Shoah Foundation VHA (Muller)

Interview conducted in Paris on June 21, 1995 by Maya Poirson.

Credits : USC Shoah Foundation Institute Visual History Archive

Oral History | VHA Interview Code: 3374

Mention légale : Ce document est une transcription quasi-verbatim réalisée par Chloé Reum (UPENN ’19) et Mélanie Péron. Il ne peut en aucun cas être considéré comme source primaire.  L’exactitude de la transcription n’a pas été officiellement vérifiée.

Nous sommes le 21 juin 1995 à Paris et je vais mener l’interview avec Mme Muller-Bessmann. Je m’appelle Maya Poirson.

 

Interviewer : Annette, est-ce que vous pouvez nous dire où est-ce que vous êtes née et peut-être quelques mots sur vos parents, leurs origines et leur vie avant votre naissance ?

 

Annette : Je suis née à Paris le 15 mars 1933. Mes parents venaient de la Pologne, de la région de Cracovie. Ils sont venus en France vers 1929-1930 et ils se sont installés à Paris et là, ils étaient tailleurs à domicile l’un et l’autre et ils ont eu rapidement 4 enfants nés entre 1930 et 1935. Trois garçons et une fille.

 

Interviewer : D’accord. Est-ce que vous pouvez nous dire quelques mots en fait sur leur environnement familial ? Ils venaient de quel genre de famille ? C’était des grandes familles ?

 

Annette : C’était des très grandes familles. Ils étaient de deux villages différents, donc comme j’ai dit, pas très loin de Cracovie. Chez mon père, ils étaient 7 garçons et une fille qui s’appelait Anna, c’est pour ça qu’on m’a donné ce nom-là. Et du côté de ma mère, ils étaient 3 garçons et 3 filles et mon grand-père maternel était violoneux. Il jouait du violon dans les mariages et il racontait des blagues.

 

Interviewer : C’était des familles qui étaient pratiquantes juives ?

 

Annette : Très pratiquantes. Tous les 2, aussi bien du côté de la famille de mon père que du côté de la famille de ma mère et c’était même très pesant, les pratiques religieuses, notamment pour mon père qui aurait voulu fréquenter les Polonaises paysannes de son pays et à qui il lui était interdit de s’approcher.

 

Interviewer : En venant en France, ils sont venus ensemble ?

 

Annette : Ils sont venus ensemble en France mais la vie a été tellement difficile au départ que ma mère a dû retourner en Pologne, enceinte de mon 2ème frère, pendant que mon père essayait de gagner un peu d’argent. Par exemple, dans l’appartement, enfin l’espèce de mansarde où ils vivaient dans le XXème arrondissement, il s’était rendu compte que le lit de mon frère aîné, qui était bébé à l’époque, était rempli de punaises.

 

Interviewer : Pourquoi sont-ils venus en fait en France ? Pourquoi ont-ils quitté la Pologne ?

 

Annette : Ils ont quitté la Pologne pas à cause des pogroms comme on peut se l’imaginer. La famille de mon père était relativement bien assimilée puisqu’ils étaient meuniers, c’est eux qui fournissaient la farine pour faire les matzo dans les villages environnants. C’est parce que mon père était tombé amoureux de ma mère et du fait que le jour, je crois, du Grand Pardon, ils se promenaient à travers le village de manière moderne au lieu d’aller à la synagogue, ma mère a été battue par ses frères et ils se sont sauvés pour venir en France. En fait, ils sont venus par amour l’un pour l’autre.

 

Interviewer : Et, donc très rapidement il y a eu ces 4 enfants et la vie de vos parents à Paris, donc ils étaient tailleurs à domicile, comment est-ce que… est-ce qu’ils avaient des amis ? la vie sociale et familiale se passaient comment ?

 

Annette : Pour moi, j’ai gardé de la vie familiale un souvenir très agréable et très attendri parce que donc ils travaillaient à domicile mais en même temps ils chantaient, ils étaient jeunes. Il y avait beaucoup de gaieté. Moi je me souviens que ma mère nous racontait beaucoup d’histoires, notamment la Bible. Et elle était très aimée dans le quartier parce qu’elle coiffait les jeunes filles de la rue, elle laissait les enfants de l’école, les camarades de l’école venir à la maison et nous laissait nous habiller avec ses propres affaires. Elle ouvrait carrément son armoire et ses tiroirs et on se déguisait avec ses propres affaires. On avait beaucoup d’autres enfants de l’école qui venaient à la maison. C’était pas des Juifs. On n’était pas tellement mêlés au milieu juif.

 

Interviewer : Et ça n’avait pas d’importance ? Vos parents n’étaient pas parents qui souhaitaient que la famille se trouve dans …

 

Annette : Non, ils avaient certainement des amis mais … qu’on allait d’ailleurs voir le dimanche, qui habitaient Bobigny à côté de Drancy, mais ils nous laissaient… on était ce qu’on appelle des enfants intégrés. Ils tenaient à ce qu’on réussisse à l’école. D’ailleurs ça se passait très bien. Mes 3 frères étaient tous, tous les trois, dans 3 classes différentes, premiers de la classe. Moi, je devais être moins brillante mais on était vraiment ce qu’on appelle des enfants intégrés. Chez moi malgré tout mes parents parlaient yiddish. Alors c’est la langue que j’ai parlée moi-même jusqu’à l’âge de 3 ans mais après je l’ai pratiquement oubliées.

 

Interviewer : A l’école est-ce que vous aviez des camarades juifs ou ça n’avait absolument aucune importance juifs ou français ?

 

Annette : Ca n’avait aucune importance. Absolument aucune importance.

 

 

Interviewer : Et le quartier, c’était quel quartier à Paris ?

 

Annette : C’était le quartier Ménilmontant. C’est le XXème arrondissement.

 

Interviewer : Est-ce que vous pouvez nous dire quelques mots sur le quartier de Ménilmontant dans les années 30 ?

 

Annette : C’était un quartier très populaire où nous, les enfants, on jouait dans les rues qui étaient… la rue devant chez nous était à gros pavés. C’était un quartier, chanté par Maurice Chevallier d’ailleurs, un quartier où les gens … ça faisait un peu petit village, où il y avait des chanteurs de rue qui chantaient et à qui on jeté des pièces par les fenêtres. C’était un quartier très vivant.

 

Interviewer : Donc quand vous étiez enfant, vous vous identifiiez au quartier, à l’école ?

 

Annette : Tout à fait !

 

Interviewer : Le fait d’être juive n’était pas quelque chose que vous viviez de manière ni positive ni négative. C’était pas important ?

 

Annette : C’était davantage le fait d’être enfants d’immigrés parce que mes parents avaient un accent yiddish et cet accent-là me gênait. Et je me souviens qu’une fois, ma mère m’avait donné une gifle parce que j’avais porté le pain en revenant de la boulangerie sur la tête, ce qu’elle considérait comme une attitude sale donc elle n’avait pas été contente et j’avais crié : « Retourne dans ton pays ! » J’avais peut-être 7-8 ans à l’époque et je considérais qu’elle était d’un pays différent que le mien. Alors bien sûr, j’avais été punie par mon père aussi. Mais enfin, on ressentait davantage le fait de l’immigration que le fait …

 

Interviewer : d’une appartenance ethnique ?

 

Annette : Oui.

 

Interviewer : Vous avez dit que vos frères étaient brillants à l’école. Est-ce que ça avait de l’importance ?

 

Annette : Ca avait une très grande importance. Mes parents étaient très, très fiers d’autant plus que le directeur de l’école, qui habitait juste à côté de chez nous, était venu voir mon père et ma mère et avait dit : « Honneurs à la famille Muller ! »

 

Interviewer : C’était donc en quelle année ? Plus ou moins ? Ils avaient quel âge ?

 

Annette : C’était au début de la guerre.

 

Interviewer : Ah c’était déjà au début de la guerre. Juste avant d’entrer dans cette période de guerre, est-ce que vous vous souvenez qui venait chez vous, à la maison, du point de vue famille, du point de vue parents plutôt ? Est-ce qu’il y avait d’autres membres de la famille Muller qui venaient ?

 

Annette : Oui, j’avais le jeune frère de mon père qui est arrivé plus tardivement de Pologne et puis qui venait très fréquemment à la maison.

 

Interviewer : Est-ce que vos parents avaient des amis, d’autres amis chez qui vous alliez ? Vous avez mentionné des amis près de Drancy.

 

Annette : Oui, c’était des amis polonais, juifs polonais dont la fille était plus ou moins fiancée à ce jeune frère de mon père.

 

Interviewer : Donc la première fois quand vous avez entendu le nom Drancy, c’était dans des circonstances tout autres. C’est-à-dire, c’était justement des circonstances amicales ?

 

Annette : C’était pas Drancy. C’était Bobigny. Mais Drancy, à partir d’un moment, comme allait tous les dimanches avec mes parents, à un détour du chemin, on apercevait des tours et à cette époque, le camp de Drancy était encadré par des tours de 14 étages qui étaient très impressionnantes parce qu’il n’y avait pas d’HLM aussi hauts dans les quartiers et dès l’année 41, on savait déjà que ça concernait les Juifs et qu’on y enfermait les hommes et les adultes… les jeunes de 18 ans et pour nous, ça nous faisait très peur. On savait que Juif avait enfin quelque chose d’effrayant que symbolisaient ces tours. En fait, ces tours, c’était pas le camp. C’était les habitations des gendarmes, des gardes mobiles.

 

Interviewer : Donc, vous avez une enfance parfaitement heureuse, normale. Vos parents travaillent beaucoup, à domicile, donc ils sont présents. Vous avez des amis, votre mère, vous dites, était très aimée dans le quartier. Elle coiffait, vous dites, elle coiffait les jeunes filles. Est-ce que vous pouvez nous dire quelques mots sur…  comment on savait qu’elle le faisait ? Pourquoi elle le faisait ?

 

Annette : Elle était très sociable. Elle allait voir les unes les autres, elle faisait des gâteaux, elle offrait. Elle a eu la réputation … elle était coquette. C’était une belle femme, très vivante, très gaie, très coquette et, d’ailleurs à l’école, je m’en souviendrai parce que ça m’avait marquée, les filles de l’école m’avaient dit : « Comment ça se fait que tu es si moche et que tu as une mère si belle ? »

 

Interviewer : Vous lui avez dit cela ?

 

Annette : Oh c’est possible que je lui ai dit

 

Interviewer : Est-ce que dans l’immeuble où vous habitiez, est-ce qu’il y avait de tout ? Il y avait des Français, des immigrés ou c’était une majorité d’étrangers ?

 

Annette : Il y avait plusieurs familles juives quand dans cet immeuble qui était un immeuble qui était pas mal. Je veux dire les escaliers étaient cirés, il y avait un tapis, c’était un bel … Alors donc au premier étage, il y avait une famille juive dont les 2 fils aînés de 18 ans avaient disparu assez rapidement. Ils avaient dû être arrêtés… je ne sais pas si les 2 mais en tout cas un avait été arrêté et disparu à Drancy. Parce qu’on disait que ceux qui allaient à Drancy, ils disparaissaient, on ne savait pas ce qu’ils devenaient. Plus une fille de mon âge. Et il y avait une autre famille juive au 4ème étage, avec une jeune fille plus âgée qui faisait de la couture et où j’allais souvent.

 

Interviewer : Vos parents gagnaient bien leur vie ?

 

Annette : Ils travaillaient beaucoup. Ils travaillaient beaucoup, je crois que, on vivait pauvrement, on n’avait pas de T.S.F. par exemple.

 

Interviewer : T.S.F. ?

 

Annette : De radio. Pour écouter la radio, on allait chez le voisin. On vivait… ils allaient souvent au cinéma, ils nous racontaient le film après, on vivait pauvrement. On mangeait, par exemple, je sais, avant les repas, ma mère nous donnait un casse-croûte qui nous nourrissait déjà bien.

 

Interviewer : Donc on faisait très attention aux dépenses ?

 

Annette : Certainement. Je n’ai jamais ressenti ni la faim ni … enfin, si après, au début de la guerre.

 

Interviewer : Et quels sont vos premiers souvenirs de la guerre mais juste avant est-ce que vous pouvez nous dire quelle école vous fréquentiez vous et vos frères ?

 

Annette : C’était l’école communale rue Olivier-Metra dans le XXème qui existe toujours d’ailleurs.

 

Interviewer : Et, à l’école, il y avait beaucoup d’enfants d’immigrés étant donné que c’était un quartier où il y avait beaucoup d’immigrés.

 

Annette : Moi, j’ai découvert qu’il y avait une autre petite Juive dans ma classe quand nous avons dû porter l’étoile. Je ne savais pas du tout qu’elle était juive.

 

Interviewer : Donc c’était pas quelque chose, à l’époque, qui [inaudible] ?

 

Annette : Pas dans ma famille. D’ailleurs, ma mère pour nous laisser avec nos copains d’école, nous laissait aller au patronage catholique. D’ailleurs quand il y a eu la guerre, on a été réfugiés dans un presbytère, dans la Sarthe, je ne sais pas, j’avais l’impression que ma mère avait plus ou moins une attirance pour… ou en tout cas, elle critiquait pas le fait qu’on était quand même un peu déjà dans une certaine ambiance catholique par ce patronage. Bon ben ce patronage, je me souviens qu’on jouait aux échasses, c’est des espèces de grands bois sur lesquels on monte mais je ne me souviens pas du tout ni de prières ni de quoi que ce soit.

 

Interviewer : D’accord. Et quel âge avez-vous exactement quand la guerre éclate ? Est-ce que d’abord la guerre c’était la guerre le 1er septembre 39 en Pologne ou pour vous la guerre c’était plus tard quand … ?

 

Annette : Non, pour moi la guerre c’était en septembre 39. J’ai 6 ans. Et ma mère nous amène à la mairie du XXème et on lit l’affiche qui est sur la porte de la mairie et les gens sont inquiets et ma mère pleure.

 

Interviewer : C’est votre premier souvenir de la guerre ?

 

Annette : Oui et tout de suite, il y a eu l’essayage des masques à gaz qui m’a fait très peur. Et peu de temps après, nous avons dû, parce que c’était une famille nombreuse, nous réfugier donc dans la Sarthe, ça devait être fin [39] ou début 40, je ne me souviens plus très bien des dates.

 

Interviewer : Pourquoi êtes-vous partis dans la Sarthe ? Vous vous souvenez de comment ça se fait ? Qui a décidé ?

 

Annette : Je crois que, au départ, c’était toutes les familles nombreuses de plus de 2 ou 3 enfants qui devaient partir parce que Paris craignait l’arrivée des troupes allemandes.

 

Interviewer : Vous êtes partis toute la famille ou juste votre mère et les enfants ?

 

Annette : Bien, c’était ma mère et les enfants et mon père nous rejoignait de temps à autre.

 

Interviewer : Vous êtes partis comment ? en train ?

 

Annette : En train, oui. Je m’en souviens très bien de ce départ où on a passé des heures couchés devant la gare, ça devait être gare Montparnasse, et dans le ciel, il y avait des espèces de boules noires. C’était sûrement pour la défense passive pour les avions. C’était impressionnant pour un enfant.

 

Interviewer : La Sarthe, c’est à combien de temps de voyage ? C’est une heure ?

 

Annette : Je ne peux pas dire. Ce doit être un peu plus, peut-être 2 heures. C’est à côté du Mans.

 

Interviewer : C’est donc à environ 1h ½ Est-ce que le train était bondé ?

 

Annette : Le train était bondé, les gens criaient, s’interpelaient. J’ai la vision d’une femme qui tenait un pot de chambre, où son gosse avait fait pipi, au-dessus de nos têtes. Enfin, c’était un désordre.

 

Interviewer : Et pourquoi dans la Sarthe ? Vos parents connaissaient des gens ?

 

Annette : Non, pas du tout. On est arrivé dans un petit village qui s’appelait St-Biez-en-Belin. Donc nous avons été logés au presbytère. Ma mère a trouvé du travail comme domestique dans un château. Et dans cette petite ville, il y avait ´énormément de réfugiés parisiens et beaucoup de Juifs. Beaucoup de Juifs, oui.

 

Interviewer : Vous vous souvenez que là ça avait de l’importance qu’il y avait des Parisiens et c’était des Juifs ?

 

Annette : Oui, oui.

 

Interviewer : C’est votre mère, vos parents qui en ont parlé ?

 

Annette : Non, parce que j’ai retrouvé certains au camp, par la suite, de Beaune-la-Rolande. Et je l’ai compris comme ça que c’était des Juifs.

 

Interviewer : Combien de temps vous y êtes restés ?

 

Annette : On y est restés quelques mois mais j’ai pas le souvenir du temps exact.

 

Interviewer : Vous pensez que c’était début 40 ? Vous vous souvenez pas si vous avez froid [inaudible] en hiver ?

 

Annette : Ca devait être début 40, oui. Je me souviens davantage du chaud que du froid. Ah oui, c’était l’hiver puisqu’il y avait eu Noël. Ca devait être l’hiver.

 

Interviewer : Vous alliez à l’école du village ?

 

Annette : Non, on n’allait pas encore à l’école. Je me souviens que, le plus grand souvenir que j’aie de cette époque, c’est que j’ai su écrire mon nom et que je l’écrivais partout sur les murs de la maison. C’était mon frère, c’était mes frères qui nous apprenaient à lire et à écrire.

 

Interviewer : Pour revenir donc à votre départ dans la Sarthe avec votre famille, pourquoi la Sarthe ? Savez-vous si c’était un choix de vos parents ou si c’était … ?

 

Annette : Je ne sais pas mais il me semble que ça avait dû être imposé par la mairie du XXème arrondissement. Pour tel quartier enfin … il y avait énormément de réfugiés dans l’endroit où nous étions.

 

Interviewer : Quand vous y êtes arrivés, vous étiez dans le presbytère donc qui était mis à la disposition… ?

 

Annette : On était les seuls dans le presbytère mais les gens étaient dans d’autres lieux. Il y avait des gens partout qui, d’ailleurs, ont été obligés de partir après pour loger les Allemands qui sont arrivés par la suite.

 

Interviewer : Parce que les Allemands sont arrivés donc par là ?

 

Annette : Oui, on a d’abord vu les troupes françaises qui fuyaient, qui nous demandaient « Est-ce que vous avez vu les Allemands ? », qui avaient l’air effrayées. Et peu de temps après, nous avons vu arriver les Allemands d’une manière qui nous avait littéralement fascinés parce que, contrairement aux Français qui fuyaient, ils étaient magnifiques et très gentils. Ils donnaient des bonbons aux enfants, je me souviens qu’ils s’amusaient avec mon petit frère qu’ils faisaient sauter dans leurs bras, ils distribuaient … ils avaient fait une distribution de nourriture. Et c’est d’ailleurs un Allemand qui avait sympathisé avec ma mère parce que, du fait qu’elle connaissait le yiddish peut-être l’allemand, je ne sais pas, il était assidu auprès d’elle. Il avait pris une photo de ma mère avec les enfants sur les marches du presbytère. Je vous montrerai la photo si vous voulez tout à l’heure.

 

Interviewer : Donc vos premiers souvenirs des Allemands, c’est de gentillesse ? Ils étaient très informels. Ce n’était pas l’armée allemande telle qu’on la représente. C’était vraiment des soldats qui sympathisaient

 

Annette : Ils sympathisaient avec la population mais je crois qu’au départ tous les soldats sympathisent avec la population. Et mon père, qui à cette époque était revenu à St-Biez, parce qu’il avait tenté de s’engager mais on n’avait pas voulu de lui, mon père avait été chargé de coudre les décorations sur les uniformes des Allemands.

 

Interviewer : A l’époque, vous pensez que le fait d’être juif était connu ? était important ?

 

Annette : Je ne sais pas. Je ne peux pas du tout… à part le fait qu’on parlait yiddish chez moi, je ne savais pas ce que c’était qu’être juif. Pour moi juif, ça faisait partie de moi-même, on naissait comme ça. C’était une identité qui posait aucune question.

 

Interviewer : Est-ce qu’on peut revenir à votre père ? Vous avez dit qu’il avait voulu s’engager et qu’on n’a pas voulu de lui. Est-ce que vous pouvez nous dire quelques mots là-dessus ?

 

Annette : Non, je ne peux pas dire plus. Il était père de famille nombreuse.

 

Interviewer : Il a voulu s’engager dans l’armée française ?

 

Annette : Oui, enfin bon je ne sais pas trop. Tout ce que je sais, il me l’a dit par la suite, c’est que, justement lorsque nous étions réfugiés à St-Biez, les jeunes femmes du pays n’étaient pas contentes. Elles ne comprenaient pas pourquoi, lui, jeune, puisqu’il était très jeune à cette époque, était là alors que leurs propres maris étaient dans l’armée. Et il m’a raconté dernièrement que les femmes se sont même jetées sur ma mère, il y a eu une violente dispute à cause de ça.

 

Interviewer : Quand vous étiez dans la Sarthe ?

 

Annette : Oui. Mais ma mère, je crois pas que c’était quelque chose qui l’ébranlait. Je sais qu’à cette époque, toujours à sa manière très vivante, elle apprenait à faire de la bicyclette à travers les rues du village, les gens riaient. Ils avaient l’air de se moquer d’elle et elle, elle riait plus fort que tout le monde.

 

Interviewer : Donc c’était un séjour dans l’ensemble heureux ?

 

Annette : Oui.

 

Interviewer : Et qu’est-ce qui se passe ensuite ?

 

Annette : Alors ensuite, on a su que les… donc comme je le disais tout à l’heure, les Allemands s’installaient et les réfugiés ont dû regagner Paris. Du reste, il semblait que le danger était plus ou moins écarté. On est revenus à Paris et les absences de mon père se sont faites beaucoup plus fréquentes. Là, j’ai un souvenir de faim, de froid, de ma mère qui toussait sans arrêt -elle avait une espèce de bronchite- de mon père toujours absent parce qu’en fait il avait dû, toujours par rapport au père de famille nombreuse, il avait dû, au départ, travailler pour Rothschild à couper du bois. Il travaillait plus là, les machines à coudre ne fonctionnaient plus.

 

Interviewer : Chez Rothschild pour couper le bois ?

 

Annette : C’était aux environs de Paris, je ne me souviens pas de l’endroit mais c’était aux environs de Paris. Par la suite, mon père avait été mis dans un camp de travailleurs immigrés.

 

Interviewer : En tant que… ?

