosses batailles par là et nous sommes rentrées à Paris à la fin de septembre et notre formation a été offerte à la première armée et nous sommes parties rejoindre la première armée à Belfort pour tous les combats des  Vosges, de la Ruhr et du Tyrol.

Interviewer: Vous êtes allées donc  jusqu'en Autriche ?

Marcelle: L’ armistice nous a surprises en Autriche.

Interviewer : Est ce que vous avez …

[fin de l’enregistrement]

Part 3 mp4

Interviewer : Alors vous avez suivi comme infirmière ? Vous aviez un uniforme de la Croix rouge ou un uniforme des Forces Françaises ?

Marcelle : Alors, on nous a proposé d'être Forces Françaises mais nous avons refusé,  nous avons préféré rester Croix Rouge

Interviewer: Je repose la question. Est ce que vous avez assisté en Allemagne ou en Autriche à l’ouverture de camps de concentration ?

Marcelle: Absolument pas. Parce que, nous étions, d’abord, ce n'était pas notre objet, nous étions une formation chirurgicale et puis nous avions du travail absolument continuel. Normalement nos horaires de travail étaient de 7 heures du matin à 19 heures mais généralement à 1 heure du matin nous étions appelées par des urgences qui duraient jusqu'à 5 heures du matin

Interviewer: Quand êtes vous revenues en France ?

Marcelle : Nous sommes revenues en France en novembre 1945 parce que nous avons continué après l'armistice à soigner d’abord les gens de l'armée . Il y avait énormément de blessés par le déminage,  ensuite il y en avait beaucoup qui se blessaient en nettoyant leur fusil ce qui n'était pas très malin. Et puis, alors il y avait énormément de blessés de la route parce qu’il y avait beaucoup de soldats ou d’officiers qui sortaient le soir,  qui buvaient peut-être un petit peu trop et qu'on retrouvait au fond d'un ravin. Beaucoup d’ accidents de voiture et puis il a fallu faire toutes les opérations classiques d’un corps d’armée, les histoires d’appendicite, de hernie, de tout ce que vous voulez qui avait été repoussé puisqu’on combattait. Alors, nous n'avons été libérées qu’au mois de novembre 1945.

Interviewer: Et vous étiez infirmière de bloc chirurgical ?

Marcelle : Oui, j'étais responsable du bloc chirurgical, il y avait 5 tables d'opération et nous avions la chance que la Société Philips nous ait offert une table d'opération de radiologie sur laquelle on pouvait opérer qui était unique au monde à cette époque-là parce qu'elle était bifocale, je pense, et donc on voyait la balle à l’horizontale, à la verticale, donc le chirurgien pouvait tout de suite savoir où elle se trouvait dans le corps. Mais des tas de médecins sont venus voir cette petite merveille. Nous avons des Américains qui sont venus, de toutes les nationalités, parce que ce type de table n'existait pas.

Interviewer : Est-ce que vous vous souvenez quand est-ce que vous vous êtes rendu compte du sort des Juifs en fait ? Vous avez entendu parler des camps et vous avez fait le lien avec ce que vous aviez vu ?

Marcelle : C'était quand nous étions à Feldkirchen c'est-à dire après le 8 mai. On nous a distribué un petit fascicule  qui était écrit en allemand et qui était plein de photographies. Alors là elles venaient d’être prises puisque c'est à ce moment-là que les camps étaient découverts.

Interviewer : un Et là vous vous êtes souvenu de ce que vous aviez vu au Vélodrome d’Hiver ?

Marcelle: Je n’ai pas fait du tout ce rapprochement

Interviewer: Vous n'avez pas fait le rapprochement ?

Marcelle: Vous savez, il fallait voir l'état dans lequel nous étions, nous travaillions quelques 18 ou 19 heures par jour, on n'avait pas beaucoup de temps pour penser et de faire des rapprochements d'idées. C'est par la suite que j'ai évidemment lu beaucoup de choses sur ce qui s'est passé pendant la guerre mais, à ce moment-là,  on était complètement dans le bain des choses horribles.

Interviewer: Alors vous êtes revenue à Paris,  en Novembre 1945 et là vous avez repris votre carrière d'infirmière,  d’assistante ?

Marcelle: Ce n’est pas repris puisque c'était pas du tout ma carrière, je voulais m’orienter différemment mais, par le plus grand des hasards,  on m'a offert la direction d’ un dispensaire assez important, alors j’ ai trouvé que c'était intéressant et puis, ma foi, cela m'a ouvert cette voie médico-sociale. Et après cela, je me suis occupée de services d’hospitalisation à domicile .

Interviewer: Vous avez fait toute votre carrière soit dans l'aide sociale, soit dans le milieu médical.

Marcelle: Voilà, alors que  je n'étais pas du tout partie pour cela

Interviewer: Là, vous avez un document que vous avez rédigé vous même,  un journal de guerre.

Marcelle : Oui

Interviewer: Quand l'avez vous écrit ? Vous vous souvenez ?

Marcelle : Je me souviens très très bien . C’est parti par le fait qu'on m'a offert un paquet de photographies quand nous sommes revenues de Normandie. Alors il y avait des photographies prises par les secouristes, il y avait des photographies prises par des professionnels. Alors comme moi-même j'étais photographe et que j'avais l’habitude de tout bien classer tout, je me suis dit qu’il fallait absolument faire des commentaires pour ces photos parce que, si je faisais pas les commentaires, cela ne servirait à rien de les mettre dans un album. Alors, j’ai commenté toutes les photos que vous voyez avec des souvenirs que j'en avais et celle de Normandie sont assez précises parce que j'avais conservé le cahier du bloc opératoire donc je connaissais toutes les entrées, toutes les sorties, les types de blessures et tout. Et puis alors la même chose s'est produite quand nous sommes revenues d’Autriche en 1944.  On m'a donné un paquet de photographies, alors je les rajoutais là et puis j'ai inscrit tout de suite ce que cela représentait plus tard, sachant que plus tard je ne me rappellerais pas. Puis, j'ai fourré cet album dans le haut de ma bibliothèque. Je ne l’ai montré à personne d’ailleurs et puis je l'ai ressorti en 94 parce qu‘en 94, on était inondé de film à la télévision. Étant donné que c'était le cinquantenaire du débarquement, alors j’ai pensé que j'avais cet album et puis je me suis dit “Je vais relire tout ça.” Alors je l’ai complété, il n’y avait que des articles qui ont paru en 94 et qui étaient très explicatifs de ce que nous avions vu.

Interviewer : Et quand vous avez rédigé ce journal, vous avez fait un passage sur le Vélodrome d’Hiver

Marcelle : Oui

Interviewer : C’est quelque chose à l'époque qui vous avait marqué ?

Marcelle : Ah ben forcément, bien que je n'aie eu aucune photo, j'avais fait le rapport oui. Ah oui ça a été terrible

Interviewer : Comment on va faire?

[PAUSE]

Marcelle :   Attendez mais je vais vous en trouver en salle d’opération. Sûrement, sûrement je sais qu’il y en a. Voilà ça,  c’est notre équipe. Je sais pas si cela peut vous convenir

Interviewer: Oui,  je crois que cela convient

Marcelle : C’est tout notre groupe d'infirmières qui a fait toute les sorties d’urgences depuis 1942 et là nous sommes en Normandie et ensuite nous sommes allées avec la première armée, toujours toutes ensemble. Je mets mon doigt là parce que il y en une autre que j’ai trouvée.  

Interviewer: Vous nous montrez la suivante ?

Marcelle: Alors, c’est en salle d'opération et je suis là , ou je suis là , je suis là celle que vous voudrez. Celle-là a été prise par moi. Nous avons dû perdre, je pense 7 médecins, 11 ambulancières, et puis 3 ou 4 infirmières . Celle que je trouve bien,  c’est celle-là ...

Interviewer: Donc ça, c’est en 1944, en Normandie ?

Marcelle: Ah oui, on était couché dans la paille , parce qu’on était parti avec  des lits mais tout de suite on a tellement eu de blessés que nous avons donné nos lits,  nos matelas pour les blessés alors on couchait dans la paille. Voilà.

Interviewer: Et sur le Vel  d’Hiv, vous avez des articles de journaux ?