 

Annette : En tant que Juif étranger parce que mon père et ma mère avaient demandé leur naturalisation. Et au début de la guerre, la naturalisation leur avait été refusée du fait de leur arrivée en France… avait été stoppée, avait été bloquée. Nous, nous avions été faits français par déclaration devant juge de paix. Malgré que nous étions nés à Paris, nous n’étions pas automatiquement français.

 

Interviewer : Ca c’est fait quand ?

 

Annette : 36.

 

Interviewer : Donc, vous ne vous en souvenez pas ?

 

Annette : Non, j’ai simplement eu le papier de déclaration de nationalité française mais il n’empêche, malgré cette déclaration de nationalité française, que pour le convoi, je vous montrerai la liste, quand nous étions au camp de Beaune-la-Rolande, mon petit frère et moi, nous sommes répertoriés comme polonais et non pas comme français. C’est-à-dire qu’on nous avait retiré notre nationalité.

 

Interviewer : Les absences de votre père et votre mère, est-ce quelle travaille à Paris avec vous ? de quoi vivez-vous ?

 

Annette : Je ne me souviens pas. Je sais que je ne vois pas ma mère travailler. Je n’entends plus ma mère chanter alors qu’elle chantait toute la journée.

 

Interviewer : En 41 ?

 

Annette : Oui, en 41. Je me souviens d’un froid très vif, de moi souvent malade, du fait qu’on ne peut plus aller en bibliothèque.

 

Interviewer : Vous allez à l’école ?

 

Annette : Oui, on continue à aller à l’école. J’ai pas de souvenirs de l’école, d’exclusion de l’école. Et je me souviens de l’inquiétude qui commence à se développer parce qu’on parle beaucoup des Juifs. Et à partir de ce moment-là, je sens que le mot juif est menaçant parce que ça chuchote autour de nous, on parle de ce problème-là avec des mots couverts, on se sent qu’il y a quelque chose d’oppressant, d’inquiétant. Ce qui se passe aussi à cette époque, c’est qu’il commence à il y avoir des bombardements sur Paris donc on descend à la cave et la guerre est très concrète.

 

Interviewer : Et donc vous allez toujours à l’école, il y a l’inquiétude dans l’air et qu’est-ce qui se passe par la suite ? Quand est-ce que les choses deviennent de plus en plus précises ?

 

Annette : Les choses deviennent de plus en plus précises, c’est en 42. Au début 42, parce que là… et puis alors ce qui se passe, c’est cette disparition de gens et d’hommes autour de nous. Il n’y a pratiquement plus d’hommes. Et puis, quand même un souvenir très vif, c’est que mon père avait des relations avec sa famille restée en Pologne puisque ma grand-mère m’avait envoyé une très jolie veste polonaise avec beaucoup de brillants qui me plaisait beaucoup. Et un jour, ils reçoivent une lettre et nous les voyons, mon père et ma mère s’enferment, et ils pleurent. Ils passent leur journée à pleurer. Et là, ils ont dû apprendre des très mauvaises nouvelles. Bien sûr, j’ai su par la suite que ma grand-mère avec mes deux plus jeunes oncles qui avaient 18 et 20 ans plus, j’ai par la suite, que ma tante aussi avaient été ramassés dans leur village avec tous les Juifs du village de Biecz et tous ceux qui avaient du travail un peu notable comme les épiciers, le meunier –donc ça concernait ma grand-mère - le boulanger, le marchand de chevaux, tous ceux-là avaient été fusillés immédiatement et les autres envoyés à Belsec. Et ma famille restée à Cracovie ou à Tarnow avait été soit fusillée soit envoyée à Belsec ou Auschwitz.

 

Interviewer : On est donc au début de 42 où les choses deviennent difficiles. Est-ce que vous, vous vous souvenez de… à part le fait de cette nouvelle de Pologne de la famille, des mauvaises nouvelles… est ce qu'on parle de juifs, des dangers en France ?

 

Annette : On en parle mais à mots couverts. Nous les enfants, à l'époque j’avais 9 ans, on sentait un danger mais c'était tabou pour nous. Ce n'était pas des choses dont on parlait. On évitait de nous parler de ces choses-là. J'ai jamais su ce qui se passait réellement. Et on arrive comme ça jusqu'en juin où donc on continuait à aller à l'école. Simplement, si, je me suis rendu compte que je n'avais plus le droit d'aller en bibliothèque. On n'avait plus le droit d'aller au jardin puisque c'était devenu interdit aux Juifs et aux chiens. 

 

Interviewer : Qui vous le dit ? C'est vos parents qui vous préviennent ? 

 

Annette : Les pancartes. Il y avait des pancartes. Il nous est arrivé donc d’être… de prendre le métro par exemple quand on devait aller à Bobigny le dimanche et, là, on devait prendre le dernier wagon du métro ce qui m'a le plus… ce qui m'a fait le plus souffrir, c'était l'interdiction de la bibliothèque parce que j'y allais vraiment régulièrement. Et là, ça a été une privation pour moi.

 

Interviewer : Est-ce que vous vous souvenez de parler de ces choses-là soit avec vos amis soit avec vos frères ?

 

Annette : Jamais, jamais. On n'en parlait pas. Simplement, on a dû porter l'étoile en juin 42

Interviewer : Ca c’est en juin 42

 

Annette : Donc en juin 42 on apprend qu'on doit porter cette étoile et je me souviens très bien que ma mère nous a endimanchés, parce qu'à cette époque-là il y avait les habits du dimanche, moi j'avais un petit costume marin et mes frères des petits costumes golf, et elle nous avait cousu très solidement cette étoile, elle avait mis sa robe à fleurs du dimanche et elle nous a fait défiler avec elle dans les rues de Ménilmontant. Pendant un bon moment, dans tout le quartier. Et il n'y avait presque personne dans les rues, elle nous disait de nous tenir très droits. Fièrement. Elle avait une sorte de provocation à se promener avec ses enfants qui arboraient l'étoile sur leurs vêtements. Et moi, j'avais quand même une appréhension. Je me suis dit « bon », j'étais rassurée d'être avec ma mère, mais comment ça allait être pris quand je retournerai à l'école avec cette étoile ? Et quand je suis arrivée dans ma classe la maîtresse a dit : « Vous avez deux filles de votre classe » (vous voyez on n'était pas nombreux en tant que juifs) « deux filles de votre classe qui ont une étoile cousue sur leurs vêtements. Soyez gentilles avec elles. Ne dites rien. »

 

Et c'est là justement que je me suis aperçu qu'il y avait une deuxième fille juive. Je n'avais jamais su que cette petite fille-là était juive. Elle habitait pas le même quartier, elle était d'un quartier un peu plus chic, que j'imaginais plus chic. Je crois qu'elle habitait dans les H.B.M., les habitations à bon marché, et à cette époque-là il fallait… c'était le summum du luxe d'habiter ce type de logement. Et ça c'est… donc comme voilà ce que j'ai éprouvé pour l'étoile.

 

Mais à cette époque-là, nous avions une amie concierge qui habitait pas très loin de chez nous et chez qui nous allions souvent - d'ailleurs, c'est elle qui a caché mon père par la suite - et en sortant de chez elle, j'ai entendu deux femmes du quartier discuter sur l'étoile et qui disaient : « Vous vous rendez compte un homme qui avait l'air si correct son manteau s'est ouvert, et devinez, j'ai aperçu l’étoile, vous vous rendez compte ? Pourtant c'était un homme qui avait l'air tellement correct. » Donc là pour la première fois j'ai compris qu'être juif c'était quelque chose de pas correct et que porter l'étoile c'était quelque chose de dégradant.

 

Mon identité juive, je l'ai comprise à ce moment-là en entendant discuter ces deux femmes. Et alors très vite il y a eu des bruits de nouveau de rafles et on a pensé que, de nouveau, on allait arrêter les hommes et enfin c'est ce qu'on a pensé par chez moi. Quand même ma mère était inquiète parce que j'ai passé une journée avec elle où elle a tenté de nous faire partir en vacances, à l'endroit où nous avions été l'année passée. 

 

Interviewer : Donc dans la Sarthe ?

 

Annette : Non, ce n'était pas la Sarthe, c'était pas très loin de Paris, dans la Seine-et-Marne ou quelque chose comme ça.

 

Elle a tenté et elle a téléphoné. Enfin je me souviens qu'on était à la Poste de la Place des Fêtes, elle a tenté de nous … de téléphoner - moi j'étais à côté d'elle - elle était énervée, pas du tout disponible et elle a téléphoné très longtemps. Elle a dû passer beaucoup de coups de fil pour… mais personne ne voulait de nous. Donc elle est rentrée à la maison.

 

Interviewer : Elle souhaitait vous mettre en pension ou dans un… ?

 

Annette : Nous envoyer en vacances, c'était la période des vacances. L'école était finie, j'étais très contente. J'étais très contente parce que l'école était terminée que j'avais un prix et que l'année prochaine, il était…. enfin à la rentrée prochaine il était prévu du fait de mes très bons résultats que je saute deux classe, enfin je saute une classe, que je passe dans une classe supérieure. J'étais très fière d'annoncer ça à ma mère. J'avais eu des prix. Mes frères avaient eu des prix et du reste mon frère aîné avait eu le prix La Vie de Guynemer. C'était la mi-juillet à cette époque quand l'école se terminait à la mi-juillet et il se souvient qu'il avait mis ce livre sous son oreiller pour, parce qu'on lisait le soir, on dormait mes frères et moi deux par deux dans un grand lit, vous voyez les conditions, on dormait tous les quatre dans la même chambre.

Mes parents dormaient sur un canapé défait la nuit dans la salle à manger. Et donc il y a eu des bruits d'arrestation. Et mon père a été se cacher, accompagné par ma mère chez cette concierge qui habitait pas très loin à laquelle… 

 

Interviewer : Qui était française ?

 

Annette : Une Française, oui. Et il lui a dit, ma mère a dit mais ça je l'ai su qu'après je le savais pas ça : « Je vous confie mon bien le plus précieux » donc elle a confié … mon père a passé la nuit et, nous, nous sommes donc restés à la maison. Ma mère a recueilli la petite voisine parce que son père a été se cacher entre temps. De chagrin, sa mère était morte quand ses deux frères aînés ont été ramassés. Enfin je crois, en tout cas, il y en a un et l'autre qui avait disparu peut-être pour se cacher. Elle est tombée malade, elle est morte donc le père restait avec cette petite fille qui s'appelait Rachel et les deux hommes, mon père et le père de Rachel, ont été se cacher et on est restés donc à la maison où je me souviens très bien qu'il y avait une sorte d'ambiance inhabituelle, avec un meilleur repas. Je me rappelle très bien du repas, très précisément du repas et on a été se coucher et puis du coup mes trois frères ont dormi ensemble et Rachel et moi, on a dormi dans le même lit. Et j'étais très contente qu'elle dorme avec moi parce que je pouvais lui raconter, lui confier tout un tas de secrets, voilà. Les secrets c'était que bientôt j'aurais dix ans et que ma mère m'avait promis que j'apprendrais la danse, que j’apprendrais le piano enfin que plein de choses formidables allaient m'arriver à 10 ans. Et pour moi j'avais hâte d'arriver à cet âge-là.

 

Interviewer : On est en juillet donc 42… ? 

 

Annette : C'est le 15 juillet 42 et le lendemain matin de très bonne heure, il devait être peut-être 4 heures du matin, j'en sais rien, on est réveillés par des coups, d'une violence terrible, contre la porte et à ce moment-là, j'ai le souvenir de deux hommes qui sont entrés dans l'appartement. Pour moi, ils étaient en civil avec… ça devait être des inspecteurs, on m'a dit qu’il devait y en avoir un en uniforme, je n'ai pas le souvenir de l'uniforme. J'ai le souvenir d’hommes en civil. Ma mère qui se jette à leurs pieds, qui se traîne à leurs pieds. C'est la première fois que je vois ma mère s'abaisser, s’humilier en pleurant, en disant « Epargnez mes enfants ! » Ca m'a beaucoup frappée parce que je me souviens même pas de mes frères. Je me souviens que de ma mère se traînant par terre aux pieds des policiers et les policiers qui lui donnent… qui la repoussent du pied en lui disant « Ne me faites pas … ne nous faites pas perdre notre temps » et en lui donnant l'ordre de mettre… de prendre des affaires pour deux jours. Alors il y a une espèce d'affolement, elle prend des draps et elle met tout ce qu'elle peut trouver dans ces draps. Ils lui disent prenez deux jours de nourriture. Je me souviens que ce qui m'avait frappée c'est qu'elle avait même pris des haricots, des haricots secs comme ça dans le drap et à ce moment-là elle a voulu me peigner parce qu'à cette époque j'avais des anglaises -je disais même à ma mère… - c'était des longues boucles que ma mère prenait beaucoup de temps à peigner. Et elle trouvait pas le peigne – est-ce qu'elle l’a fait exprès ? j'en sais rien - elle a dit : « Il faut qu'Annette aille chercher un peigne à la mercerie ». L’heure avait certainement passé et les policiers m'ont laissée partir.

 

Interviewer : Ils attendaient pendant que… ?

 

Annette : Pendant que j'ai été chercher, oui.

 

Interviewer : Et même juste avant, ils étaient dans la pièce ?

 

Annette : Ils étaient dans la pièce. Ils ont pas quitté la pièce.

 

Interviewer : Ils vous regardaient faire ?

 

Annette : Oui, ils nous regardaient faire en nous disant « Dépêchez-vous ! Dépêchez vous ! »

 

Interviewer : Il est quelle heure donc ? 4-5h du matin ?

 

Annette : Oui, mais le temps….

 

Interviewer : Donc c'est déjà le matin, c’est plus tard parce que vous allez chercher…

 

Annette : Mais de très bonne heure parce que cette mercière faisait marchande de journaux aussi ça devait être ouvert de très bonne heure. Je vais donc dans la rue et puis là je vois plein de Juifs, des gens que je suppose être juifs et puis il y avait les étoiles, et poussés, poussés d'une manière brutale par des policiers avec la pèlerine, le képi, le bâton blanc et poussés vraiment et je vais chez la mercière. Elle me dit « Sauve-toi, ne retourne pas chez toi ! » Et évidemment à neuf ans… pour moi, j'aurais jamais su… elle ne m'a pas dit « Viens je vais te cacher. » Me sauver où ? Je suis retournée à la maison où là les…

 

Interviewer : Votre mère a été étonnée de vous voir revenir ? Non

 

Annette : Non, elle n'était pas étonnée.

 

Interviewer : Vous revenez avec le peigne ?

 

Annette : Je reviens avec le peigne et quand je suis revenue il y avait une pagaille complète dans la maison, il y avait tout qui était défait, les lits, les couvertures, les placards ouverts et tout. Et je me souviens que j'avais ma poupée, que j'aimais énormément, et j'ai voulu prendre cette poupée avec moi et là, parce que je savais qu'on allait dans une prison, une prison de Juifs, et j'avais quand même une certaine curiosité à voir ce que c'était que cette prison qu'est-ce qui allait arriver ? A un enfant, finalement c'était…

 

Interviewer : Une aventure

 

Annette : Oui, c'était une aventure et quand j'ai voulu prendre ma poupée pour l'emmener avec moi, le policier me l'a arrachée. 

 

Interviewer : Pourquoi ?

 

Annette : Je ne sais pas et il l'a jetée sur les lits. Et pour mo,i ça a été un très grand chagrin de partir sans ma poupée.

 

Interviewer : Comment vous savez que c'était deux policiers ? Ils n'étaient pas… ils étaient en civil

 

Annette : Oui je suppose. Ben, ils ont dû dire « Police ouvrez ! ». Je ne sais pas, j’ai pas souvenir de tout. Et puis on est alors… simplement quand on a été sur le palier la concierge, on était au premier, la concierge habitait juste sur le même palier. 

 

Interviewer : C'était la concierge amie ?

 

Annette : Non, c’était une autre. Elle était amie, elle était amie, je pensais qu'elle était amie puisque ma mère allait souvent chez elle coiffer sa fille. Il y avait des très bonnes relations, c'étaient nos voisins immédiats. Elle n'était pas du tout amie finalement puisqu'elle a voulu dénoncer mon père par la suite et qu'elle a pillé complètement l'appartement. Mais ma mère avant de partir a dit aux policiers, en parlant de Rachel, « Elle est pas… elle n'est pas juive. » Et elle a demandé à la concierge de la garder. Les policiers ont accepté et elle nous a emmenés. Alors là on était dans la rue.

 

Interviewer : Alors là la concierge également a accepté de garder cette petite fille ?

 

Annette : Elle a dû accepter. Oui, elle a accepté oui.

 

Interviewer : Donc vous descendez ?

 

Annette : On descend et, très souvent après, j'ai rêvé que je remontais ces escaliers. De cette rafle, j’ai ce souvenir des escaliers que je descends et j'ai l'impression que si je les remonte, ça va être terminé, que la vie va reprendre en fait. Et alors donc on est dans la rue et là, des gens applaudissent

 

Interviewer : Des gens ?

 

Annette : Aux fenêtres …

 

Interviewer : Quels gens ?

 

Annette : Les gens du quartier et ils applaudissent. Alors est-ce qu’ils applaudissent pour nous aider ou est ce qu'ils applaudissent parce qu'ils sont contents de nous voir partir ? Moi, je sais que j'ai gardé au fond de moi un souvenir de mépris de la part de ces gens-là.

 

Interviewer : Donc à l'époque, le jour-même, vous, vous aviez l’impression que les gens applaudissaient parce que…

 

Annette : … ils étaient contents. Parce qu'à partir du moment où on a porté l'étoile, ce que j'ai oublié de dire, c'est qu'il y a eu… moi j'ai ressenti ça , mes frères peut-être pas, il y a eu une quarantaine autour de nous. C'est à dire que les amis qui venaient nombreux à la maison, j'avais une amie qui était ma meilleure amie, elle n'est plus jamais revenue. J'avais un petit copain aussi qui venait jouer, c'est pareil. Il lui était interdit de venir jouer avec nous. Et donc mon frère aîné avait donc ce livre, il me l'a dit par la suite, sous son oreiller, c'était La Vie de Georges Guynemer qu'il avait lu la veille du 15 et il avait dit, il s'était dit, « comme ça je pourrais continuer demain ». Évidemment, il n'a jamais retrouvé ce livre. Et alors donc nous sommes dans la rue alors là où les policiers nous disent d'avancer très vite, on nous met d'abord dans un espèce de préau, pas très loin. Pour moi, ça me semblait une marche très longue mais en fait c'était pas très loin où, là, il y a eu une pagaille indescriptible. Les gens, moi j'ai le souvenir, d'une longue table avec des gens couchés dessus qui se traînent, qui crient, des convulsions, des gens qui vomissent, des cris, des hurlements sans arrêt et il y avait une telle pagaille et les gens qui s'appellent et les enfants qui courent. Et il y avait une telle pagaille que mes deux frères aînés qui avaient 10 et 11 ans - on était 10 et 11 ans, mon petit frère avait 7 ans - mes deux frères… ma mère a réussi à faire sortir mes deux frères.

 

Interviewer : Comment elle l'a fait ?

 

Annette : Elle l'a fait parce qu'il y avait une femme, je l'ai su après ça, parce qu'il y avait une femme dont le mari était prisonnier de guerre et elle a fait passer mes deux frères pour ses enfants parce que les femmes de prisonniers de guerre pouvaient à cette époque-là échapper à la rafle, avec l'aide d'un policier et donc mes deux frères se sont fait passer pour ses enfants et avec un drap, avec un baluchon ma mère leur avait dit « Si jamais, une fois que vous êtes dans la rue… vous direz que vous allez au lavoir. »

 

Le fait de porter un baluchon de draps … et il y a un autre enfant, d'ailleurs, du quartier, un petit garçon qui s'est évadé en même temps et ce petit garçon, sa mère l'a poussée et ce garçon, qui s'appelait Joseph, il a pas supporté d'être éloigné de sa mère et il est retourné au commissariat où il a demandé à revenir chez sa mère, avec sa mère et ce petit garçon est retourné avec sa mère puisque je l'ai revu à Beaune-la-Rolande et tous les deux ont disparu à Auschwitz mais il était pourtant libéré.

 

Interviewer : Votre mère voulait que vos deux frères partent…

 

Annette : Oui

 

Interviewer : … parce que donc elle était déjà … ?

 

Annette : Elle pensait qu'ils avaient… qu’ils étaient suffisamment âgés pour retrouver mon père et puis se débrouiller. Nous, Michel et moi, à 7 ans et 9 ans, elle croyait qu'on était trop jeunes, elle supposait, elle ne pouvait pas faire libérer davantage.

 

Interviewer : Est ce que vous saviez ce qui allait vous arriver ?

 

Annette : Pas du tout

 

Interviewer : Est ce que quelqu'un savait où vous alliez ? Est ce que les rumeurs… ? Qu'est ce qu'on disait ? Qu’est-ce que les gens disaient ?

 

Annette : On ne disait rien du tout. Enfin pour moi, je n'avais que 9 ans, pour moi, on ne disait rien. On nous a mis après dans les autobus, parisiens.

 

Interviewer : Après combien de temps ?

 

Annette : On a restés quelques heures dans cette pagaille-là. Là, on nous a mis dans les autobus et dans ces autobus-là, de ces autobus-là, on nous a conduits directement au Vélodrome d'Hiver. Et là, je sais parce que quelqu'un que j'ai rencontré a vu – moi, je ne me souviens pas de ça Donc je ne dis pas ce que je n'ai pas souvenir mais par contre les gens, des gens qui ont vu ça, pas des juifs, ont vu les policiers qui faisaient rentrer les enfants dans les autobus à coups de pied au derrière. C'est comme ça que ça se passait. Là on arrive au Vel d'Hiv et au Vel d'Hiv, on est entassés sur des gradins. Il y a une activité énorme en bas. Alors le Vélodrome d'hiver, c'était le lieu où il y avait des fêtes, des meetings, des fêtes populaires et surtout une course cycliste célèbre qui durait six jours. Donc il y avait une espèce de piste en pente pour les cyclistes et des gradins pour les gens qui venaient regarder. Nous on était installés sur des gradins où j'ai le souvenir qu'il y avait des globes lumineux qui ne s'éteignaient jamais ni la nuit ni le jour et je me disais, moi, que quand ça allait s'éteindre alors un spectacle allait commencer. J'avais le souvenir que, l'année d'avant, j'avais été dans un lieu pareil, c'était au Cirque d'Hiver, où c'était pareil, circulaire. Et quand la lumière s'était éteinte Blanche Neige avait commencé. Donc j'attendais que les lumières s'éteignent. Mais autrement il y avait des cris continuels. Il y avait des haut-parleurs qui appelaient sans arrêt des noms. Alors les gens tendaient leur cou vers les hauts- parleurs parce que le nom, j'avais compris que le nom signifiait la libération. Peut-être que c'était … je ne sais pas. En définitive je pense que, comme après nous avons été transportés dans le camp de Beaune-la Rolande et de Pithiviers par vagues successives, peut-être que les noms c'était pour regrouper les gens

 

Interviewer : Organiser les départs

 

Annette : … et organiser les départs. Alors là, nous n'avions ni à boire pratiquement ni à manger. Et comme les waters, il y avait tellement de monde et tellement de pagaille, ont été immédiatement bouchées ce qui fait que les gens se soulageaient sur place et on pataugeait dans les excréments. Alors une chaleur terrible - c'était quand même à la mi- juillet. Il y avait… c'était une verrière au-dessus de... je crois, je crois. Et moi…euh… il y avait des femmes qui se suicidaient. Il y en a une qui était morte à côté de nous.

 

Interviewer : Elles se suicidaient comment ?

 

Annette : Elles se jetaient.

 

Interviewer : Elles se jetaient du haut du …

 

Annette : Oui, oui.

 

Interviewer : Est-ce qu'il y avait énormément de monde ? Est-ce qu'il y avait une grande foule ?

 

Annette : Oh mais c'était bourré. Plus les bagages. C'était bourré de monde parce qu'on devait être là-dedans, ce jour de la rafle du Vel d'Hiv enfin ça a duré du 16 au 17 juillet, il y a eu plus de 12.000 personnes d’arrêtées dont plus de 4.000 enfants. Tous les enfants et les femmes avec les familles étaient au Vel d'Hiv. Les personnes adultes et les jeunes de plus de 18 ans ont été envoyés directement à Drancy donc au Vel d'Hiv, il devait y avoir à peu près 8.000 personnes et les 4.000 enfants. Alors les enfants qui couraient sans arrêt sur les pistes en pente, qui glissaient là-dessus et on entendait les haut-parleurs qui menaçaient les enfants des pires représailles s'ils se tenaient pas tranquilles. Alors les mères qui appelaient. Moi, je suis tombée malade très vite parce que j'étais malade à l'époque où j'ai été arrêtée, je venais d'avoir une jaunisse donc j'étais encore en très mauvaise santé et la chaleur, la soif et tout ça et j'ai été très vite très malade au point qu'on a dû me transporter en bas où c'était l'infirmerie. Alors là où il y avait des femmes avec des voiles de la Croix-Rouge et là, c'est là que j'ai vu des choses qui m'ont énormément choquée parce que dans cette espèce d'infirmerie où les gens étaient un peu à l'abandon comme ça, j'ai reconnu un homme que j'avais vu entouré de respect, j'allais de temps en temps chez lui qui habitait pas très loin de chez nous, c'était un paralytique et le fait qu'il soit paralytique… il avait une famille, je ne sais pas il devait avoir 7 ou 8 enfants, qui l'entourait de déférence et cet homme-là, c'était la première fois en plus que je voyais ça, il était tout nu tout blanc et il râlait.

 

Interviewer : Il était par terre ? 

 

Annette : Il était par terre. Et pour moi d'un coup, je me suis dit mais, déjà j'avais vu ma mère ça m'avait choquée qui se traînait aux pieds des policiers… je n'avais pas compris à l'époque qu'elle voulait nous sauver… cet homme tout nu complètement vulnérable, dans un tel état et pour moi, j'étais plus une enfant et les adultes, j’ai éprouvé pour eux du mépris, du mépris et je me suis dit qu’ils ne sont pas capables. On ne peut pas s'appuyer sur eux. 

 

Interviewer : Ils ne pourront pas m’aider peut-être

 

Annette : Pour moi les adultes étaient sur un piédestal et d'un coup c'était, c'était ça. Et alors donc on est restés. Moi j'ai été un peu mieux.

 

Interviewer : Qu'est ce qu'on vous a fait ? On vous a descendue

 

Annette : Alors là au lieu d'être couchés sur les gradins, on était jetés sur un lit de camp où j’ai dormi avec mon petit frère. Il y avait une femme à côté de moi, dans cette espèce de box, qui râlait, j'ai jamais entendu un mot et ma mère dormait par terre.

 

Interviewer : On vous a donné à boire ?

Annette : On nous a donné… je me souviens qu'une fois où on a reçu une madeleine et une sardine à la tomate et à boire je n'ai pas le souvenir. Mais peut-être, mais je n'ai pas le souvenir et malgré tout quand on était sur les gradins avant, j'ai quand même connu quelque chose qui m'avait beaucoup frappée, c'est qu'il y avait une très jeune femme, très belle, à côté de ma mère avec laquelle ma mère avait sympathisé. Et elle était sans arrêt en train d'embrasser un petit garçon de 2 ans qui était avec des joues roses, tout bouclé et ça me frappait beaucoup de voir cette mère qui serrait tellement son enfant dans les bras et, lui, il riait constamment, et ça m'a beaucoup frappée parce que cet enfant, ça a été le premier enfant mort, huit jours pratiquement ou une dizaine de jours après, à Beaune la Rolande. Il est mort pratiquement tout de suite.

 

Interviewer : Il avait quel âge ?

 

Annette : Deux ans et il est enterré d'ailleurs à Beaune-la-Rolande. Et justement je me suis posé la question pendant des années si réellement j'avais vécu tout ça. Et c'est quand je suis retournée à Beaune la Rolande et j'ai cherché la tombe de cet enfant, parce que je me disais « j'ai pas rêvé et je me souviens bien de ça », et j'ai retrouvé son… j'avais juste son prénom, il s'appelait Henri et j'ai retrouvé sa tombe –enfin il n'était pas seul, il y avait d'autres enfants qui étaient morts aussi au camp - et il était bien… ça m'a bien rappelé tout, en fait.

 

Interviewer : Le livre que vous avez écrit on va en parler tout à l'heure mais il commence par un poème. Est-ce que c'est vous qui avez écrit le poème ?

 

Annette : Oui, oui oui. Quand j'ai revu la tombe de ce petit garçon…

 

Interviewer : Est-ce que vous pourriez le lire ? Parce qu'il est très beau. Est-ce que vous pourriez peut être le lire maintenant parce que puisqu'on parle de ce petit garçon…

 

Annette :

« Aujourd'hui, je suis allée au cimetière de Beaune-la-Rolande tant d'années d’après une force étrange m'y poussait j’ai erré parmi les tombes. Certaines très anciennes. Une à une je les regardais. Je cherchais un nom, un souvenir. Avait il seulement existé ? Et soudain dans un coin écarté et triste, j'ai vu une dalle de pierre grise. Et parmi quelques noms, le sien était écrit. C'était lui. Je le savais. Henri 1940- 27 juillet 1942. Henri mon joyeux lutin du Vel d'Hiv. Henri aux joues roses aux boucles brunes.

Mon petit voisin rieur. Des nuits et des jours dans le bruit et les cris, dans l’ordure et la puanteur. Assis près de moi sur le gradin, sa mère si belle l’enlaçant tendrement sur les gradins du Vel d'Hiv. Henri 2 ans, le premier enfant mort du camp avant les milliers d'autres. Mais lui est resté à Beaune. Il n'a jamais pris le train conduisant au long voyage et moi couchée sur la paille pourrissante, balayée par les phares blancs des miradors, je me souviens, j'avais 9 ans, toute la nuit sa mère hurlant, folle, à Beaune la Rolande. »

 

Alors d’ailleurs sur la tombe de ce petit garçon, pour moi ce petit garçon, c’est le symbole de Vichy, parce qu’il n’a pas été tué en Allemagne, il a été tué en France, dans un camp gardé par les Français parce que moi tout le temps de ma détention , je n’ai rencontré que des Français et sur sa tombe il y avait marqué « tué par les fascistes hitlériens » et là, il n’y a pas trop longtemps, sa tombe a été refaite et c’est toujours marqué « tué par les fascistes Hitlérien ». Mais moi, je pense qu’il est victime, bon d’accord c’est le Nazisme qui est responsable en premier lieu, mais c’est quand même la politique de Vichy qui a fait que cet enfant-là a été arrêté et est mort à deux ans au camp de Beaune-la-Rolande.

 

Interviewer : Au Vel d’Hiv, vous n’avez pas vu d’Allemands du tout ?

 

Annette : Non, jamais. Ni à Drancy, ni à Beaune-la-Rolande.

 

Interviewer : Donc les seuls Allemands que jusque-là vous avez vus, c’étaient les gentils soldats qui…?

 

Annette : Oui, j’ai vu… non il y avait quand même des inscriptions allemandes dans les rues… on voyait quand même. Mais disons que l’arrestation, les mauvais traitements, ça a été directement fait par des Français.

 

Interviewer : L’ordre de porter l’étoile jaune, pardon pour revenir un peu en arrière, comment on l’a su ? C’était écrit où ? Comment est-ce que vous saviez ? Est-ce que vous vous souvenez de cela ?

 

Annette : Non. Ca je pense il y a eu un décret et je pense que…

 

Interviewer : Un décret allemand ?

 

Annette : Non, c’était des décrets, je crois, français – c’était des lois françaises, des décrets français mais certainement sous ordres allemands.

 

Interviewer : Ca a été publié par l’administration française ?

 

Annette : Ah mais non, de toute manière l’administration française a été au-delà puisque quand elle a institué le statut des juifs en 1940, elle a devancé les demandes des Allemands et elle a été même plus loin dans la formulation de l’identité juive puisque elle a mis en avant la notion de race et non pas de religion. 

Interviewer : On peut devancer les choses ? Est-ce qu'on peut revenir au Vel d'Hiv ? Donc c'est la première nuit. Vous êtes malade. Vous êtes couchée avec votre frère et votre mère à côté.

 

Annette : Ce n'est pas la première nuit c'est au bout de trois jours à peu près.

 

Interviewer : D'accord trois jours se sont passés ?

 

Annette : Sur les gradins.

 

Interviewer : D'accord sur les gradins et c'est la troisième nuit environ que vous êtes malade. D'accord.

 

Annette : C'est du reste pour ça qu'on a dû partir pratiquement les derniers, dans les derniers du Vel d'Hiv parce qu'ils ont dû évacuer les malades à la fin.

 

Interviewer : Donc au fur et à mesure que vous êtes là, les gens partent. De nouveaux arrivent ou pas ?

 

Annette : Non, non, non.

 

Interviewer : Donc ça se vide le Vel d'hiv ?

 

Annette : Je n'ai pas tellement le souvenir. Moi, les conditions du départ, le seul souvenir que j'en aie c'est qu'on respire parce que c'était irrespirable, c'était vraiment irrespirable.

 

Et puis d'un coup on avait espoir. Par exemple, je n'ai pas souvenir du train alors qu’on a pris le train à la gare d'Austerlitz dans les wagons à bestiaux. Mais peut être juste le fait de sortir du Vel d'Hiv, ne serait-ce que pour aller à la gare, rien qu'à ce moment-là, c’est un moment où on respire un peu. Et alors, simplement j'entends les gens qui disent « On va aller à Beaune la Rolande » et qui commencent à dire « mais il y en a d'autres qui vont à Pithiviers » donc ils savaient très bien où ils allaient. Et ceux qui allaient à Pithiviers, les gens disaient « Ils ont de la chance ! Les gens qui vont à Pithiviers vont être libérés » et peut être que ceux qui allaient à Pithiviers devaient dire le contraire.

 

 Il y avait toujours cet espoir que le sort du voisin était meilleur que celui qui nous attendait. Donc on arrive à Beaune-la-Rolande.

 

Interviewer : Vous partez donc comment ? Vous ne vous souvenez pas de quelle date ?

 

Annette : C'est fin juillet, fin juillet le 21.

 

Interviewer : Donc du 17

 

Annette : Non, du 16

 

Interviewer : Donc quatre jours plus tard. Cinq jours plus tard le 21 août…

 

Annette : Cinq-six jours.

 

Interviewer : Et vous ne vous souvenez pas le départ du Vel d'Hiv ? Vous vous souvenez quel est le moment …

 

Annette : Ce moment de respiration, je me souviens pas du voyage en train et l'arrivée à Beaune-la-Rolande mais je me souviens pas… si qu'on traversait… je vois toujours ce regard des gens du village parce qu’on a dû le traverser sur toute sa longueur. C'est de la gare, de la gare au camp. Le camp, il touchait le village. Alors je me souviens de l'arrivée au camp… donc c'était un camp entouré de fils de fer barbelés. Il y avait des miradors avec des gendarmes avec des fusils.

 

Interviewer : Français des gendarmes français ?

 

Annette : Ah oui ! Il n'y avait que ça. Du camp ce dont je me souviens très bien c'est qu'on apercevait l'église du village qui semblait très proche. On était vraiment près de l'église. Et puis donc on arrive dans ce camp entouré de barbelés et on nous attribue une baraque à nous. C'était des baraques en bois à châlits mais comme on est arrivés les derniers, nous, il n'y avait plus de baraques à châlits … la baraque où nous étions, numéro 11, on a dormi par terre. Il y avait de la paille par terre directement de la paille et au milieu, de chaque côté, les gens se touchaient pratiquement les uns les autres.

 

Interviewer : Vous étiez nombreux dans cette baraque ?

 

Annette : Oh c'était, je ne peux pas dire combien mais on était vraiment innombrable dans cette baraque. Et vraiment les uns sur les autres.

 

Interviewer : En arrivant, vous descendez du train et vous allez à pied ? Vous parliez du regard, du regard par la suite…

 

Annette : J’ai ce souvenir parce que par la suite, c’est par la suite que je l'ai davantage ressenti et donc ce que je me souviens c'est que immédiatement il y avait quelques points d'eau et les femmes se sont arraché leurs vêtements pour se laver et elles ont commencé à se disputer parce que pour avoir accès aux points d'eau il y avait vraiment une violence autour de…

 

Interviewer : De grandes tensions ? C'est la première fois pour se laver… qu'on pouvait se laver ? Depuis le 16

 

Annette : Il y avait un besoin. Alors après on rentre dans les baraques et là c'est pareil de voir ces femmes se disputer, ça me choque, ça me choque énormément. Et après…

 

Interviewer : Vous êtes avec votre mère et votre petit frère ?

 

Annette : Oui.

 

Interviewer : Est-ce que vous parlez … est-ce que votre mère vous parle de vos deux frères qui… ?

 

Annette : Non, non, pas du tout. Enfin peut-être mais je ne m'en souviens pas.

 

Interviewer : D'accord.

 

Annette : Je me souviens que, nous, on avait la couche contre la porte et il a dû pleuvoir parce que de l'eau tombait sur ma mère et mon frère et moi on s'est disputés parce qu'elle a demandé qu'on vienne, elle a dit « Qui est-ce qui veut dormir à côté de moi ? » Et puis mon frère et moi, on ne voulait pas dormir à côté d'elle parce que, comme elle recevait de l'eau sur la tête, on n'avait pas envie de se faire mouiller. Voilà ça c'est quelque chose…

 

Interviewer : C'est une première nuit …

 

Annette : C’était la première nuit. Aussi, c'est que j'ai eu envie d'aller faire pipi la nuit. Il y avait l'interdiction de sortir de la baraque et j'ai voulu, j'ai tellement supplié ma mère que… elle m'a accompagnée. Je lui ai demandé puisqu'il y avait les miradors, il y avait les projecteurs qui balayaient le camp et je ne sais pas, il y a eu un faux mouvement et j'ai eu le doigt coincé dans la porte et j'allais crier et ma mère m'a mis la main sur la bouche pour que je me taise. Et le fait de ne pas pouvoir crier, ça m'a fait aussi très peur.

 

Interviewer : Elle vous a mis la main sur la bouche pour que vous ne criez pas, pour ne pas réveiller les gens.

 

Annette : Non, pour ne pas attirer l'attention des miradors, des gendarmes puisqu'il était interdit, on était braqués donc...

 

Interviewer : Il y avait… qui était dans ce camp est ce qu'il y avait des hommes aussi ?

 

Annette : Il y avait une baraque d’hommes où quelques fois on s'approchait pour voir ce que c'était parce que le camp de Beaune-la-Rolande était réservé qu'à des hommes étrangers. Au départ, depuis 41, on y enfermait les Juifs parisiens d'origine étrangère. Mais dès mars ou avril, ils ont été envoyés à Auschwitz. Ils ont été parmi les premiers envoyés à Auschwitz pour dégager, pour laisser la place justement pour les Juifs de la rafle du Vel d'Hiv. Rien n'était préparé pour et les femmes et les enfants ni la nourriture ni rien du tout. Rien n'était préparé pour les accueillir.

 

Interviewer : Et donc il y avait surtout les femmes et les enfants qui étaient ensemble. Et une baraque d'hommes à côté. Est ce que c'était en effet, est ce que vous vous souvenez si c'était surtout les juifs étrangers, est-ce que c’était de gens qui avaient un fort accent ?

 

 

Annette : Oui, oui mais les enfants étaient tous français. Ils étaient pratiquement tous nés à Paris ou c'était peut être des Juifs étrangers surtout polonais. Mais d'un autre côté, c'était… on leur avait retiré la naturalisation à certains puisque la naturalisation avait été retirée, je crois depuis… il fallait avoir plus de dix ans.

 

Interviewer : Et donc c’est donc la première nuit ?

 

Annette : Oui voilà tant que ma mère est là, tant que ma mère est là… elle est très disponible. D'un coup. Elle qui était toujours… je ne sais pas… le fait d'être là ou peut-être de sentir quelque chose, elle joue sans arrêt avec nous.

 

Interviewer : Vous êtes là combien de temps avec elle ?

 

Annette : Avec elle, on est là jusqu'au 7 août.

 

Interviewer : Donc environ une dizaine de jours. Et qu'est-ce que vous faites pendant ces journées ?

 

Annette : J'ai le souvenir pleinement de jouer avec ma mère. On est sur elle. Elle est couchée… on la chatouille. Elle est là. Elle joue physiquement avec nous.

 

Interviewer : A l'intérieur ?

 

Annette : Non dehors, on n'était jamais à l'intérieur. Alors aussi ce qui m'avait choquée quand on était là-bas, le premier jour, c'est que devant les baraques, il y avait des trous sans portes ni rien, c'étaient les latrines, sans porte. Et là, les adultes, comme les enfants, ils faisaient leurs besoins aux yeux de tout le monde. C'est-à-dire qu'il n’y avait plus de pudeur, plus rien du tout. C'était… on était comme des animaux. On s'habituait à ça.

 

Interviewer : Vous vous souvenez d'avoir été choquée… ?

 

Annette : D'avoir été très choquée,

 

Interviewer : … en le voyant

 

Annette : Et en plus on avait peur parce qu'il y avait des gros vers au fond des latrines. C'était des latrines peut-être qui étaient installées déjà avant, enfin c'était…

 

Interviewer : Ca devait sentir mauvais ?

 

Annette : Ca sentait très mauvais. Ca sentait très mauvais. Du reste, par la suite, j'ai juste sur le plan anecdotique, c'est mon frère qui a eu l'occasion de rencontrer un paysan qui habitait juste à côté qui s'est plaint que, quand le camp a été évacué, la merde des internés juifs avait pollué la région. C'était qu'il y avait beaucoup de monde là. Alors donc qu'on est là. Et là commencent à avoir lieu des départs de femmes, on a su. Alors on n'avait pas le droit ni de recevoir de courrier, ni de recevoir de colis bien sûr. Je sais que ma mère a réussi à faire passer une lettre parce qu'il y avait un trafic autour des fils de fer barbelés. Il y avait constamment des gendarmes et des gens du pays qui venaient nous regarder.

 

Interviewer : C'est là où ce regard ?

 

Annette : Ce regard. Mais ça il y est tout le temps ce regard.

 

Interviewer : Il est comment ce regard ? Il est curieux ? Il est hostile ?

 

Annette : Un regard de dégoût. C'est comme ça que je le ressentais. Mais il faut dire qu'on ne devait pas être très propres et très agréables à regarder. Incontestablement, incontestablement.

 

Interviewer : Alors qu'il était dans les camps ? Qui s'occupait de l'organisation et de la distribution d’eau ?

 

Annette : Alors il y avait donc des gendarmes, des douaniers.

 

Interviewer : Que faisaient les douaniers qui gardaient ?

 

Annette : Ils gardaient aussi. Ils avaient fait appel… mais ça je ne l'ai su qu'après, ça. Pour moi un uniforme, c'était un uniforme. Et j'ai su qu'ils avaient fait appel à des gens aussi du pays payés pour certaines activités.

 

Interviewer : Lesquelles ?

 

Annette : Par exemple les femmes du pays ont accepté, moyennant finances, de fouiller les femmes. Il y avait tarif de jour, tarif de nuit. Elles n'ont pas hésité à le faire, à arracher les boucles d'oreilles aux femmes qui allaient partir en déportation.

 

Interviewer : Pour en faire quoi ?

 

Annette : Normalement c'était pour rendre… parce que… pour le donner à la direction du camp qui devait certainement donner ça à la Gestapo peut-être mais en gardant une certaine quantité de choses.

 

 

Interviewer : Donc les femmes n'avaient pas le droit d'avoir des bijoux ?

 

Annette : Non, ca c'était au moment du départ à Auschwitz. Parce que dès …

 

Interviewer : Donc vers le 7 août ?

 

Annette : Non, ma mère, c'est le dernier convoi. Dès le début août, il a commencé à y avoir des convois. Donc des convois de femmes et d'enfants au-dessus de 12-14 ans parce que la rafle du Vel d'Hiv, les ordres très stricts, les Allemands ne voulaient pas les enfants. Normalement, c'était au -dessus de 16 ans ou 18 ans. Mais le gouvernement de Vichy, sous prétexte d'être bon et de ne pas séparer les familles a exigé qu'on laisse les enfants avec les familles, avec les femmes.

 

Interviewer : Avant donc… pour qu'ils partent ?

 

Annette : Pour qu'ils soient déportés. En fait, ils voulaient se débarrasser de tous les juifs d'origine étrangère, d'origine immigrée étrangère. Donc ce qui s'est passé c'est que, comme Berlin ne donnait pas de réponse au sujet des enfants, ils ont commencé à faire partir les femmes d'abord, accompagnées des enfants plus âgés, à partir du début août.