Marcelle: Sur le Vél d’Hiv, ce sont des articles de journaux, oui, d’ailleurs je n'ai pas du tout de photographie. Vous savez, il y a des moments  où on ne peut pas photographier. Quand on est en pleine action de travail, on n'y pense pas. Ce sont les secouristes, ce sont les journalistes qui faisaient les photographies. Nous avons été filmées en Normandie pour les actualités et justement j'ai eu à faire un transport de blessés du crâne qui était très grave et je suis revenue à Paris pour les accompagner. Or, je suis passée à la Croix Rouge en même temps. Ils m'ont  dit : “Oh entrez donc dans un cinéma, avenue des Champs-Elysées. Aux actualités, il y a un assez long passage sur votre groupe chirurgical normand.” Alors, j'étais avec une camarade, nous y sommes allées. Moi personnellement, j'ai la chance de pouvoir rire silencieusement mais vous avez des gens qui ne peuvent rire que bruyamment. Et alors justement, on nous voyait dans la salle d'opération mais il faut dire qu’on travaillait à ce moment -là et cela faisait au moins 7 jours que l'on ne s'était pas couchées. Alors pour se reposer, on allait se reposer sur les tas de linge sale de la salle d'opération, vous savez ce n’est pas du linge très propre et cela sentait bien mauvais. On allait se reposer une demi-heure comme cela  et puis on se relevait et alors les journalistes naturellement avaient bien photographié une infirmière qui dormait sur ce tas de sable et ma camarade s'est esclaffée de rire parce que vraiment c'était tellement représentatif de ce que l’on faisait et alors il y a une voix derrière qui nous dit “ Ha, on voit bien qu’elles y étaient pas celles-là”

Interviewer: Eh bien sur le Vel d’Hiv

Marcelle: C’ est pas en 1945, c’est en 1942 que je l'ai écrit

Interviewer: Vous l’ avez écrit au moment même?

Marcelle : Ah oui, vous avez raison. Ben, quand j’ai fait mon album. Ah oui vous aviez raison,  c'était en 1944 juste après le.. Qu’est ce que vous photographiez ? C’est le papier?

Interviewer 2: On voit le papier vous allez nous le lire, c’ est ça.  

Marcelle: Non, c’est ce que je vous ai dit. Alors cela n'a pas d’ importance

Interviewer : Après la guerre

Marcelle: Oui, sans cela je ne me serais pas rappelé

Interviewer: Ce serait peut-être pas mal d’en lire un paragraphe ou deux

Interviewer : Peut-être juste une ou deux phrases.  C’est çaa qui est le document important, le début peut-être. Ce que vous voulez

Marcelle: Là, c'est ce que je vous ai dit sur le fait que la voiture était venue nous chercher. J’ explique ensuite que dans la nuit du mercredi au jeudi, on a fait de nombreuse rafles, que ces arrestations ont permis d'amener des familles absolument entières. Mais tout ce que je vous ai dit tout à l'heure. Alors peut-être faut-il préciser le nombre de personnes qui s’y trouvaient parce que j’ ai le chiffre très exact. Il y avait 1129 hommes , 2916 femmes et 4115 enfants. Il y avait le double d’enfants. Je vous parle de l’état du suicide , des fausses couches, des vivres.  

Interviewer: Je vois un passage où vous dites que les gens pressentaient qu’ils avaient préparé leur valise . C'était en en discutant avec eux ?

Marcelle : Les arrestations qui ont été faites par les gardes mobiles qui avaient mission c'est cela que vous voulez ? On emmenait les familles au complet y compris les vieillards , les bébés, les infirmes, et les malades. Certains dirent  à ces gens affolés : “Ne vous inquiétez pas, il s’agit d’une simple vérification des pièces d'identité et dans 48 heures vous serez relâchés.” Et ces gens partirent sans couvertures, ni vivres mais un grand nombre d'entre eux pressentaient cette rafle et tenaient leur valise prête depuis plusieurs semaines. Alors ces gens furent massés dans le Vélodrome d’Hiver. Le premier matin, ils étaient au nombre d'environ neuf à dix mille. Toutes les issues étaient gardées et les communications avec l'extérieur interdites et ça c’est vrai, on ne pouvait pas entrer comme on voulait. Et c’était facile au Vélodrome d’Hiver d’interdire les sorties comme dans tous les théâtres, il faut présenter son billet  et alors les vérifications d'identités durèrent pendant trois jours avant que n’eurent lieu les premiers départs pour les camps de concentration. Voilà, et puis après cela, je reprends que les enfants étaient atteints de nombreuses maladies, nous avons eu pas mal de femmes enceintes. Mais je l'ai rédigé au mois de septembre donc c'était tout récent.

Interviewer: C’était très peu de temps après l'événement

Marcelle: Oui, c'était dans ce moment de répit entre deux départs.





MARCELLE DUVAL