 

Interviewer : Donc vous êtes arrivés vers le 21 ou 22 août ? Et une petite semaine se passe dans les camps…

 

Annette : … où les épidémies commencent.

 

Interviewer : Parlez-nous des épidémies… justement les premiers jours, vous jouez avec votre mère dehors mais il y a ces latrines. Quelle est la vie, l'organisation de la vie quotidienne ?

 

Annette : On cherche, on cherche à se nourrir. C'est la recherche de la nourriture.

 

Interviewer : Qu’est-ce que vous cherchez comme nourriture ?

 

Annette : Je ne sais pas, je sais que je confonds. Après l'absence de ma mère. Je sais qu'on avait on avait des haricots. On mangeait que des haricots dans des boîtes de conserve. Il n'y avait pas de couvercle, vous voyez, il n'y avait même pas de couverts ni rien. On avait des boîtes de conserve sûrement qui avaient contenu ces haricots, ça nous servait de gamelle et puis voilà, on mangeait des haricots. Donc crise de dysenterie.

 

Interviewer : Il y a les douaniers et les gendarmes Il y parfois, vous avez parlé, de femmes qui fouillent les femmes de déportés. Et est-ce qu'il y avait quelqu'un d'autre ? Est-ce qu'il y avait la Croix-Rouge ?

 

Annette : Il y avait peut-être une certaine direction administrative du camp puisque je sais que ma mère, quand elle a su qu'elle allait partir, elle a tenté de voir où il devait… mais où on ne les voyait pas. Alors maintenant, il y avait les jeunes plus âgés qui aidaient aux cuisines et puis à l'infirmerie.

 

Interviewer : Il y avait une cuisine , il y avait des cuisines, il y avait une infirmerie ?

 

Annette : Oui, mais moi je m’en souviens pas. 

 

Interviewer : Vous ne vous souvenez pas très bien. C’est donc au début du mois d'août que les convois commencent ?

 

Annette : Oui, mais je n'ai pas le souvenir des autres. Moi, j'ai le souvenir que du convoi de ma mère.

 

Interviewer : Et juste avant de venir à ce moment-là, l'histoire des bijoux, les femmes qui partaient n'avaient pas le droit d'emporter des bijoux

 

Annette : Ni bijoux ni argent, rien du tout. 

 

Interviewer : Donc ça leur a été confisqué. Est-ce qu'on leur donnait un reçu ou ça leur était tout simplement confisqué ?

 

Annette : Je pense que j'ai le souvenir qu'il y a toujours au milieu du camp une petite table et toujours quelqu'un de l'administration qui écrit.

 

Interviewer : Vous ne savez pas ce qu'il écrit là  ? 

 

Annette : Non. Alors quand… je peux raconter pour le départ de ma mère, c'est que… donc c'était le dernier convoi. Elle devait être déjà prévenue des autres convois qui sont partis depuis le début août et là, il y a eu un rassemblement au milieu du camp, les femmes ont été mises nues. Je suppose justement que c'était pour les fouiller. Je sais qu'avant, déjà la veille ma mère avait tenté de me faire partir avec elle, enfin c’est ce que j’ai compris, en disant que j'étais malade parce que je pense que je devais avoir de la fièvre, elle le voyait en touchant le front et puis ça ne s'est pas fait. On n'a pas voulu.

 

 

Interviewer : Qui n'a pas voulu vous vous souvenez ?

 

Annette : Il y avait une directrice du camp.

 

Interviewer : Vous êtes allée avec votre mère ?

 

Annette : Je suis allée avec ma mère. Il y avait une directrice du camp qui s'appelait, j’ai même son nom approchant, qui s'appelait Mme Larochelle ou La Rochette qui avait une réputation de dureté qui s'est vérifiée d'ailleurs, qui s'est vérifiée. Alors est-ce qu’elle était représentante de la Croix-Rouge ? Elle devait être la secrétaire qui devait régler tous les problèmes bien. Et alors, je sais que ma mère s'est adressée à une dame, parce que certaines femmes restaient au camp avec peut-être des malades, des enfants plus jeunes et elle lui a donné un petit bout de savon qu'elle avait réussi en lui demandant de s'occuper de Michel et moi en nous lavant avec ce petit bout de savon et elle avait cousu un peu d'argent dans les épaulettes de la petite veste de Michel. Peut-être dans la mienne, je n'ai pas souvenir. Je me souviens davantage de mon frère. Evidemment, on n'a jamais rien retrouvé.

 

Interviewer : Donc ça c'est déjà quand vous restiez ?

 

Annette : C’est la veille.

 

Interviewer : Mais elle savait qu'elle allait partir ? Qu'elle allait partir et que vous n'alliez pas partir avec elle ?

 

Annette : Elle savait qu’elle allait partir et qu’on n’allait pas partir

 

Interviewer : Est-ce qu'on peut revenir au moment si vous vous en souvenez quand elle va voir cette madame la Rochelle ou La Rochette pour lui demander de l'aide ?

 

Annette : C’est qu’elle m'a traînée, qu'elle a essayé de la voir et que ça a été impossible.

 

Interviewer : Qu’on lui a dit non, elle doit vous laisser ?

 

Annette : Oui, ça a été impossible.

 

Interviewer : D'accord, elle laisse cet argent et cette savonnette à quelqu'un ?

 

Annette : Non, l'argent, elle le coud

 

Interviewer : et la savonnette à cette femme. Elle sait qu'elle va partir seule ? Que ce petit bout de savon…

 

Annette : Elle sait qu'elle va partir seule alors là je me souviens de ce départ qui s'est fait dans une violence terrible c'est-à-dire qu'il y avait des hurlements, des hurlements qui perçaient les oreilles parce que nous, les enfants, on s'accrochait aux mères, en plus comme c'était le dernier convoi, la tension avait encore monté. Les femmes ont donc été mises nues, battues avec les enfants à coups de crosse et pour nous séparer, parce que c'était impossible de nous séparer, les gendarmes ont arrosé de jets d'eau glacée les femmes et les enfants. Et finalement, au bout de quelques temps, le camp s'est calmé. Il y avait donc tous les enfants d'un côté parce que, moi, je me souviens que je tenais serré mon petit frère et les femmes et les enfants plus âgés de l'autre, les gendarmes au milieu. Et là, je vois ma mère au premier rang, je la vois vraiment comme si c'était là encore maintenant et qui nous fait signe et avec ses yeux, elle nous fait signe. C'est la dernière fois que je l'ai vue. Alors, j'ai su après parce que c'est quelqu'un du pays qui l'a raconté que elle a vu arriver… donc on a mis les femmes dans les camions, on les a conduites à la gare de Beaune-la-Rolande.

 

Interviewer : Les femmes déjà habillées ?

 

Annette : Oui, on les a fait se rhabiller. Et puis elles… on les a conduites à la gare de Beaune-la-Rolande pour rejoindre Pithiviers avec un autre groupe, elles sont parties… Pithiviers et Beaune-la-Rolande sont partis ensemble…

 

Interviewer : Dans les wagons à bestiaux ?

 

Annette : Oui. Et il y avait quelqu'un, qui habitait justement sur la gare, qui a vu les femmes sorties du camion, par les gendarmes, par les cheveux, tirées par les cheveux et puis traitées toujours dans des conditions de violence. Alors ce qu’on s'est aperçu quand le camp a été vidé, nous, les enfants ça nous avait d'ailleurs excité la curiosité. C'est que les trous des latrines étaient remplis de bijoux. Avant de partir, alors donc les femmes savaient peut être où elles allaient, elles ont jeté, beaucoup ont jeté leur alliance, leurs boucles d'oreilles dans la merde. Et après, ça on l'a su aussi après parce qu'il y a eu un livre très documenté qui a été fait là-dessus puisqu'il y a eu même des mesures strictes, les gens du pays ont tamisé les latrines pour récupérer les bijoux.

 

Interviewer : Donc là votre mère part dans le dernier convoi et vous restez ?

 

Annette : Alors, c'est un convoi… donc le convoi du 7 août où il y avait un convoi extrêmement nombreux, je ne peux pas dire combien, plus de 1000. Je ne sais pas enfin comme il y avait deux camps… et sur ce convoi-là, je crois que, à la fin de la guerre, il y a eu deux survivants.

 

Interviewer : Deux personnes, deux femmes qui ont survécu ?

 

Annette : Non, je ne crois même pas que c'étaient des femmes.

 

Interviewer : Deux personnes ont survécu et le convoi donc … ils sont partis à Auschwitz ?

 

Annette : Directement à Auschwitz où les enfants… enfin ceux de plus de 12 ans peut-être qu’on les a gardé un certain temps pour le travail. Ma mère, elle avait 33 ans à l'époque, elle avait 33 ans, elle était robuste. Bon c'est vrai qu’elle avait dû être considérablement amaigrie par les conditions du Vel d'Hiv et quand même des premiers temps de Beaune mais c'était une femme vigoureuse, alors certains m'ont dit qu'elle aurait quand même été prise pour travailler quelques temps mais je ne sais rien. Je ne sais rien du tout.

 

Interviewer : Donc vous restez vous … ?

 

Annette : Alors nous, les enfants, on reste seuls, on reste complètement seuls parce que personne ne s'est occupé de nous. Là ça s'est très mal passé. D'abord moi, je suis tombée complètement malade. Je ne voulais plus sortir de la baraque. J'étais sur la paillasse, j'étais … je pensais que j'avais fait quelque chose de mal

 

Interviewer : Pourquoi ?

 

Annette : Pour qu'on m’ait séparée de ma mère. Le fait d'avoir pas voulu dormir à côté d'elle, je pensais que c'était normal ce qui nous arrivait.

 

Interviewer : Vous n'avez pas voulu dormir à côté d'elle parce qu'il pleuvait ?

 

Annette : Parce qu'il pleuvait. J'avais ce remord de ça et je pensais qu’on avait dû faire quelque chose qui méritait qu’il nous arrive ça. Donc, je ne voulais plus sortir. Je me laissais mourir.

 

Interviewer : Vous aviez peur ou pas ?

 

Annette : J'étais sans ressort, complètement sans ressort et c'est mon petit frère qui me tirait pour me faire prendre l'air et qui… il avait sept ans et j'étais couverte de dysenterie et qui me nettoyait, qui me torchait, qui me nettoyait. Et bon, il faisait beau et on a commencé donc à errer dans le camp avec mon petit frère. Je me souviens qu'on arrachait des brins d'herbe pour manger parce qu'il n'y avait rien, il n'y avait rien.

 

Interviewer : Qui est resté dans le camp ?

 

Annette : Des enfants et peut-être quelques femmes mais qu'on ne voyait pas et les gendarmes qui nous paraissaient très menaçants. Les gendarmes de l'extérieur qui nous gardaient et qui nous parlaient brutalement. Et nous, on était là, les enfants, et le camp nous paraissait très grand et d'ailleurs, les enfants ont changé de baraque. On allait dormir dans… le camp était à nous. On avait une chanson à l'époque, les enfants, on chantait sur l'air de ??. On chantait à Beaune-la-Rolande, on n’est pas trop mal mais on bouffe toujours des fayots. Et on se préoccupait, mais ça je pense c'était avant la séparation, si on allait pouvoir rentrer à l'école, si on allait… c'était ça qui nous préoccupait, les enfants.

 

Interviewer : Rentrer à l'école où ?

 

Annette : Retourner, retourner à Paris. Pour nous, après tout, c'était la période des vacances.

 

Interviewer : Donc il n'y a que des enfants. Est-ce que maintenant vous pouvez vous souvenir combien est-ce qu'il y avait 50 enfants ?

 

Annette : On était plus de 2.000 enfants.

 

Interviewer : Combien ?

 

Annette : 2.000.

 

Interviewer : Vous étiez plus de 2.000 enfants.. Et vous vous souvenez de beaucoup d'enfants de votre âge.

 

Annette : Oui

 

Interviewer : Et pas d'organisation d'aucune sorte ?

 

Annette : Non, personne. Vous savez j'ai entendu beaucoup de gens qui ont dit, j'ai même rencontré des gens qui m'ont dit, une femme qui m'a dit « Vous savez, vous vous rappelez quand je m'occupais de vous » beaucoup de gens m'ont dit « on s'occupait » C'est pas vrai ! Parce que ceux qui ont eu un geste vis-à-vis des enfants, vis-à-vis de nous, ça, je m'en souviens. Que ce soit à Beaune-la-Rolande que ce soit à Drancy, je n'ai jamais vu personne s'occuper de nous. Personne. C'est pas vrai ça, ceux qui disent « on s'est occupé des enfants d'une manière », c'est pas vrai. On était vraiment abandonnés, complètement abandonnés, complètement seuls. Mon petit frère comme il avait 7 ans, il avait vu que les enfants de moins de 7 ans, de moins de 4 ans, mais il était très petit, avaient le droit à un peu de lait. Est-ce que c'était avant le départ de ma mère ou après ? On avait réussi à avoir un biberon de lait, il avait réussi lui ; il était très débrouillard et toute la journée on secouait ce biberon pour essayer d'en faire du beurre. Mais comme c'était coupé d'eau, c'était de l'eau teintée évidemment on n'a jamais réussi. C'était la seule chose qui changeait des haricots qu'on avait. C'est pour ça qu'on chantait cette chanson sur les haricots. Alors on a… on est restés donc… on a dû rester une quinzaine de jours comme ça, livrés …

 

Interviewer : La femme à qui votre mère a donné à ce bout de savon vous ne l'avez pas revue ?

 

Annette : Non, jamais, non. Et on a… on a un jour, on nous a de nouveau parce qu'on était devenus craintifs. Le fait d'être sans mère, on avait peur. On n’avait personne sur qui s'appuyer. On nous a réunis, on nous a poussés une fois dans la baraque, dans une baraque et là il y avait un homme avec une tondeuse qui a commencé à nous raser les cheveux, la tête. On n'était pas encore rasés parce que, évidemment il y avait des poux, il y avait de la vermine, il y avait des maladies. On était tous couverts de boutons, on était très sale, très, très sales et ça pullulait la vermine. La paille… c'était pas très loin de Paris Beaune-la-Rolande. C'est Orléans. C'est à une heure de Paris. Et on nous a donc rasés. On a commencé par mon petit frère ; alors c’était dans les pleurs parce que, peut- être que maintenant les jeunes aiment se faire raser mais à l'époque c'était une tragédie de se faire raser ; pour mon frère qui avait des beaux cheveux blonds avec une boucle là, il pleurait. Et ça je me souviens. Je le revois, on le rase et les gendarmes se moquent de lui. Au lieu de raser complètement, ils ont fait des traces sur le sommet… Ils ont laissé.

 

Interviewer : c’étaient des adultes ?

 

Annette : Oui bien sûr ! Ils ont fait des traces ce qui fait que ça donnait un aspect encore plus répugnant, et c'est à ce moment que mon frère aussi m'a dégoûté. On se dégoûtait. Enfin moi, il me dégoûtait. Le fait de ce regard dans la population de saleté, j'en avais tellement conscience que même mon propre frère, il n’avait plus un aspect humain. Et alors donc les petits garçons cherchaient des bérets pour se les enfoncer sur la tête.

 

Moi aussi j'ai été rasée mais j'ai plus le souvenir de mon frère. Et alors après, on nous a traînés dans une douche. Est-ce que c'était dans la même baraque, je ne me rappelle pas. Il y avait des grands seaux. Moi, c'est le souvenir que j’en ai...avec de la peinture jaune et on nous a fait, est-ce que c’était des étoiles ou des traces ? enfin des marques sur nos vêtements. Je me souviens de cette peinture qui dégoulinait. Après on a été tous rassemblés, les enfants, on nous a dit de prendre nos baluchons et on nous a conduits à la gare et c'est là où j'ai vu vraiment les gens qui nous regardaient parce qu'on allait marcher un bon moment. La gare était loin de faire 2, 3, 2 kilomètres à traverser. On s’est traînés comme ça. On se tenait par la main. Moi, je faisais attention parce que j’avais une petite sandalette et la bride s’était cassée, et surtout on n’avait qu’une peur, c’est de traîner, de perdre…ceux qui avaient un frère ou une sœur. Et j’ai su – mais ça j’en ai pas la mémoire – mais les gens l’ont raconté par la suite que les enfants, quand ils ont été conduits à la gare, pour aller en fait à Drancy, ils chantaient. Parce que les enfants, dont j’étais, étaient sur de retrouver leurs mères donc ils chantaient a l’idée de retrouver leurs mères. Donc là, on a été mis dans les wagons à bestiaux, tous, entassés, fermés dans l’obscurité totale dans ces wagons à bestiaux et conduits… combien de temps a duré le voyage j’en sais rien. C’était pas trop loin mais ça pouvait traîner et on nous a conduits directement à Drancy.

 

Interviewer : Juste avant cela quand on vous a rasés, 2.000 enfants, c’est beaucoup. Il y avait 2.000 enfants à ce moment-là dans le camp ?

 

Annette : Il devait y avoir peut-être 1.500 ; ah oui beaucoup d’enfants.

 

Interviewer : On peut penser que les gens autour, qu’il y avait beaucoup de gens, beaucoup de gendarmes pour même entourer 1.500 enfants.

 

 

Annette : Ah il y avait pas mal de gendarmes ; ils gardaient les enfants. Alors vous savez avec les enfants, moi, je n’ai pas le souvenir de ça, mais il y avait les appels.

 

Interviewer : Il y avait des appels ?

 

Annette : Des appels.

 

Interviewers : Tous les matins ?

 

Annette : Tous les jours.

 

Interviewer : Et qu’est-ce que vous faisiez ?

 

Annette : Moi, je n’ai pas le souvenir de ça mais je l’ai su. Quelqu’un a retrouvé tous les documents, les archives, à Orléans d’ailleurs, très méticuleusement rangées où il y avait les comptes rendus d’appels avec les enfants. Alors évidemment en plus, il y avait des enfants qui ne savaient même pas leur nom.

 

Interviewer : Parce qu’ils étaient petits ?

 

Annette : Ben oui, ils étaient petits, il y avait des gens très jeunes. 

 

 

Interviewer : En quittant le camp et donc ces jours, ces journées que vous avez passées dans le camp, vous étiez angoissée de ne pas retrouver votre frère ? Est-ce que vous étiez ensemble ? Est-ce que vous étiez conscients tous les deux d'être frère-sœur ? Comment ça se passait entre vous ?

 

Annette : On se quittait pas tous les deux. Il n’y avait pas de solidarité entre les autres enfants et nous-mêmes parce que il y avait des disputes au sujet de la nourriture. Donc, par exemple, les enfants plus grands bousculaient les plus petits mais entre frères et sœurs, il y avait une entraide. C'était comme ça, vous savez dans les conditions carcérales, la générosité s'arrête rapidement au proche entourage. Vous savez, quand même je vais rajouter quelque chose, et je ne sais pas si je l'ai dit, moi ce que j'avais conscience à cette époque c'est que c'était normal tout ce qui nous arrivait parce qu'on était juifs fait que d'être juif, ben voilà c'était ça. Il fallait qu'il arrive ces choses-là. C'était pas étonnant, on s'habituait à ça.

 

Interviewer : Quand votre frère… quand vous regardez votre frère qui est rasé d'une manière ridicule et qui commence à vous dégoûter, est-ce que ça c'est aussi vous étiez consciente de… par exemple, de vouloir partager la nourriture ?

 

Annette : Je l'aimais encore plus. Ca c'était pour moi… comment dire ? Il me faisait une pitié terrible.

 

Interviewer : Dégoût, pitié, ça ne veut pas du tout dire que vous l’aimiez… ?

 

Annette : Énormément de pitié pour lui, pour son chagrin.

 

Interviewer : Est-ce que vous vous souvenez de s'il y avait des enfants très petits ? Donc votre frère a 7 ans, il doit être très petit s’il peut passer pour avoir 4 ans. Est- ce qu'il y avait vraiment des enfants très petits ? 

 

Annette : Oui, très petits. Il y avait des tout petits enfants. Tout petits.

 

Interviewer : Qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'est-ce qui leur arrivait ? Vous vous souvenez ?

 

Annette : Non, non, non, non. Il y avait vraiment des enfants de 2 ans à 3 ans. Normalement au départ, ils laissaient les mères avec les tout petits mais après…

 

Interviewer : Donc vous allez vous quitter ?

 

Annette : Voilà et on arrive à Drancy. On arrive à Drancy où quand on arrive, moi le souvenir que j'en ai, c'est qu'on est au milieu, devant ces bâtiments, au centre et on nous distribue une sorte de chocolat, en fin de liquide à la couleur de …

 

Interviewer : Une boisson ?

 

Annette : Une boisson et pour moi, on a toujours, enfin moi j'avais toujours, chaque fois qu'il y avait un changement que ça allait être mieux peut-être. Oui voilà le fait qu'il y ait cette distribution de boissons qui était réconfortante, c'était un camp qui allait être très bien mais quand même… j’avais donc connu Drancy de l'extérieur puisque je le voyais de loin quand j'allais à Bobigny et là, c'était une construction laide c'est- à-dire qui était inachevée. Il y avait ces espèces de fenêtres qui faisaient comme des trous et nous les enfants on a été mis tout de suite au quatrième étage, enfin dans les étages à gauche du camp, carrément par terre. Je n'ai même pas souvenir de la paille mais peut-être qu'il y en avait ou on était tous entassés dans des pièces couverts de dysenterie. D'ailleurs l'arrivée des enfants, tous ces enfants dont j’étais, a été même décrite au procès Eichmann, je l'ai entendu, tellement c'était horrible dans l'état où étaient ces enfants-là, de saleté et de misère. Et je me souviens qu'on ne pouvait même pas descendre aux waters tellement qu'on était malade et que les escaliers étaient glissants d'excréments. Voilà dans quelles conditions on était. Et à partir de là, j'ai pratiquement aucun souvenir. Pourtant on est restés un moment mais j'ai dû retomber malade, ce que je sais c'est que pratiquement tous les enfants qui étaient arrivés avec moi sont partis dès le lendemain et le jour suivant et les jours suivants par convois successifs à Auschwitz où ils ont été immédiatement gazés. J’ai retrouvé leurs noms. Voyez j'ai une liste avec les noms des enfants où nous étions d'ailleurs mon frère et moi sur un convoi, le nom d'un convoi, et dans le livre le mémorial de Klarsfeld, ces enfants-là il y a leur trace « parti ». Or ce qui s'est passé pour mon frère et moi, c'est qu'on a été rayés in-extremis de la liste et que…

 

Interviewer : de la liste des convois à Auschwitz ?

 

Annette : Oui de la liste des convois ont été rayés. Je vais vous expliquer pourquoi. Mais quelqu'un est parti à ma place parce qu'il n'y a pas longtemps, j'ai rencontré un huissier à Orléans qui tenait à me voir. Il tenait à me voir. Alors bon, je … il avait entendu parler de mon livre et je me demandais qu'est ce qu'il me voulait. Mais enfin bon et il me dit : « Je voulais voir la personne qui… sur la liste… dont le nom a été rayé et ma petite soeur est partie à sa place. » Parce qu'il a réussi à avoir les listes. Il a vu mon nom rayé, enfin pas que mon nom, il y avait mon frère et moi et lui c'était sa mère et sa petite sœur… non c’était sa belle mère parce que lui est né tout de suite après la guerre, son père s'est remarié. Donc il a vu mais cette petite fille-là qui avait deux ans ou quatre ans - j'ai sa photo d'ailleurs - elle a fêté son anniversaire le jour où elle a été gazée à Auschwitz. Non, trois ans. Elle serait partie par le convoi d'après. De toute manière pour les Allemands, il fallait que le convoi soit plein donc un était rayé quelqu'un remplaçait. 

 

Interviewer : Vous arrivez à Drancy à quelle date ?

 

Annette : On a dû arriver je ne sais pas si c’est entre le 20 et 25 août 42.

 

Interviewer : Et les convois commencent tout de suite ?

 

Annette : Oui, dès le lendemain, d'enfants.

 

Interviewer : Et pourquoi votre nom a été rayé ?

 

Annette : Parce que mon père était resté dans la clandestinité donc quand il est sorti donc il s'était caché la nuit…

 

Interviewer : Donc, on est au moment où votre mère confie son mari comme son bien le plus précieux à la concierge ? D'accord donc c'est le jour avant… de votre, de la rafle du Vel d'Hiv ?

 

Annette : C'est ça, le soir.

 

Interviewer : D'accord et alors ?

 

Annette : Après la défense passive, parce que les Juifs n'avaient pas le droit de sortir le soir aussi à partir de telle heure comme ils n'avaient pas le droit de faire les courses à partir de telle heure mais ça bon c'était comme ça. Et mon père sort le matin pour aller nous retrouver et là, il voit, parce que c'était le matin du 17, il voit encore… il voit, d'ailleurs… il voit un couple de vieux, de deux personnes âgées, qui est poussé par des gendarmes. Ca lui fait peur. Il rentre pas très loin de chez la concierge. Il y avait un coiffeur. Il rentre en vitesse chez le coiffeur et il avait caché son étoile et là il y avait un Allemand et ça a été plus fort que lui, il a dit : « Mais qu'est ce qu'on va faire de ces pauvres gens, de ces pauvres vieux ? » Et l'Allemand, mon père a le souvenir de ça, a répondu Seife -- du savon. Ca, c'était en 42. Donc mon père est resté un moment-là et il n'a pas compris sur le moment et quand il a voulu retourner chez moi, enfin à la maison, il y avait la concierge à la fenêtre qui a crié : « Arrêtez- le ! C’en est un ! »

 

Interviewer : C'est la concierge soi-disant amie d'avant ?

 

Annette : Voilà. Cela dit, il avait été caché par une autre concierge. Il ne faut pas généraliser le rôle des concierges et … qui a pillé l'appartement aussitôt notre départ.

 

Interviewer : Votre père s'enfuit ?

 

Annette : Il s'enfuit. Là-dessus, il retourne chez cette Mme Fossier, la concierge qui l'avait hébergé. Mes deux frères, mes deux frères …

 

Interviewer : …qui entretemps étaient partis

 

Annette : Oui le temps qu'ils le retrouvent. Ils le retrouvent et il cherche d'abord à les cacher. Il s'est adressé partout.

 

Interviewer : Il les retrouve chez la concierge qui l'avait caché ?

 

Annette : Je crois qu'ils savaient. Ils se sont attendus réciproquement. Mais bon, ils se sont retrouvés quand même. Donc mon père, il a su mais pas plus. Il a su mais il ne savait pas où on était. Il n’a jamais su qu'on était restés six jours au Vel d'Hiv. Pour lui, on était restés que quelques heures. Et puis il ne savait pas du tout où on était. Et puis j'ai des lettres, que je disais si on a le temps on regardera, comme mon père écrivait à cette époque-là, il nous cherchait. Il a retrouvé notre trace qu'en novembre 42. Il n'a pas su… il a su, si, parce que ma mère avait réussi à glisser une lettre avant de partir. Il a donc su qu'on était dans un camp d'hébergement à Beaune la Rolande.Mais après plus de plus aucune trace. Et il a cherché d'abord à caser mes frères. Il s'est adressé à la Croix-Rouge où la responsable de la Croix-Rouge aussitôt lui a dit : «  Mais vous portez pas votre étoile ! » et elle a commencé à tâtonner vers le téléphone. Il a compris qu'elle allait le dénoncer. Donc il s'est sauvé. Il a emmené mes frères dans une colonie de vacances où on avait déjà été où le directeur de la colonie a répondu « Non, je ne prends pas d'enfants juifs. » Il a été chez la … là où ma mère voulait nous envoyer l'ancienne… où nous avons passé des vacances… qui tenait un café pour des mariniers. Elle ne pouvait pas nous garder non plus.

 

Interviewer : Et ils sont restés quand même chez elle ?

 

Annette : Non, pas du tout… il les trimballait à chaque fois dans il train. Il a erré avec eux, à la main. Il a erré jusqu'au moment où il a rencontré une religieuse et ça, ça s'est fait en une semaine à peu près, ça a perdu du temps pour ma mère, c'est ce qu'il se reproche sans arrêt, où il a rencontré une religieuse qui lui a donné une adresse. Il y a été où il a rencontré une autre religieuse. Il a frappé, il y a eu une religieuse – c’était rue du Bac à la maison mère des Soeurs de Saint-Vincent-de-Paul- elle lui a dit …il lui a dit : « Aidez-moi ! » Elle lui a dit : « Dites-moi la vérité si Dieu le veut, je vais vous aider. » Et puis à partir de là, elle a pris les choses en main. Elle a mis mes frères dans un orphelinat et bon, elle a … mes frères au moins étaient déjà casés.

 

Interviewer : Et là comment il a trouvé en fait cette adresse ? C’était par autre religieuse qu’il a rencontrée, qu’il a abordée …Comment cela s’est passé ?

 

Annette : Elle lui a dit, mais moi je ne l'ai pas su, c'est un de mes frères qui me l'a dit et il n'y a pas tellement longtemps, qui l'a vu et qui a dit : « Il semblerait que vous ayez des ennuis. »

 

Interviewer : C'est elle qui s'est adressée à lui ?

 

Annette : Oui, moi il m'avait raconté, il m'avait raconté qu'il avait rencontré une religieuse mais bon il avait dû écourter l'histoire donc il a quand même été aidé par ces religieuses. Cela dit la religieuse qui nous a aidés, qui nous a cachés, elle l'a fait d'elle-même. Ce n'était pas une décision de sa hiérarchie. Et juste pour en terminer avec elle, c'est que par la suite, bien après la guerre, elle a été en Israël où elle s'occupait d'orphelinats, d'enfants en difficulté mais aussi bien juifs que palestiniens, d'enfants israéliens. Et cette année, on lui a fait remettre la médaille des Justes..

 

Interviewer : Elle s'appelle comment ?

 

Annette : Elle s'appelait Sœur Clotilde et après, elle s'est fait appeler, quand elle était en Israël, en souvenir de nous d'ailleurs, elle s'est fait appeler Soeur Myriam. Elle est décédée et on est restés très liés avec sa famille. Enfin, très liés, on se voit de temps à autre.

 

Interviewer : Et donc elle a organisé pour vos frères… ?

 

Annette : Non, donc elle a caché mes frères mais là mon père donc lui, une fois qu'il a été tranquille du côté de mes deux frères, il s'est occupé de nous sauver nous alors il s'est adressé… il y avait à ce moment-là… il avait entendu parler que, rue de la Bienfaisance, il y avait le siège de l'Union générale des Israélites de France qui avait été créée par le gouvernement français et puis les Allemands pour soi-disant servir d'interlocuteur et aider socialement les Juifs. Et là, il a su qu'il y avait un responsable qui s'appelait Israelovitch qui était originaire de la région de Cracovie, du même… après avoir passé un certain temps à Vienne mais qui était originaire de la même région et dont une soeur de ma mère avait été domestique dans sa famille qui était très riche. Donc avec ça, il a été le voir. Cela dit, il a trouvé un jeune homme assez sûr de lui, un homme jeune plutôt, arrogant, qui a renvoyé de manière très brutale un enfant qui avait été ramassé tout seul, errant, et il avait dit : « Vous avez qu'à le reconduire au commissariat. » Mais mon père, il l'a écouté c'est-à-dire qu’il en renvoyait un et il en écoutait un autre. Tout ça, c'est très complexe les relations mais mon père a payé. Mon père avait des économies et il a payé. Il lui a donné des pièces d'or. Je ne sais pas combien, il avait quelques Louis d'or qu'il avait dû, je crois qu'il en avait une dizaine qu’il lui a donnés. Et ma foi, il s'est laissé attendrir. D'abord parce qu'ils étaient originaires du même… de la même région et parce que le fait, comme dit mon père, d'avoir la pièce d'or c'était aussi.. ça rendait que plus chères les relations.

 

Interviewer : Et qu'est ce qu'il pouvait faire ?

 

Annette : Il est intervenu auprès de la Gestapo. Il avait… le Juif avait le bras long à cette époque… avait le bras long pour une certaine période parce que cet Israëlovitch, l'année d'après, a été déporté lui-même.

 

Interviewer : Donc là, il a pu... ?

 

Annette : Il a pu … peut-être qu'il avait le bras long le temps qu'il avait la responsabilité mais ça ne faisait qu’attendre son tour.

 

Interviewer : Et il est intervenu…

 

Annette : Il est intervenu en disant quoi exactement ? Je ne sais pas.

 

Interviewer : De quelle manière ?

 

Annette : En disant … Ah oui il nous a fait passer pour fourreurs parce qu'à cette époque- là, ils avaient besoin pour l'armée allemande, de fourreurs. Alors mon frère et moi, 7 ans et 9 ans, on était censés d’être des professionnels de la fourrure. Mais pour ma mère, c'était trop tard.

 

Interviewer : Mais votre père ne le savait pas encore ?

 

Annette : Il ne savait pas mais le temps qu'on nous retrouve puisque, entre le Vel d'Hiv, Beaune-la-Rolande puis après Drancy, le temps a passé et c'est miraculeusement qu’on n'a pas été mis sur ce convoi puisque on a été rayés vraiment in-extremis. On y était déjà, le temps qu'on nous retrouve parce qu’il y a peut-être eu d'autres interventions. La preuve pour ma mère elle pouvait être sauvée. Et c'est ce que mon père se reproche et il a perdu du temps. Mais bon, c'était la période.

 

Interviewer : Donc là, on est à Drancy. Comment est-ce que vous apprenez cela ?

 

Annette : Alors on apprend, on les voit partir mais moi j'ai pas tellement le souvenir puisque je sais que mon frère, le temps a dû passer, puisque il y a eu l'école. Les plus âgés de Drancy ont refait l'école aux enfants, donc l’école, la rentrée, c'était en septembre …

 

Interviewer : C’était organisé par les enfants ?

 

Annette : Non, c’était en octobre par les jeunes, par les plus jeunes et moi j'ai le souvenir qu'on nous a appelés. C'est le brouillard pour moi. On nous a appelés et j'ai eu …et j'ai pensé… j'avais peur, j'avais toujours peur de ce qui allait arriver quand même. Et j'ai pensé que c'était pour réparer ma chaussure parce qu’ils m'en ont donné une autre puisque entre temps la chaussure, la sandalette, c'était ma préoccupation, je n'avais pas des préoccupations grandioses. Et là on nous a dit : «  Vous allez partir. » A la porte du camp, on nous a fait… on a rempli des papiers à registres, toujours tout était toujours fait dans les… d'une manière administrative. On nous a mis dans un car de police. Les deux enfants de 7 et 9 ans dans un car de police avaient 4 flics

 

Interviewer : Juste vous deux …

 

Annette : Juste nous deux. On ne savait pas où on allait. Et là dessus on a été persuadés, un soulagement extraordinaire, mon frère et moi, qu'on allait rentrer chez nous à la maison. On allait retrouver mes frères, mon père et ma mère. On en était persuadés alors on s'est mis à imaginer qu'est ce qu'on allait faire, qu'on allait se cacher la concierge, qu'on allait se cacher… demander les clés, se cacher sous la table et faire la surprise au moment du repas, apparaître soudainement. On était sûrs de ça et on parlait, on parlait dans la fièvre et moi je me suis tournée à un moment et j'ai vu les flics qui pleuraient. Ca m'a beaucoup frappée parce que des hommes avec les joues couvertes de larmes et c'est là où j'ai compris qu'on rentrait pas à la maison, qu’il allait pas nous arriver encore des choses heureuses parce qu’ils pleuraient. Ils pleuraient mais ils nous conduisaient et nous ont conduits à l'asile Lamarck qui est un centre régi par l’UGIF mais sous contrôle direct de la Gestapo, notamment les enfants qui arrivaient de Drancy. On les appelait « les enfants bloqués » c'est-à-dire qu’il y avait des appels tous les jours et qu'on était obligé de rendre compte de ces enfants-là, dont les Allemands piochaient pour remplir les trains. 

 

Interviewer : Mais pourquoi ? Pourquoi il y a eu ce passage dans… ?

 

Annette : C'était peut-être une amélioration et éventuellement une amélioration. Les conditions étaient quand même meilleures mais c'était quand même une annexe.

 

Interviewer : Il y avait beaucoup d'enfants ?

 

Annette : Il y avait beaucoup d'enfants mais il y avait deux catégories d'enfants : il y avait des enfants qui avaient été placés par leurs parents qui avaient plus de liberté de circulation et il y avait les enfants bloqués qui arrivaient de Drancy donc qui avaient été arrêtés et qui étaient considérés comme étant encore prisonniers.

 

Interviewer : Est-ce qu’à Drancy vous souffriez de faim autant que… ?

 

Annette : Oh, oui.

 

Interviewer : Il n'y avait… il y avait toujours ce problème de faim ou… ?

 

Annette : Oh oui, on était squelettiques, on était squelettiques. J’ai une photo que je vous montrerai, une photo prise à l'asile Lamarck où l'on nous voit encore mon frère et moi rasés, où l'on voit l'état de maigreur.

 

Interviewer : Donc vous arrivez à l'asile Lamarck

 

Annette : Alors l'asile Lamarck, c'est à Montmartre c'est-à-dire en plein centre de Paris. A cette époque, il y avait une animation à Paris, une certaine joie de vivre pour certains et une certaine et il y avait ce lieu où les enfants étaient dans cet état-là.

 

Interviewer : Il y avait combien d'enfants plus ou moins ?

 

Annette : Je ne sais pas, c'était bourré d'enfants, c'était bourré. Ils en arrivaient de Drancy. On rasait aussi on continuait à nous raser parce qu'il y avait des poux. Il y avait une épidémie de scarlatine, de diphtérie. C’était une ambiance un peu folle.

 

Interviewer : Est ce qu'il y avait… les conditions étaient meilleures ? Vous pouviez vous laver ?

 

Annette : Il y avait des douches.

 

Interviewer : Il y avait des douches.

 

Annette : Oui, il y avait des douches. Je m’en souviens.

 

Interviewer : Vous aviez plus de nourriture ?

 

Annette : Oui mais on nous mettait un produit, on nous mettait un produit sur la nourriture, une espèce de poudre -je n'ai jamais su ce que c'était- qui donnait un goût infect à la nourriture. Et entre nous, les enfants, on disait on fait des expériences sur nous. Faut pas manger, on fait des expériences sur nous et il nous semblait… On savait déjà qu'on faisait des expériences sur les enfants. Et puis, dans la cour de Lamarck qui donnait sur la rue, il y avait des tables et des gens qui nous jetaient de la nourriture par-dessus les tables. Je me souviens parce qu'on grattait pour enterrer la nourriture

 

Interviewer : Pour enterrer la nourriture, pourquoi ?

 

Annette : Pour pas que les autres nous la prennent.

 

Interviewer : Vous vous souvenez de l'avoir fait ?

 

Annette : Alors oui et ce que je me souviens aussi d’avoir fait, parce que les journées qu’on … on passait nos journées … parce que c'était quand même encore une période de chaleur, c'est que mon frère mettait sa tête sur moi et je lui cherchais les poux. On tuait nos poux. Et puis après c'était mon tour. On passait nos journées à tuer nos poux. Il y a eu quand même une inscription à l'école à cette époque, alors avec l'étoile jaune et la boule rasée. J'avais une peur terrible. Comme j'étais en avance, on m'avait mis dans une classe supérieure, ils avaient fait un bref interrogatoire.

 

 Interviewer : Qui avait fait ça ?

 

Annette : L'école, à l’école à côté

 

Interviewer : L'administration de l'école ? Il y avait une école à côté ? une école normale ?

 

Annette : En fait, c'était rue de Clignancourt. L'école communale et on nous avait donc mis dans cette école, les garçons d'un côté, les filles … c'était peut-être pas la même école les garçons. Et je me souviens que, dès le premier jour, avec ma boule rasée et mon étoile, ça a débuté par une leçon de gymnastique dans le préau de l'école. J'étais dans un état de saleté, sûrement pas très agréable à fréquenter et les filles se sont mises autour de moi, de l'école et ont commencé à se moquer en me traitant « la sale juive », « la boule rasée » ou « la pouilleuse ». J'ai tellement été désespérée à ce moment-là que, comble de malchance, j'ai fait pipi sur moi. Bien sûr, ça a redoublé les moqueries. Je pouvais… de peur, de terreur, voilà, j'ai fait ça et à ce moment-là la maîtresse est arrivée – et c'est pour ça que je vous dis ceux qui ont a eu un geste, je m'en souviens et je me souviens de tous les gestes à mon égard - et elle m'a prise dans ses bras et elle m'a bercée, elle m'a consolée. Ca, je ne l'ai jamais revue mais je m'en souviendrai toute ma vie.

 

Interviewer : Et puis vous êtes retournée dans cette école ?

 

Annette : Jamais, non.

 

Interviewer : Vous aviez 10 ans ?

 

Annette : J'avais 9 ans.

 

Interviewer : Oui et on est au mois de septembre ou octobre ?

 

Annette : Novembre déjà novembre. On était en retard. Au moins de novembre. Fin novembre puisque, peu de temps après, on est partis de l’asile Lamarck.

 

Interviewer : Et votre frère était là aussi ? dans cette école

 

Annette : Oui … Non non non, il était dans une école de garçons.

 

Interviewer : L'école de garçons donc il n'y a qu'un seul jour que vous y êtes allée ?

 

Annette : Je crois, oui.

 

Interviewer : Donc il y avait quand même un passage, on pouvait sortir du camp ?

 

Annette : On nous a mis à l'école, je ne comprends pas pourquoi.

 

Interviewer : On aurait pu… on aurait pu s'enfuir si… ?

 

Annette : Oh non, on était surveillés et accompagnés parce que on était « enfants bloqués ». Donc on n'était pas lâchés.

 

Interviewer : Combien de temps vous restez au camp … ?

Annette : Al’asile ? Je ne sais pas, je sais pas quand je suis arrivée ni quand… je sais que j'en suis partie fin novembre cherchée par la religieuse et la concierge qui avait caché mon père.

 

Interviewer : Est-ce que vous pouvez raconter ce séjour-là, si vous vous sentiez bien ?

 

Annette : Elles sont venues nous chercher. La religieuse, elle avait son espèce de grande cornette.

 

Interviewer : On vous a appelés d'abord ?

 

Annette : Oui. On était dans une sorte de parloir. Elle a dû prendre des garanties. Elle a dû signer une garantie, une décharge je crois. Il fallait tout un tas de formalités administratives. Peut-être elle a dit qu'elle allait nous garder que quelque temps ou … je ne sais pas du tout. Je ne sais pas.

 

Interviewer : Vous vous souvenez de la première fois quand vous l'avez vue ?

 

Annette : ,Bah oui voilà. Mais elle nous a amensé tout de suite rue du Bac.

 

Interviewer : Et la concierge, vous la connaissiez déjà ?

 

Annette : Oui, enfin je la connaissais mais bon elle est partie tout de suite elle. Mais cette religieuse nous a emmenés où là nous avons retrouvé mes frères et où ça a été des embrassades, des larmes. On était tellement… j'ai cru que j'avais revu mon père à ce moment-là. Mais non, je me suis trompée. Je n'ai pas revu mon père à ce moment-là.

 

Interviewer : C'était les deux grands frères. Et vous ne vous étiez pas vus donc depuis… ?

 

Annette : Depuis le 16 juillet. Ouais ouais. Et là, on a été tout de suite conduits dans un orphelinat à Neuilly-sur-Seine. Où les garçons étaient à part, on a été séparés tout de suite. On s'est retrouvés le premier soir, à la cave, parce qu'il y avait un bombardement et c'est là que j'ai vu la tête rasée de mon frère. J'ai un souvenir très précis. Il venait d'arriver et il y avait un garçon plus âgé qui lui donnait des coups, toujours dans la cave, en disant « boule rasée, boule rasée ». Il se moquait de lui et ce n'était que le premier jour. Par la suite, mon frère a été en mesure de se défendre parce qu'il avait beaucoup de charme. Mais là, le premier jour, les enfants sont cruels et je me souviens que je pleurais silencieusement de voir que mon petit frère était maltraité.

 

Interviewer : Vous restez dans cet orphelinat ? 

 

Annette : Je suis restée dans cet orphelinat trois ans mais on a été évacués de l'orphelinat… on n’était pas nombreux, on était 18 … on a été… en fait la Kommandantur était à côté de l'orphelinat. On était dans un lieu très dangereux mais peut-être que le fait d'être si près… en fait, cet orphelinat, c'était le Préfet de Police qui était directement protecteur de l'orphelinat, qui a été d'ailleurs tué. On a même été à ses obsèques au cours d'un attentat, Chiappe. On était vraiment dans la gueule du loup. Mais peut-être le fait d'être dans la gueule du loup ça… Alors, ce qui s'est passé c'est que…

 

Interviewer : 18 enfants avec vos 3 frères ?

 

Annette : Non, les filles. Non, non, les garçons de l’autre côté. On était complètement séparés. On se voyait à la messe parce que mes frères étaient enfants de chœur donc je les voyais à la messe. 

 

Interviewer : Donc à l'époque on vous a dit qu'il ne faut pas dire que vous étiez juive ?

 

Annette : Oui alors le fait que j'étais boule rasée, on m'a dit de dire que j'avais une maladie et puis que ça passait comme ça, il y avait certaines maladies qu'on était obligé de raser les cheveux et puis de jamais dire que j'étais juive. Donc à partir de ça… j'ai jamais dit que j'étais juive. 

 

Interviewer : Et donc vous êtes évacués ?

 

Annette : On a donc été évacués dans un couvent en Auvergne mais c'est où on était chargés de faire le travail pour payer notre écot, on passait les matinées, c’était un couvent d'enfants de paysans d'Auvergne qui étaient très nombreux, je ne sais pas s'il n'y avait pas 500 ou 600 personnes là-dedans. Donc le matin, on faisait l’épluche pour nourrir tout le couvent et l'après-midi on faisait de la couture. On faisait des trousseaux, les trousseaux pour les jeunes filles du pays et puis qui étaient monnayés comme ça, on travaillait toute la journée.

 

Interviewer : Est ce que vous alliez à l'école ?

 

Annette : Non, je n'ai pas été à l'école pratiquement pendant la durée de la guerre.

 

Interviewer : Et vous y restez trois ans ?

 

Annette : Oui.

 

Interviewer : Est-ce que pendant ce temps-là vous vous voyez régulièrement vos frères?

 

Annette : Non, parce que quand on a été dans un couvent, ils ont été évacués dans un autre endroit. Ils ont été évacués dans la Seine-et-Marne. On se voyait très rarement. Mon père a réussi à venir me voir une fois.

 

 

Interviewer : Est ce que comme peut-être il serait important de voir quelques documents que vous avez apportés, quelques photos ? Peut-être qu'on peut rapidement en cinq minutes, ce qui n'est pas assez, mais terminer avec cette période justement de l'orphelinat et peut-être ce que vous pouvez en quelques mots dire ce qui se passe chronologiquement après et jusqu'à la fin de la guerre et comment vous retrouvez votre père ?

 

Annette : Oui, alors à l'orphelinat, faut dire que nous avons été baptisés. J'ai fait ma communion privée et solennelle. J'étais profondément devenue chrétienne catholique. Mes frères, pareil. On retrouve mon père après la guerre et on l'appelle… moi, je me souviens qu'on le vouvoyait, on n'était plus capables de lui dire tu. Et la première chose qu'on lui dit, un de mes frères et moi, mon frère lui dit « Moi, je veux être curé » et moi je lui ai dit : « Je veux être religieuse. » Bon après, il réussit à nous sortir, après la guerre et nous sommes mis dans une maison d'enfants pour enfants déportés.

 

Interviewer : Vous dites, il réussit à nous sortir ? Pourquoi « réussit à nous sortir » ? c'était difficile ? C'était quand même votre père, est-ce qu’il n’avait pas le droit de vous sortir ?

 

Annette : Moi, je ne voulais pas partir. Je voulais rester chez les religieuses.

 

Interviewer : Le fait d'avoir réussi c’était contre vous... ?

 

Annette : Oui et non. C'est-à-dire, oui, il y avait plus de vie. Moi, j'étais persuadée de retrouver ma mère après la guerre. D'ailleurs, j'étais encore chez les sœurs, il me prenait par la main et on allait attendre ma mère à l'hôtel Lutetia, pratiquement tous les jours.

 

Interviewer : Vous étiez heureuse chez les sœurs ?

 

Annette : J’étais heureuse dans le sens où j’étais croyante, j’étais devenue croyante donc pour moi… les malheurs que l’on pouvait avoir chez les sœurs, par exemple on mangeait très mal, on n’avait pas le droit de jouer, il y avait une espèce de cagibi à jouets donnés par les gens riches de Neuilly-sur-Seine mais c’était fermé à clef, on n’avait pas le droit de jouer, mais tous les enfants parce qu’on nous disait « Vous aurez le droit de jouer quand la guerre sera finie. » Donc, on travaillait mais c’était le sort de tout le monde.

 

Interviewer : La Sœur Clothilde, vous la revoyiez ?

 

Annette : De temps en temps, par exemple pour le baptême, pour la communion, voilà mais on la voyait rarement.

 

Interviewer : Vous avez le souvenir de sœurs qui étaient gentilles, qui étaient affectueuses ou pas du tout ?

 

Annette : Oui, il y a eu des problèmes mais des problèmes … moi, je ne me sentais pas orpheline. Il y avait les orphelins mais je savais que j’avais un père et une mère. Pour moi, ma mère, j’étais persuadée de la revoir. Que il y avait, pour les autres filles qui étaient présentes là, une mentalité d’orphelines. C’est-à-dire qu’on leur disait, les sœurs leur disaient : « Vous êtes des orphelines, personne ne s’intéresse à vous. Vous avez la chance d’exister que vous mangez ou que vous ne mangez pas » parce qu’on mangeait tellement mal – on triait des haricots, les noirs, c’était pour nous, les blancs, c’était pour les religieuses. C’était comme ça que ça se passait. Par exemple, j’ai pas le souvenir d’avoir … j’ai pris un seul bain en 3 ans parce que le problème du corps, c’était sale, fallait pas se laver, fallait juste se nettoyer un peu la figure.

 

Interviewer : Est-ce que quelqu’un d’autre savait que vous étiez juive ?

 

Annette : Non, euh, la Sœur Clothilde et peut-être la Supérieure.

 

Interviewer : Et donc la guerre se termine et qu’est-ce qui se passe ? Comment votre père vous fait sortir ?

 

Annette : Oui, donc on va dans cette maison d’enfants, de déportés, d’enfants de déportés où on se retrouve, c’était au Mans, c’était régi par l’O.S.E. (l’œuvre de secours aux enfants). Alors là, il s’est passé quand même quelque chose : les enfants qui avaient vécu toutes sortes de vie cachée par des paysans ou mis dans des orphelinats, on n’a pas supporté la discipline au départ. D’un coup, on ne supportait plus qu’on nous dise « Vous devez agir ainsi ». Certains moniteurs mettaient des calicots « Vive la vie ! Vive la joie ! ». On ne croyait plus en tout ça. On était devenus très cyniques. On ne croyait pas à toutes ces choses-là. On était devenus très durs, les enfants. Moi, à cette époque, j’étais privée de repas presque tous les soirs pour mon… j’ai fait 3-4 fugues. Il y avait un ébranlement de tout. Et puis, il y avait quelque chose, c’était… la maison d’enfants était sous contrôle…aidée par les Américains, c’était directement les Américains qui soutenaient et qui aidaient et les Américains venaient – il y avait beaucoup de soldats qui étaient au Mans – ils venaient pour choisir des enfants. Ils nous invitaient à manger d’ailleurs, certains, pour choisir des enfants, pour les adopter puisque c’était des orphelins. Les enfants n’attendaient pratiquement plus que leurs parents reviennent et ils choisissaient … on nous mettait en rangs et ils choisissaient les plus beaux. C’était de nouveau une mesure humiliante c’est-à-dire que celui qui n’était pas beau, qui plaisait pas, il était de nouveau exclu. Il y avait de nouveau cette espèce de sélection, de marché.

 

Interviewer : Vous y êtes seule ou vous êtes avec vos frères ?

 

Annette : Je suis d’abord avec mes 3 frères mais vu leur comportement indiscipliné, ils sont renvoyés les uns après les autres.

 

Interviewer : Et vous restez seule ?

 

Annette : Et je reste seule. Mon petit frère est mis dans une autre maison d’enfants pour les enfants difficiles. Mon frère, un de mes frères, qui est un très brave… un garçon formidable mais qui était un enfant difficile, a été carrément renvoyé et puis mon frère aîné, au bout de quelque temps, lui aussi a été renvoyé.

 

Interviewer : Et votre père ?

 

Annette : Mon père est à Paris. Il a réussi à récupérer son appartement mais avec de très grandes difficultés. Il a mis des mois, accueilli avec un fusil parce que, à sa place, on a mis un policier qui ne voulait pas quitter les lieux. Et d’ailleurs, il y a eu des problèmes graves à la Libération, c’est que les Juifs partis, les appartements ont été remis à des gens qui n’ont pas voulu partir à l’arrivée, au retour des Juifs et il y a eu des manifestations de comités de locataires qui s’appelaient je ne sais plus comment… les locataires spoliés par les Juifs.

 

Interviewer : Et c’était donc aussi exactement ce qui est arrivé à votre famille dans le sens où c’était difficile de récupérer l’appartement ?

 

Annette : C’est-à-dire que les gens qui se sont installés, les Français installés, bon pour mon père c’était un policier, refusaient de leur rendre.

 

Interviewer : Et donc, vous avez mentionné tout à l’heure d’aller avec la Sœur Clothilde à l’hôtel Lutetia. Est-ce que vous pouvez dire quelques mots là-dessus ?

 

Annette : Non, c’est avec mon père que j’allais à l’hôtel Lutetia. Alors là, j’étais retournée à l’école après, quand on est revenus, c’était une école libre, une école catholique privée et je me souviens que j’avais toujours la Croix d’honneur. Et à cette époque-là, on nous mettait une sorte d’écharpe quand on avait la Croix d’honneur. Et mon père tenait à ce que j’aille attendre ma mère avec la Croix d’honneur et l’écharpe pour qu’elle ait cette surprise de trouver sa petite fille bonne élève. Mais tous les jours on attendait et évidemment, elle n’est jamais revenue.

 

Interviewer : Quand est-ce que vous avez su que… ?

 

Annette : Moi, j’ai toujours espéré qu’elle revienne. A un moment donné, je me suis même dit « C’est parce qu’elle ne veut pas revenir parce que j’ai fait quelque chose. » Toujours j’avais ce sentiment qu’elle ne voulait pas revenir, que je n’avais pas été une bonne fille. Enfin voilà. Mais, j’ai espéré. Moi, j’ai commencé à comprendre qu’elle ne reviendrait pas mais j’étais adolescente déjà pratiquement.

 

Interviewer : Puisque l’on doit terminer et on va voir encore les documents, juste est-ce que vous pouvez dire ce que votre vie est devenue ensuite ? A la fin de la guerre, vous avez 11 ans, et donc qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?

 

Annette : J’ai eu donc une interruption de ma scolarité. Je suis retournée vers 16 ans avec mon père mais c’était plus pareil. Mon père, il ne s’est pas remarié mais il s’est remis avec une femme dont le mari avait été, très gentille d’ailleurs, une amie d’enfance, dont le mari était mort en déportation. J’ai pas voulu continuer le lycée. J’ai laissé tomber, j’ai abandonné, j’ai fait un peu une école de puériculture que j’ai laissée tomber enfin aussi. J’ai fait différents métiers, je me suis mariée très jeune…

 

Interviewer : A quel âge ?

 

Annette : J’ai connu mon mari à 17 ans. Je me suis mariée à 18 ans. J’ai eu mes fils, j’avais 18 et 19 ans. J’avais envie d’avoir ma propre famille. J’étais partie de chez moi. Chacun de mes frères était parti dans des conditions de violentes … on ne supportait plus du tout la vie familiale, la discipline familiale. Et puis, j’ai, après, j’ai commencé au bout… quand mes enfants ont été un peu élevés, à vouloir reprendre … j’ai travaillé à domicile, j’ai fait des gants en cuir, de la couture, un peu de tout et puis j’ai commencé à reprendre des études. J’ai commencé à reprendre des études. J’ai passé une sorte de Bac à près de 40 ans et puis, j’ai poursuivi des études jusqu’à peu près la Licence. Une fois que j’étais fonctionnaire, je suis devenue attachée territoriale et j’ai eu la responsabilité de toute la formation professionnelle du personnel communal…

 

Interviewer : Dans la ville où vous habitez ?

 

Annette : Oui.

 

Interviewer : Et vous avez donc quitté votre … vous êtes partie à la retraite, il y a quelques mois ?

 

Annette : Je suis partie à la retraite début avril.

 

Interviewer : Et vous étiez responsable de la formation pour …

 

Annette : De la formation professionnelle. Pas seulement de la formation professionnelle du personnel, aussi du placement des jeunes des écoles dans des stages d’entreprise.

 

Interviewer : Vous voyiez vos frères … je veux dire, au début, tout le monde est parti dans de mauvaises conditions, est-ce que vous vous voyiez ?

 

Annette : On s’entend très bien. On ne se voit pas beaucoup. On se téléphone.

 

Interviewer : Excusez-moi, pas maintenant, avant dans les premières années… 10 ans après la guerre ?

 

Annette : Non, on se voit pas, on se voit peu. Après la guerre, quand je suis revenue chez mon père, avec mes frères, il y a eu une mauvaise entente. On s’entendait pas.

 

Interviewer : Et donc, maintenant, vous vous voyez peu

 

Annette : On se voit peu mais il y a, aussi bien avec mon père qu’avec mes frères, il y a un grand appui mutuel familial.

 

Interviewer : D’accord.

 

Annette : On sait qu’on compte énormément les uns pour les autres.

 

Interviewer : Vous avez deux fils, est-ce que… comment est-ce que votre vie familiale avec votre propre famille… est-ce que vous avez l’impression que d’une certaine manière ils ont payé pour ce que vous avez vécu en tant qu’enfant ?

 

Annette : Oui, tout à fait. J’ai un fils, le fils aîné, qui refuse totalement – peut-être qu’il commence à évoluer un petit peu – il refuse totalement tout ce qui est identité juive. On sent que c’est quelque chose qu’il assume pas du tout, enfin j’ai dit il commence … il s’est marié d’ailleurs avec une catholique qui est peut-être plus large d’esprit que lui mais peut-être que, il évolue quand même un peu. Et j’ai un autre fils qui a des problèmes psychologiques graves qui est hanté par Auschwitz, et d’ailleurs il a fait des études d’histoire. Il est très, très concerné par tout ça.

 

Interviewer : Donc d’une certaine manière pour vous, ça a toujours continué ?

 

Annette : Moi-même, je pense que je n’ai pas eu une attitude équilibrée à leur égard et ils ont dû le sentir.

 

Commentaires des photos. Fin de la transcription 11’38

Interview conducted in Paris on June 8, 1995 by Norbert Lipszyc.

Credits : USC Shoah Foundation Institute Visual History Archive

Oral History | VHA Interview Code: 3336

Mention légale : Ce document est une transcription quasi-verbatim réalisée par Beverlye Gédeon (UPENN ’21) et Mélanie Péron. Il ne peut en aucun cas être considéré comme source primaire.  L’exactitude de la transcription n’a pas été officiellement vérifiée.

 

Interview de Michel Muller à Paris le 8 juin 1995. 

Réalisée le 8 juin 1995 par Norbert Lipszyc.

 

Interviewer : Je réalise l’interview de Michel Muller le 8 juin 1995 à Paris dans le 20ème arrondissement 

 

Michel : Michel Muller, ben je vais répondre à l’interview de…

 

Voix off : Et ça roule. 

 

Michel : Ca tourne ? Je m’appelle Michel Muller. M U 2 L E R. Je suis né le 26 janvier 1935 à Paris et j’habite Paris dans le 20ème arrondissement. 

 

Interviewer : Mr Muller, vous aviez donc quatre ans quand la guerre a éclaté. Quelle était la composition de votre famille à cette époque ? 

 

Michel : Et bien donc, il y avait donc mon père, ma mère et quatre enfants, c’est- à-dire j’ai deux frères, une soeur et moi-même. 

 

Interviewer : Et vous êtes le plus jeune, le plus petit ?

 

Michel: Le plus petit. Le plus jeune. 

 

Interviewer : Que faisaient vos parents ? 

 

Michel: Mes parents, ils étaient ouvriers tailleurs à domicile, c’est-à-dire qu’ils travaillaient comme… on appelait ça façonniers pour des maisons qui étaient dans Paris et aussi, ils avaient la machine à coudre dans l’appartement. 

 

Interviewer : Vous habitiez-où ? 

 

Michel : On habitait à Ménilmontant, c’est-à-dire pratiquement à 500 mètres d’où j’habite maintenant. A Ménilmontant aussi on habitait dans le 20ème arrondissement.

 

Interviewer : C’était un quartier juif à l’époque ?

 

Michel : Oui, on appelait ça d’ailleurs, dans le bas de Ménilmontant, Ménilmontant-Belleville, on appelait ça « le petit pletzl », parce que rapport à la rue des Rosiers qui était « le grand pletzl » qui était effectivement un quartier juif mais surtout un quartier ouvrier.  

 

Interviewer : Et vous alliez à l’école, déjà ? 

 

Michel: Ah oui oui, jallais à l’école. Ah oui. Je suis à l’école très tôt parce que c’était petit à la maison alors on nous mettait à l’école à partir de deux ans et demi.

 

Interviewer : A quelle école alliez-vous ? 

 

Michel: J’allais dans une école près de la maison qui était rue Olivier- Metra. C’état une école qui existe toujours, pas loin d’ici. Et donc, je suis très fier. C’était une très très bonne école. 

 

Interviewer :Vos parents, en dehors du travail, avaient-ils d’autres activités en particulier au niveau syndical ou au niveau de la communauté juive ou d’autres activités ?

 

Michel: Oui, mon père. Ma mère pas tellement parce qu’elle avait moins le temps bien sûr. Mais mon père, il fréquentait d’autres ouvriers juifs immigrés polonais. Et dans un syndicat qui s’appelait d’ailleurs je crois que c’était déjà la M.O.I. au sein de la M.O.I. Et puis, il y avait des copains qui venaient souvent à la maison, des copains de mon père. Il y avait beaucoup de monde à la maison. Ils avaient une vie sociale assez intense. 

 

Interviewer : Et vos frères et sœurs allaient à l’école? 

 

Michel: Oui, oui, aussi. 

Interviewer : Au moment de la déclaration de guerre, est-ce que vous avez ressenti une atmosphère différente à la maison, est-ce que vous vous souvenez si ça a marqué quelque chose ou si ça a changé quelque chose dans votre mode de vie ?

 

Michel: Ca a changé d’abord. Ben le fait que l’on soit partis comme tout le monde, d’ailleurs en exode. J’ai des souvenirs comme ça en flash d’avoir pris le train à la gare Montparnasse, il y avait beaucoup de monde. Et on est allés dans la Sarthe. 

 

Interviewer : On c’est-à-dire toute la famille ? 

 

Michel: Mon père, il faisait des allers et retours. Et on s’est retrouvé en tout cas pendant quelque temps ma mère, mes deux frères, ma soeur et moi. C’était bien parce qu’on habitait dans une espèce de demeure, presque comme un château et ma mère y faisait des ménages.

 

Interviewer : Vous savez, ça … C’était simplement la demeure de quelqu’un ou bien c’était euh …? Comment avez-vous abouti là-bas, le savez-vous? 

 

Michel: Ca, j’avoue que je ne sais pas trop. Je  me rappelle que je vivais dans une seule pièce, une grande pièce, qui avait un très bel escalier qui menait à la demeure. Et puis je sais que …. Ca a pas duré longtemps d’ailleurs. On est rentrés assez vite à Paris. 

 

Interviewer : Assez vite, c’est-à-dire vous vous souvenez des dates ou vous ne savez pas les dates ?

 

Michel: Non, ça a été probablement… On est partis comme tout le monde donc cela devait être en juin 40, et puis on est revenus, je me souviens pas de quand on est revenus mais en tout cas, on était-là pour la rentrée des classes. C’est-à- dire à l’époque, c’était le premier octobre. 

 

Interviewer : Donc vous étiez à Paris pour le premier octobre 1940. Est-ce que vous avez ressenti l’0ccupation allemande tout de suite à ce moment-là ?

 

Michel : Non, pas du tout.

 

Interviewer : Est-ce que vous voyiez des soldats dans le quartier où vous habitiez ? 

 

Michel: Non, non pas tellement. A Ménilmontant, non. Il devait y en avoir probablement à la Porte des Lilas, parce qu’il y avait les casernes. Mais je n’ai pas le souvenir vraiment d’avoir vu beaucoup d’Allemands dans le quartier. 

 

Interviewer : Et avez-vous commencé à ressentir un sentiment de danger à la maison? Ou est-ce que c’était pour vous enfant un …? 

 

Michel: Non, non il n’y avait pas ce sentiment. 

 

Interviewer : Vie normale quoi ?

Michel: Ah oui, oui ! Nos parents nous préservaient beaucoup, je crois. On était un petit peu comme ça, comme dans un cocon. A vrai dire, on sortait beaucoup. On avait beaucoup de copains, il n’y avait pas cette atmosphère. On ressentait pas cette atmosphère d’inquiétude à cette époque-là. 

 

Interviewer : Et à l’école ? Pour vous et vos frères et soeur, il n’y a pas eu d’incidents antisémites qui ont commencé? 

 

Michel: Pas à ce moment-là du tout. Non, non au contraire. Et puis on était plutôt bien vus à l’école y compris par les copains et puis par les … parce qu’on était de très très bons élèves, tous les trois surtout. Ma soeur aussi mais surtout  mes frères et moi. On était très connus dans cette école, très populaires. 

 

Interviewer :Au moment de la publication du statut sur les Juifs, votre père est-il allé se déclarer au commissariat ? 

 

Michel: Oui. 

 

Interviewer : Et est-ce que cela a mené au port de l’étoile jaune ? 

 

Michel: Oui, oui mais l’étoile jaune, c’est beaucoup plus tard. 

 

Interviewer : Alors vous avez vous-même porté l’étoile jaune ? 

 

Michel: Oui. Alors on est allés effectivement, comme on disait « la toucher », au commissariat près de la Mairie du 20ème. Et puis,  il fallait d’ailleurs la payer, c’est-à-dire qu’on donnait des tickets-textile. Et puis ma mère, mon père, je pense, nous les a cousues proprement comme ils étaient dans le métier. J’ai le souvenir, on en parlait justement avec mes frères et ma sœur, le premier dimanche avec l’étoile jaune, on est sortis en habits du dimanche, dans la rue. Et on n’était pas les seuls d’ailleurs, puisqu’il y avait pas mal de Juifs dans le quartier. Et on a fait tout le tour du quartier, et ma mère, je me rappelle, nous disait: “Tenez-vous droits.” Il fallait être fiers de porter cette étoile.  Mais enfin bon, on ne savait pas ce que ça allait donner par la suite…

 

Interviewer : On a pas parlé de vos parents. Vous pouvez nous parler de qui était votre père, d’ou il venait et votre mère également ?

 

Michel: Ils venaient tous les deux de Pologne, de Galicie. La Galicie, c’est le Sud de la Pologne, c’est la région de Cracovie. Ils s’étaient connus là-bas dans une petite ville qui s’appelait Tarnow. Ma mère était d’un village près de cette ville et mon père d’un autre village près de cette ville également. Et puis bon, ils se sont connus, et puis ils étaient très jeunes. Comme beaucoup ils ont émigré en France. Donc en 1930. 

 

Interviewer : Comment s’appelait votre père ?

 

Michel: Manek

 

Interviewer : Votre mère ? 

Michel: Elle s’appelait Rachel.

 

Interviewer : Nom de jeune fille ?

 

Michel: Weiser. Il reste un Weiser qui était le frère…. enfin il est mort mais il y a son fils, mon cousin germain, qui vit d’ailleurs à New-York. Il est américain comme moi je suis français. 

 

Interviewer : Ils n’étaient pas encore français donc au moment de la guerre ?

 

Michel: Non, non. 

 

Interviewer : Mais vous, vos frères et soeur étaient donc polonais ou français? 

 

Michel: Français. Je sais que nos parents nous ont déclarés à la mairie, on appelait cela le juge de paix. Comme français. Je crois avoir vu sur le document d’ailleurs en décembre 1935. 

 

Interviewer : Vous alliez donc à l’école avec l’étoile jaune. 

 

Michel: A ce moment-là, oui.

 

Interviewer :Et est-ce qu’à ce moment-là vous avez commencé... la famille, est-ce que vous avez des souvenirs d’avoir ressenti des difficultés par exemple d’approvisionnement ou dans les relations avec les autres ?

Michel: Oui, oui. On avait par exemple, moi, j’ai le souvenir… on aimait beaucoup lire et on avait une bibliothèque dans le quartier qui existe toujours d’ailleurs. C’était une très jolie bibliothèque enfantine et c’était… au moins une fois par semaine, on allait à cette bibliothèque. Et là c’était à partir de… et peut-être même un peu avant l’étoile, c’était interdit. Il y avait un square qui longeait cette bibliothèque, parce qu’il y avait tout un groupe scolaire avec la bibliothèque et ce grand square et on lisait là... et on avait plus le droit. Ca m’avait beaucoup frappé parce qu’on avait plus le droit de s’y asseoir. On avait le droit de traverser le square mais pas d’y stationner. C’est une des choses qui m’a beaucoup frappé. On avait des horaires pour faires les courses. Pour prendre … dans le métro, il fallait … mais on prenait pas beaucoup le métro… enfin quand même, quand ma mère allait livrer c’était à la République alors quand il ne faisait pas très beau, on y allait en métro. Je l’accompagnais quelquefois et il fallait prendre le dernier wagon.

 

Interviewer : Mais sur le plan de travail, ils ont pu continuer à travailler ? 

 

Michel: Non, il y avait des difficultés. D’abord il y a eu du … bon on appelait cela le chômage. Je sais que mon père à un moment, je ne me rappelle plus très bien à quelle époque c’était, c’était peut-être un peu avant…. Aussi à ce moment-là, il a travaillé comme bûcheron parce qu’il n’y avait plus de travail et il a travaillé comme bûcheron dans une propriété en grande banlieue, je crois du côté de Chantilly, dans une propriété qui avait appartenu, qui appartenait aux Rothschild.

 

Interviewer :Donc rien de particulier ne vous laissait prévoir les évènements qui allaient suivre ? 

 

Michel: Si un peu quand même parce qu’ils avaient eu des nouvelles de Pologne. A cette époque-là, j’ai le souvenir, il y a un jour où ils étaient en larmes tous les deux, on n’a pas compris. Alors on est sortis. Ils nous ont fait sortir de la maison. Ils avaient des nouvelles - ça je l’ai appris par la suite - que toute la famille avait été fusillée là-bas en Pologne. Ca c’était effectivement, je ne sais plus, en 41-42 mais j’en ai un souvenir assez précis. Je nous revois assis dans la rue en train de se demander ce qui se passait. C’était cette nouvelle qui les avait bouleversés. On sentait quand même une atmosphère un peu d’inquiétude. 

 

Interviewer : Est-arrivée à ce moment-là la rafle du Vel D’Hiv ? 

 

Michel: Oui

 

Interviewer : Comment ca s’est passé pour votre famille? 

 

Michel: Ben la rumeur avait commencé déjà depuis deux-trois jours qu’il allait y avoir de nouveau une rafle. Il y avait déjà eu une rafle l’année précédente en 41 et là ils avaient arrêté surtout dans le XIème et dans le XXème. C’était les deux arrondissements où il y avait pas mal de Juifs. Mais ils avaient arrêté que des hommes adultes qui avaient été donc internés à Drancy. Et déjà à Drancy, nous on avait un de mes oncles, qui est venu aussi en France, un des frères de mon père qui avait une fiancée, qui habitait Bobigny. Bobigny près de Drancy. Et quand on allait… les parents de cette jeune femme avaient un petit pavillon, alors on y allait de temps en temps. C’était la sortie du dimanche. On voyait ces tours de Drancy, et là, on savait qu’il y avait des Juifs. Et c’était ces tours grises. C’était un petit peu, pour nous, inquiétant. Et donc la rumeur a circulé en disant qu’il allait y avoir une nouvelle rafle. Le directeur de l’école où nous allions habitait juste à côté de chez nous. Et la veille, il est venu prévenir. Il avait dû savoir cela par le commissariat parce que c’était quand même le directeur de l’école et il est venu dire à mon père : « Il va y avoir une rafle demain. Cachez-vous! » Donc il s’est caché. 

 

Interviewer : Votre père ?

 

Michel : Oui. Et on n’imaginait pas une seconde qu’on allait arrêter les femmes et les enfants. Et là-dessus donc le 16 juillet, il devait être 6 heures du matin, ils sont venus. Ca a tapé beaucoup à la porte. Il y avait deux flics. 

 

Interviewer : Donc des gendarmes … des policiers français ?

 

Michel: Oui, oui. 

 

Interviewer : Donc ils sont venus, ils ont frappé chez vous ? 

 

Michel: Et puis chez d’autres voisins. On était deux familles, deux ou trois, je ne sais plus, familles juives dans cet immeuble. Et voilà, ils sont venus nous arrêter en disant « Préparez vos affaires ! »

 

Interviewer : Donc votre mère vous a habillés, préparés. Qu’est-ce qu’elle a préparé pour emmener avec vous ? 

 

Michel: Je me rappelle qu’il y avait des baluchons. Tout ça était entassé comme ça. Elle a essayé de discuter avec les flics mais il n’y a rien eu à faire. Elle s’est même assez humiliée. 

 

Interviewer : Vous vous rappelez comment s’est passé ce transfert de chez vous jusqu’au Vel D’Hiv ?

 

Michel: Oui, il y a deux souvenirs que j’ai. Je revois ces baluchons. La tête des flics, ça je ne pourrais pas vous le dire. On est sortis donc dans la rue et il y avait d’autres familles. Là, il y avait des flics en uniforme parce que les deux qu’il y avait, dans mon souvenir, je ne les vois pas en uniforme. Mais enfin bon, c’était plutôt du style inspecteurs. Et là, on s’est retrouvés avec d’autres familles qu’on connaissait d’ailleurs dans la rue. Et là on est allés à pieds dans un centre de tri, parce qu’il y avait un centre de tri par quartier, qui était dans le quartier donc qui était 300-400 mètres de la maison. Et on est passés un moment devant la boulangerie, ça j’en ai un souvenir très précis -là où j’allais chercher le pain, j’achetais toujours deux sous de roudoudous avec monnaie et la boulangère a applaudi sur notre passage. Alors je ne sais pas si c’est nous qu’elle a applaudis ou si c’est les flics. Et ça m’avait beaucoup frappé ça. Et on s’est retrouvés dans ce centre de tri, il y avait beaucoup d’autres familles du quartier. Ca hurlait déjà. C’était une énorme pagaille. 

 

Interviewer : Vous vous souvenez si les flics étaient armés. 

 

Michel: Non, je pense pas. Ils n’avaient pas besoin de ça. Non, non. Il n’y a pas eu d’ailleurs de brutalité. Ce qu’il y avait c’était que ça hurlait. Mélangez tout ça avec l’accent yiddish bien sûr, les femmes, il y avait beaucoup de femmes et d’enfants puisque beaucoup d’hommes s’étaient cachés. Et puis là ils commençaient à trier entre les gens qui étaient déportables enfin… arrêtables et ceux qui n’étaient pas. Ce qui est arrivé à des copains. Leur père était prisonnier de guerre. Donc, ils n’étaient pas arrêtables tout de suite. Il y avait toute une classification. C’est comme ça que mes deux frères, ils ont réussi à se sauver. Ma mère leur a dit « Sauvez-vous ! » d’abord parce qu’ils étaient plus âgés et parce qu’il y avait une dame, une voisine, dont le mari était prisonnier et donc elle a pu sortir. Et les flics… du coup elle a emmené mes deux frères aussi. Les flics les ont laissés sortir. 

 

Interviewer : Elle a fait comme si ces frères étaient ses fils ?

 

Michel: Oui, oui, c’est ça. 

 

Interviewer : Il n’y a pas eu de vérification. 

 

Michel: Non, mais c’était très très très … mais vraiment beaucoup de pagaille. 

 

Interviewer : Et à partir de ce centre de tri

 

Michel : On nous a emmenés en autobus. On a traversé tout Paris jusqu’au Vel D’Hiv donc qui était complètement à l’opposé dans le XVème. Il fallait traverser tout Paris. 

 

Interviewer : Vous avez un souvenir de cette traversée en autobus? 

 

Michel : Il y a une chose dont je me souviens très bien, c’est la Tour Eiffel. Le Vel D’Hiv, c’était vraiment très près de la Tour Eiffel. Et ça m’avait beaucoup frappé parce que la Tour Eiffel, on la voyait du haut de Ménilmontant. C’est pratiquement le point le plus haut de Paris enfin Télégraphe qui est pas loin mais en haut de Ménilmontant, on découvre tout Paris. Et moi ça me fascinait à chaque fois. Et je voyais la Tour Eiffel mais je n’y étais jamais allé et je ne l’avais jamais vue d’aussi près. Ca… j’ai dit « Oh là là !je pensais pas qu’elle était si grande ! » On est passé devant la tour Eiffel et ca m’a paru quelque chose d’énorme. Et ça m’avait beaucoup …

 

Interviewer : Et quand vous êtes arrivés au Vel d’Hiv, vous souvenez vous de ce qui s’est passé? L’atmosphère? 

 

Michel : Bah oui. Des souvenirs comme ca en flash. On passait entre deux haies de flics et puis là c’était pareil, il fallait s’installer. Alors en bas il y avait des petits boxes comme celles qui servaient au moment où il y avait les courses cyclistes. On appelait ça des cagnas, d’ailleurs, là où on mettait les gens malades. Et puis sinon les autres étaient sur les gradins et donc on était sur les gradins. Et puis on a attendu un moment et c’était pareil, une pagaille invraisemblable. On criait beaucoup, beaucoup et puis cela résonnait. J’ai le souvenir des grandes lampes qui descendaient de la verrière. Et c’était allumé jour et nuit. Et puis, il faisait assez chaud. Et puis ça hurlait tout le temps. Et il y avait les appels. Au bout, à on avis, de deux jours. Parce que c’est pareil, c’était un centre de tri, un centre de rassemblement et puis après les gens étaient dispatchés en fonction déjà de leur âge c’est-à-dire les célibataires de plus de quinze ans, les gens sans enfants étaient envoyés directement à Drancy et puis les autres ont été dispatchés sur deux  camps: Beaune-la-Rolande et de Pithiviers, qui n’étaient pas trop loin de Paris. 

 

Interviewer : Vous souvenez-vous de combien de temps cela a duré, ce que vous avez vécu pendant ces jours-là? 

 

Michel: Oui, j’ai des souvenirs, je sais qu’on avait beaucoup soif et puis ce qui m’a beaucoup, beaucoup frappé, c’est les hurlements. Il y a eu un jour… alors nous et les copains, on n’était pas trop inquiets, on jouait d’ailleurs sur la piste, parce qu’il y avait une piste de cycliste, il y a un virage et il y a deux virages qui étaient très très relevés. Et on avait retrouvé des dossards de coureurs cyclistes et puis on s’amusait à glisser là où le virage était le plus relevé et puis on se faisait engueuler, quoi. Et puis il y avait, surtout très vite, il y avait la queue au point d’eau il y en avait un ou deux. Et puis toutes les toilettes, il y en avait… il devait y en avoir deux, mais alors ça débordaient, ça débordait de partout. Vous savez, on a un souvenir olfactif plus que de… Pour moi, le Vel d’Hiv, c’est une odeur effroyable d’urine. Et puis il y a eu un ou deux suicides. J’ai le souvenir d’une femme qui s’est jetée du haut des gradins. Ah ça, ça m’avait un peu affolé. Ma soeur est tombée malade alors on s’est retrouvés en bas. Donc, dans les boxes là, dans les cagnas. Il y avait un lit de camp et ce qui fait qu’on était… c’était un peu plus confortable parce que les gradins, il fallait s’installer, c’était … il n’y avait rien. Et là j’ai partagé le lit de camp avec ma soeur et puis on nous avait distribué des sardines, il y avait des dames en bleu qui devaient être des assistantes sociales. Ca, ça devait être le 2ème jour. Des sardines et des madeleines. 

 

Interviewer : Et vous êtes restés combien de temps ?

 

Michel: Donc nous, on est repartis parmi les derniers. On est donc restés cinq jours. 

 

Interviewer : Et pendant ces cinq jours, vous n’avez eu aucun contact avec l’extérieur? 

 

Michel: Non, absolument pas.

 

Interviewer : Vous avez pu faire passer un message ou quelque chose ?

 

Michel : Non.

 

Interviewer : Donc vous êtes partis et vous êtes allés où ?

 

Michel: Donc de nouveau, on nous a trimballés en autobus jusqu’à la gare d’Austerlitz donc on a retraversé un peu Paris. C’était bien parce que … enfin c’était bien, oui, parce que là on avait un peu plus d’air. J’ai le souvenir d’avoir pu rester sur la plate-forme. On était très serrés là-dedans. Et on est arrivés donc à la gare des marchandises et on nous a mis dans des wagons à bestiaux. Je me rappelle qu’il faisait très chaud. On est arrivés dans ce petit bled, Beaune-la-Rolande, qui était à 80 kilomètres de Paris. Mais le voyage a été assez long quand même. Et puis on est sortis du train et on est allés à pieds jusqu’au camp qui n’était pas très très loin du village d’ailleurs. 

Norbert: Pendant tout ce temps, au Vél d’Hiv, pendant le voyage pour Beaune-la-Rolande et jusqu’à ce que vous arriviez, avez-vous vu des soldats allemands?

Michel: Non. Alors, ça, vraiment, je suis vraiment formel. Ce qui, finalement, ne nous inquiétait pas trop c’est qu’on a vu que des flics français en uniforme de la Police quoi. Et puis arrivés à Beaune-la-Rolande, c’était des gendarmes. Mais je n’ai pas vu un seul soldat allemand.

 

Interviewer : Et vous souvenez vous du comportement qu’ils avaient par rapport à vous ou votre groupe familial ou autour de vous? 

 

Michel : On n’a pas eu beaucoup de contact avec eux. Ils gardaient les issus au Vel d’Hiv et puis c’est tout. Sinon, on a vu des femmes, je ne sais pas si elles étaient de la Croix-Rouge. J’ai le souvenir de femmes en bleu, des assistantes sociales. Mais c’est tout. Et puis il y avait des appels sans arrêt aussi. Enfin on appelait les gens pour les dispatcher dans les 3 camps différents quoi. 

 

Interviewer : Donc arrivés à Beaune-la-Rolande, comment vous vous êtes installés, comment ca s’est passé? 

 

Michel : Le problème, c’est qu’on est arrivés parmi les derniers et alors il n’y avait pas beaucoup de place. Ils avaient pas prévu … parce qu’on est arrivés quand même …oh la, on devait être pas loin… oh on devait être plus de trois mille quand même en quelques jours. Nous, on est arrivés parmi les derniers ce qui fait qu’on s’est retrouvés dans une baraque… je sais qu’ils en construisaient... j’ai le souvenir que derrière ils en construisaient deux autres. C’a a été construit à cette époque-là mais les premières baraques étaient déjà faites depuis 1939 ou 40. Et là, il y avait des baraques qui avaient des châlits. Parce qu’il y avait déjà, depuis 41, des internés. C’était des hommes qu’on avait internés soit à Drancy, soit à Beaune-la-Rolande soit à Pithiviers. Et là, on a commencé à les déporter, ce qui fait qu’on a laissé la place pour les femmes et les enfants surtout. C’était essentiellement les femmes et les enfants. Nous, comme on est arrivés en dernier, on n’avait pas de châlits. On nous a mis dans une baraque à même le sol, on nous a mis de la paille et on s’est retrouvés à même le sol.

 

Interviewer : Vous aviez un sentiment d’entassement? 

 

Michel: Oui. Oui, oui. Les jours où il pleuvait, ce qui est arrivé, c’était pas très étanche tout ça. Alors on avait pas d’eau parce qu’on recevait la pluie. 

 

Interviewer : Et sur le plan de l’organisation de la vie dans le camp?

 

Michel: Au début, ça allait à peu près car ma mère était encore là donc lle s’occupait de nous.

 

Interviewer : Vous vous souvenez de comment se passaient les distributions des repas, l’eau, les nourritures, etc. ?

 

Michel: Après oui, quand elle est partie parce que quand elle était là, c’est elle qui s’en occupait. On n’avait pas d’ailleurs un gros appétit. Mais c’est venu, petit à petit, parce qu’avec la faim on finit par manger. Et au début, ça ne se passait pas trop mal parce qu’elle était là. Et ensuite, lorsque les adultes donc ont été déportés…

 

Interviewer : Alors pendant combien de temps êtes-vous restés avec votre mère et au bout de combien de temps…

 

Michel : On est restés jusqu’au 5 ou 6 août, début août enfin. Donc, depuis le 16 juillet, ça a duré 3 semaines et ensuite ils ont commencé à déporter les adultes et les adolescents au-dessus de 15-16 ans parce qu’ils n’avaient pas prévu, les Allemands, au départ, l’arrestation et la déportation des enfants. Et c’est le gouvernement français, ça je l’ai su par la suite, qui avait dit « Mais que voulez-vous que l’on fasse des enfants ? » Brasillach d’ailleurs avait écrit dans son journal : « Déportez-les tous, sans oublier les enfants. » Alors ils attendaient, les Allemands, attendaient les ordres de Berlin qui sont arrivés 15 jours après d’ailleurs. En attendant, on n’a pas déporté les enfants, ce qui fait qu’on s’est retrouvés pratiquement seuls, sans rien, avec quelques adultes, quelques femmes qui étaient restées mais il n’y avait pratiquement que des enfants après le 5-6 août.

 

Interviewer : Comment s’est passée l’organisation du camp à ce moment-là ? Il y avait que des enfants

 

Michel : Alors là, c’était lamentable. Il y avait de la place effectivement. On changeait pratiquement de baraque tous les soirs. Comme ça, pour s’amuser quoi.

 

Interviewer : Et vous étiez toujours avec votre sœur ? Vous êtes restés ensemble ?

 

Michel : Oui, oui. Mais elle est de nouveau retombée malade alors elle délirait un peu à un moment et donc il fallait que je la nourrisse et au moment de la distribution de la soupe, c’était beaucoup des haricots - on avait une chanson un moment où on en parlait, on parlait des fayots qu’on mangeait. Et on n’avait pas de gamelles et donc on nous avait donné des boîtes de conserves vides et on allait comme ça chercher à manger. Mais j’étais très petit. Je ne suis pas très grand adulte mais, à l’époque, j’étais vraiment très petit et j’arrivais jamais à arriver jusqu’à la marmite parce que ça se bousculait. Ce qui fait que quelquefois j’arrivais ma boîte vide. Mais alors, j’avais lu, il y avait une infirmerie, j’avais lu, il y avait un petit panneau que les enfants de moins de 5 ans pouvaient aller manger à l’infirmerie. Et alors, comme j’étais très petit,je me suis jais passer … j’avais 7 et demi mais je ne les paraissais pas, je me suis fait passer pour moins de 5 ans et j’ai pu aller manger à l’infirmerie. J’ai pu aussi apporter à manger à ma sœur.

 

Interviewer : Et votre sœur n’est pas allée à l’infirmerie bien qu’elle soit malade ?

 

Michel : Non, non. Ben non, parce qu’il fallait vraiment, à mon avis, être très malade. Il y a vraiment des enfants… qui sont morts d’ailleurs. A Beaune-la-Rolande, pendant cette période, il y en a eu 3 ou 4, au moins. Ils sont morts à l’hôpital ou dans le camp. Et je me rappelle, il y avait des bébés et j’avais volé un biberon à l’infirmerie et j’étais revenu jusqu’à la baraque et avec ma sœur, on avait essayé de faire du beurre parce que j’avais appris à l’école qu’en baratant le lait, en le secouant, on pouvait faire du beurre. Mais c’était du lait de pas très bonne qualité ce qui fait qu’on n’a jamais réussi à faire du beurre.

 

Interviewer : Vous souvenez-vous comment … quel était votre sentiment à l’époque du fait d’être séparé de la mère ? Comment se sentaient les enfants ? Quelle était l’atmosphère générale et l’atmosphère particulière de vous et votre sœur ?

 

Michel : Pas très bien. On se sentait… là, ça a commencé vraiment à dégénérer d’abord parce qu’on a vraiment ressenti la faim. A avoir voir faim. A un moment, on a même mangé de l’herbe. On a essayé de se faire des salades comme ça. Mais il n’y avait pas d’huile ni de vinaigre mais enfin on s’est dit « On va essayer ! » Et puis, il y avait des poux. Ca a commencé, vraiment beaucoup. Alors on nous a tondus. D’ailleurs, j’ai le souvenir - ça, ça m’a beaucoup frappé aussi - d’un gendarme qui nous tondait, en uniforme en tout cas, et il m’a coincé entre ses genoux et il m’a tondu en disant : « Celui-là, on va lui faire le Dernier des Mohicans » et il m’a tondu un boulevard au milieu de la tête en me laissant les cheveux pendant comme ça. J’avais honte. J’avais réussi à voler un béret, je ne sais pas où, à un copain probablement et je me suis trimballé toujours avec mon béret. Et en plus, on nous a … alors ça, c’était l’humiliation, c’est ça que j’ai ressenti. Et puis il fallait qu’on soit bien marqués - alors, il n’y avait évidemment plus d’étoiles jaunes en tissu - alors on nous les a peintes sur les vêtements, à la peinture jaune. Alors, ça dégoulinait de partout. On avait de la peinture jaune partout. Mais on avait des étoiles sur tous nos vêtements.

Interviewer: Vous souvenez-vous combien de temps vous êtes restés seul ainsi à Beaune-la-Rolande? 

 

Michel: Oui, enfin, je me souviens, j’ai les dates parce que l'on a retrouvé les documents, donc on est restés jusqu'au 19 août. C'est-à-dire donc seuls, pratiquement une semaine. Et le 19 août, on été transférés. Donc ils avaient probablement reçu les ordres de Berlin. On a été transférés, tous les enfants pratiquement, on a été transférés donc de Beaune-la-Rolande à Drancy. 

 

Interviewer: Et pendant tout ce qu'un jour, vous n'avez aucun contact avec l'extérieur ? avec votre père ? avec votre mère ? vous ne saviez pas où était qui que ce soit ? 

 

Michel: Non. Lui savait parce que quand ma mère était encore là, elle avait réussi à  lui faire passer une lettre, en donnant de l'argent à un gendarme. Il y avait des gendarmes, des supplétifs et puis des douaniers. Je l'ai su par la suite ça, mais je voyais des gens en uniforme. Et puis d'ailleurs, il y a eu aussi, je veux dire des femmes qui sont venues, le jour où justement… la veille du départ des adultes, des femmes surtout, il y a eu des femmes du village qui sont venues pour aider à la fouille parce qu'il ne fallait pas qu'elles transportent de valeurs. Elles se sont proposées, elles étaient payées pour ça d'ailleurs, pour fouiller les femmes et ça a été terrible parce qu'on les a déshabillées … enfin, c'est… et puis elles ne sont pas laissées faire, ça hurlait, comme je le dit [inaudible] une mère juive ça crie fort, c'était vraiment… alors là, ils ont fait venir… ils ont été un petit peu désemparés, les gendarmes… il ont fait venir une automitrailleuse allemande, mais qui est restée à  l'extérieur du camp? Et là ça a amené le silence mais le lendemain, par exemple du départ, il y avait … enfin la veille, il y avait plein de femmes qui avaient jeté, plutôt que de donner leur argent ou leurs bijoux, qui avaient jeté ça dans les latrines. Il y avait des latrines, c'est-à-dire qu’ils avaient creusé une espèce de fond. C'était l'horreur d'ailleurs, parce que c'était en plein air et il y avait… j’ai des souvenirs, ça me faisait très peur parce que, c'est un détail affreux, mais il y avait des gros vers blancs comme ça (Michel fait un geste pour montrer la longueur des vers). Bon. Et j'ai vu… il y a eu des femmes du village qui ont fouillé la merde pour récupérer des bijoux. Ca je les ai vues, ça nous faisait rire d'ailleurs parce que ça brillait.

 

Interviewer: Donc vous avez été transféré à Drancy. Alors comment s'est passé ce transfert? 

 

Michel: Ben c'est pareil, on nous a emmenés… on est allés jusqu'à la gare de Beaune-la-Rolande. De nouveau, le voyage en wagons à bestiaux et alors, ça je ne me rappelle plus si on est arrivés… je crois qu'on est arrivés directement. On n'a pas pris l'autobus là. Il y a eu une situation, on est arrivés directement à la gare près de Drancy, la gare du Bourget parce que je n’ai pas le souvenir d’autobus. Enfin, je ne me rappelle pas de tout. Et on est arrivés à Drancy tous les … c'était pratiquement que des enfants. On nous a mis dans… alors, c'était des anciennes… enfin, c'était des HLM, ce qu’on appelait à l’époque des HBM. 

 

Interviewer: Vous êtes allés à pied de la gare jusque dans le camp ?

 

Michel: Je ne me rappelle plus. J'avoue que je ne me rappelle plus. J'ai pas le souvenir justement de… il est probable qu’on nous a de nouveau trimballés en autobus. Mais j'ai pas le souvenir de ça. J'ai le souvenir de l'arrivée, de voir ces grands bâtiments gris. Et puis on était du côté gauche parce que ça faisait… il y avait une espèce de cour au milieu, c'était un grand rectangle, un quadrilatère. Et puis, c'était des immeubles inachevés d'ailleurs. C'est-à-dire qu’il n’y avait pas de cloisons, il y avait des… c’était à même le béton. 

 

Interviewer : Vous avez été logés comment? Justement? 

 

Michel : Alors justement, on était tous dans une dans une immense pièce o`¨on nous avait mis de la paille, par terre de nouveau. Et puis on était, nous, au quatrième étage. 

 

Interviewer : Donc il y avait que ces enfants seuls à cet étage-là ?

 

Michel : Oui, alors il y a quelques adultes, des femmes qui sont venues un petit peu s'occuper de nous, mais très peu. Et alors, c'était l'horreur. Parce qu'avec tout ce qu'on avait mangé comme saloperies, et surtout les haricots à Beaune-la-Rolande, on avait tous, vraiment pratiquement tous, la diarrhée et les toilettes, si on peut appeler ça des toilettes, étaient, non seulement à l'extérieur, mais dans la cour. Et le temps qu'on y arrive, alors c’était assez lamentable. On était couvert de vermine et de déjections. Il y en avait plein les escaliers. Je ne vous raconte pas l'odeur. Ca, j'ai un souvenir précis de ça. Des souvenirs d’odeurs.

 

Interviewer: Et de la faim ?

 

Michel: Oui, oui, mais parce que bon, c'était pareil, on n'est pas restés très, très longtemps, finalement, parce qu’ils ont commencé à déporter les enfants pour compléter les convois dès le lendemain. On a des copains qui sont partis dès le lendemain et je le sais, parce qu'on a retrouvé le document. Nous, on était sur la…  on est arrivés le 19 août et on était prévus pour le convoi du 21 août. Et on m’a montré le document, c'est Maître Klarsfeld qu'il l'a publié d'ailleurs, dans le Mémorial, ce merveilleux livre du Mémorial des enfants où il y a 11.000 noms d'enfants juifs. Et il y a ce document et sur le bordereau de transport, il y a deux noms de rayés, celui de ma sœur et le mien, parce qu’on a été sursitaires. Parce qu’entre temps, mon père, c'était débrouillé pour nous faire libérer.

 

Interviewer: Alors comment est-ce que ça a pu se faire ? Vous ne saviez pas que votre père s'occupait de vous ? Vous n'aviez aucun contact ? Comment a-t-il pu… je suppose qu'il vous l’a raconté ensuite? 

 

Michel: Oui, il a… il était donc… il avait récupéré entre temps mes deux frères … il les avait récupérés donc le jour même du 16 juillet. Et puis il a traîné – il ne pouvait plus rentrer chez lui - il a essayé de les placer un peu partout. C'était le refus. On avait été en vacances, je me rappelle pas très loin de Paris, dans une pension de famille dont la patronne s'appelait Jeannette – on l’appelait Tata Jeannette, d’ailleurs. Elle n'a pas voulu les accueillir. Il y avait aussi une colonie de vacances des assurances sociales où mes frères avaient déjà été : ils ne voulait pas d'enfants juifs. Et puis, ca a duré comme ça quatre cinq jours et puis bon il s'est trouvé qu’il est tombé par hasard sur une sœur, une bonne sœur, une religieuse, qui lui a adressé la parole et elle a vu qu'il avait des problèmes et…

 

Interviewer: Elle ne savait pas où il vivait avec vos deux frères ?

 

Michel: Non, non. Et là-dessus, il a pu les placer chez les sœurs - c'est les seules qui aient accepté d'ailleurs de cacher ces deux enfants juifs - et là-dessus, il a donc pris contact avec un type qu’il avait connu en Pologne, qui s'appelait Israëlovitch et qui était à la direction de l’organisation qui avait été créée par Vichy et par le Commissariat aux Questions Juives qui s'appelait l'UGIF, l'Union Générale des Israélites de France, qui chapeautait toutes les anciennes organisations juives de solidarité. Il n’y avait plus que cette organisation-là. Alors à la tête de l’UGIF, il y avait des gens, la plupart étaient des Juifs français, de la haute bourgeoisie et sous couvert de… beaucoup étaient de bonne foi d'ailleurs. La preuve c'est qu’il y en un ou deux qui, quand ils ont appris tout ce qui se passait, un an ou deux après, ils se sont suicidés. Il y en a deux, en tout cas, et puis les autres, ils ont été déportés une fois qu’ils avaient fait le travail. Il s'agissait donc de … dans l'esprit des nazis et du gouvernement de Vichy, de chapeauter tous les Juifs et c'était presque… c'était une obligation de s'inscrire à l’UGIF et ils avaient des listes. D'ailleurs, c'était l’UGIF qui organisait tout, qui s'occupait de l'intendance du camp de Drancy. Tout était fait par l’UGIF à Drancy. Toute l'organisation interne du camp était faite par les Juifs. Le commandant du camp, c'était un ancien colonel de l'armée française et qui, lui, avait une chambre. Enfin bon, il y avait même une prison à Drancy. Quand les gens se comportaient mal, ils allaient en prison. Il y avait un gardien de prison et les gendarmes étaient à l'extérieur. Et les Allemands quand ils ont… quand les SS… quand ils ont pris la direction effective du camp à partir de 1943 – c’était Aloïs Brunner, celui qui ensuite s’est sauvé en Syrie – ils ont tenu le camp à six. Il y avait six SS. Tout le reste, c’était des Juifs français. C'est un peu comme dans les ghettos en Pologne, comme les Jüdenrat qui étaient censés diriger le camp. Donc il est allé voir ce type qu'il avait connu en Pologne, qui s'appelait Israêlovitch, qui était un dirigeant de l’UGIF et qui faisait la liaison entre entre l’UGIF et les autorités, comme on dit, d'Occupation. C'était le terme pudique pour dire la Gestapo et les SS. Et il s'est payé le culot, il est allé le voir, il l’avait connu donc en Pologne, ce type était d'une famille de petits bourgeois. Il l’avait connu parce que la soeur de ma mère, ma mère qui était d’une famille extrêmement misérable, pauvre, était bonne à tout faire chez ces gens-là donc il l’a connu, ils étaient de la même génération à un ou deux ans près. Il est tombé un bon jour. Il faut dire qu'il lui a offert de l'argent. Il n'a pas refusé - il ne l’a pas demandé mais il n’a pas refusé. C'était des pièces d'or. Il y avait quatre parce que les immigrés, à l'époque, n'avait pas de compte en banque, même pas d'ailleurs les français, et ils mettaient, dès qu'ils avaient un peu d'économies, ils achetaient des pièces d'or. Et mon père avait quatre pièces d'or, ce qui est l'équivalent maintenant de… c’était des pièces de 20 dollars ce qui est l’équivalent maintenant de 8.000 francs. C'est ça. Donc c'était pas une énorme somme et il les a acceptées. Et comme dit mon père, il dit « sûrement que ca lui faisait chaud dans la main. » Il a cette expression et toute cette conversation a eu lieu en Yiddish ce qui est surréaliste. Devant lui, il a téléphoné en allemand. Le subterfuge, c'était de nous considérer comme ouvriers fourreurs. Et on a le document d’ailleurs, on a retrouvé le document. Et donc on a été considérés comme ouvriers fourreurs avec ma mère. Mais pour ma mère, c’était trop tard parce que le temps que ça passe d’une administration à l’autre, de l'administration allemande à la Gestapo au ministère de l'Intérieur, du ministre de l'Intérieur à la gendarmerie etc. on a été… ça a pris du temps, mais c'est arrivé le 20 ou le 21 août à Drancy,. C’est passé à Beaune-la-Rolande. Sur le document, c'est marqué « Partis par le… », c’est rayé, c'est marqué sur le document « Partis par le convoi du 19 août » ce qui fait que ça nous a rejoints, on peut dire à la dernière minute quoi, à Drancy.

 

Interviewer : Donc le document vous a  rejoints à Drancy et a mené à quoi ?

 

Michel : Ca a mené qu’on a été sursitaires. Et puis on est restés un petit moment à Drancy alors qu’il y avait des départs pratiquement tous les jours. Et pour compléter les convois, on prenait les enfants. Ce qui était affreux parce que quand il y avait les départs, on mettait les déportables la veille fans un escalier à part. Et puis, ça partait le matin en général. Il y avait un appel et dès qu’il y avait un appel, c’était l’inquiétude. Et je dois dire que les appels, c’était toujours l’inquiétude. Et quelques temps après, on nous a appelés. Alors là, on était un peu inquiets. Et là, pas du tout. J’ai le souvenir qu’on nous a emmenés au secrétariat qui était à l’entrée du camp. Il y avait un panier à salade. Là, c’était pas un autobus, un car de flics qui nous a … on s’est retrouvés là-dedans. On se demandait où on allait et on nous a transportés donc.

 

Interviewer : Vous étiez, votre sœur et vous, seulement ou bien il y avait d’autres adultes ou enfants ?

 

Michel : Non, non, il n’y avait que ma sœur et moi. Et on nous a trimballés dans une maison de l’UGIF à Montmartre, rue Lamarck. Ca s’appelait l’Asile Lamarck d’ailleurs qui existe toujours et il y avait plein d’enfants. Alors il y avait des enfants qui étaient malades, des enfants qui étaient placés par leurs parents, provisoirement parce qu’ils faisaient confiance à l’UGIF et puis il y avait « les enfants bloqués », sous la responsabilité de l’UGIF mais chapeautés par la Gestapo – par la police française et par la Gestapo - et donc nous en faisions partie parce que nous étions donc sursitaires.

 

Interviewer : Vous étiez parmi ces enfants bloqués ?

 

Michel : C’est ça.

 

Interviewer : Ca signifiait quoi pour vous d’être bloqué ?

 

Michel : Ca signifiait pas grand’chose par rapport aux autres. On était avec les autres et on a dû arriver, à mon avis, début octobre parce que là … Ca nous tracassait beaucoup ma sœur et moi comme on était vraiment, on adorait l’école qu’on était vraiment de très bons élèves. Je ne dis pas ça pour me vanter… ´t ça nous tracassait l’école. C’était quelque chose d’essentiel. Et on est arrivés, on nous a mis à l’école.

 

Interviewer : Et jusque-là, pendant que vous étiez à Beaune-la-Rolande ou à Drancy, y a pas eu d’école ?

 

Michel : Mon, c’était l’été. Les vacances, c’était jusqu’au 1er octobre et je pense qu’on a dû être transférés vers la mi-octobre parce qu’à Drancy, je sais qu’il y a eu des jeunes, il y a eu quelques jeunes quand même qui se sont occupés de nous. Et au rez-de-chaussée, ils avaient essayé d’organiser une classe. Donc, ça a dû être début octobre. En tout cas, on s’est retrouvés là-bas et on allait à l’école.

 

Interviewer : Et vous n’aviez toujours pas vu votre père ?

 

Michel : Non, non. Et puis, ça a duré jusqu’à fin novembre, le 30 exactement parce qu’on l’a su par la suite. Il y a une dame qui était donc une amie de mon père – c’était elle qui l’avait caché le 16 juillet, qui était concierge dans un petit immeuble de Ménilmontant - avec qui il avait pris contact justement et qui est venue nous chercher avec un faux document.

 

Interviewer : Pendant que vous étiez à l’UGIF ? Ce centre de l’UGIF, vous avez le souvenir de comment se passait la vie, de la discipline ou manque de discipline… ?

 

Michel : Oui. Il y avait beaucoup de discipline et alors on nous faisait manger des choses un peu bizarres. Alors, on était surtout beaucoup alors ce qui fait que le dortoir, je le revois encore. Ca n’a pas changé, enfin, c’est plus du tout la même organisation mais l’immeuble existe toujours et quand je passe là-bas, à Montmartre, rue Lamarck, c’est tout en haut de Montmartre, je vois les grandes verrières, c’était le dortoir. Mais les lits étaient vraiment serrés les uns contre les autres. Alors on se refilait tout : les poux… Alors on nous mettait, je revois encore le réfectoire, il fallait descendre un peu et on nous mettait une espèce de poudre sur les aliments. C’était peut-être pour éviter la dysenterie en tout cas les diarrhées et ce qui m’a beaucoup frappé c’est qu’ils tenaient à ce qu’on ait une culture juive. Chez moi, par exemple, mes parents n’étaient plus du tout pratiquants. Ce qui fait qu’on n’a pas du tout été élevés dans la religion. Je ne savais même pas ce ça voulait dire d’être juif.

 

Interviewer : Est-ce que vous parliez yiddish à la maison ?

 

Michel : Oui, mes parents, quand ils voulaient qu’on n’écoute pas, qu’on ne comprenne pas, parlaient polonais. On a fini par comprendre le polonais aussi. Mais sinon, ils parlaient tout le temps yiddish. Nous, on parlait le français bien sûr et on leur apprenait le français parce qu’en arrivant, ils ne parlaient pas un mot de français. Mais donc, on ne pratiquait pas. C’était au point qu’on était tellement intégrés qu’on allait le jeudi, à l’époque le congé c’était le jeudi, on allait au patronage catholique parce que nos copains y allaient. Ma mère y tenait beaucoup pour qu’on reste avec nos copains. On était parfaitement intégrés. Alors ce qui m’avait frappé là-bas, rue Lamarck, et alors là j’étais pas bien vu du tout parce qu’on ne savait pas les prières. Avant de commence à manger, il fallait faire la prière mais en hébreu et je ne les savais pas. Et avec le recul, je trouve cela invraisemblable qu’en 1942, les gens, avec des enfants en tout cas, s’obstinent à vouloir garder en tout cas la religion alors qu’eux devaient être au courant quand même, la direction de cette maison. Et j’ai su par la suite qu’ils y avaient d’autres enfants qui avaient réussi à s’échapper. Il y avait quand même d’autres organisations ,entre autres, il y avait ce qu’on appelle la rue Amelot qui cherchait à faire évader, mais tout ça clandestinement, les enfants et l’O.S.E. (œuvre de secours aux enfants) et l’U.J.R.E. qui était des Juifs communistes, ils ont essayé de sauver les enfants. Ils y sont plus parvenus en zone non-occupée qu’en zone occupée. Mais il y a quelques-uns qu’ils ont réussi à sauver. J’ai appris par la suite que l’UGIF les avait récupérés pour qu’ils ne soient pas dans des familles catholiques. Et ça, je trouve cela affreux. Et là donc, cette dame nous a récupérés. Assez facilement d’ailleurs.

 

Interviewer : Au bout de combien de temps ? Vous êtes restés combien de temps ? Vous m’avez dit le 30 novembre.

 

Michel : Jusqu’au 30 novembre. Je le sais parce que je sais que c’était le 30 novembre et j’ai su par mes frères et la bonne sœur, la religieuse qui nous a récupérés, que c’était le 30 novembre.

 

Interviewer : Donc cette femme est venue vous chercher et vous l’avez suivie, comme ça ?

 

Michel : On la connaissait.

 

Interviewer : Vous la connaissiez. Et « faux document », c’est-à-dire ?

 

Michel : Je pense que c’était un certificat peut-être parce que, ça, on ne l’a jamais retrouvé. Et cette dame est morte depuis longtemps. Peut-être un document de la préfecture parce qu’on dépendait aussi de la préfecture.

 

Interviewer : Et ce document disait quoi ?

 

Michel : Qu’elle devait nous emmener dans un autre établissement. Donc on nous a laissés partir.

 

Interviewer : Et à ce moment-là, qu’est-ce qui s’est passé ?

 

Michel : Elle nous a emmenés à la maison-mère des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul qui se trouve rue du Bac, dans Paris. Ca, je me rappelle très bien et on a fait connaissance de cette sœur, Sœur Clothilde qui avait déjà récupéré mes deux frères. Elle nous a emmenés, ma sœur et moi, jusqu’à Neuilly dans un orphelinat des sœurs de St-Vincent-de-Paul. Les sœurs de St-Vincent-de-Paul s’occupent essentiellement d’enfants. C’est toujours Saint Vincent qui s’est occupé d’enfants orphelins. On représente toujours St Vincent avec deux enfants. D’ailleurs, quand elle avait emmené mes frères, la Mère Supérieur lui a dit : «  Mais enfin, ma sœur, vous vous rendez compte, ma fille, c’est dangereux ! Ils n’ont pas de cartes d’alimentation » parce qu’elle voulait des tickets « et on ne peut pas prendre ce risque !» Et elle lui a dit (il y avait donc toujours une statue dans toutes les maison de Saint Vincent avec deux enfants) et elle lui avait dit : « Ma Mère, » car on se parle comme cela chez les sœurs, « Saint Vincent, il est avec deux enfants, on ne peut pas faire moins. » Et c’est comme cela qu’elle a imposé mes deux frères à la Mère Supérieure puis après ma sœur et moi.

 

Interviewer : Donc vous êtes arrivés. Vous avez retrouvé vos frères ?

 

Michel : Non, pas tout de suite, On ne les a retrouvés que quelques jours après parce qu’ils n’étaient pas dans la même maison, eux. Ils n’étaient pas tout de suite à Neuilly.

 

Interviewer : Donc cette femme, qui est venue vous chercher, vous a amenés directement de l’UGIF à la sœur et la sœur, vous a amenés là ? Vous n’aviez toujours pas vu votre père ?

 

Michel : Non, parce que mon père, sachant qu’on allait être… et puis ça devenait de plus en plus dangereux probablement pour lui, il était passé en zone libre. Et je me rappelle, je l’ai su par la suite, quand mes frères se sont retrouvés chez les sœurs, il leur écrivait régulièrement. Et mon frère aîné, qui est archiviste dans l’âme, il a gardé ses lettres. Et donc il les avait. On les a gardées et on a pu suivre, comme ça, chronologiquement, les événements et donc comme il savait qu’on était vraiment très près d’être libérés, il est passé en zone libre…

 

Interviewer : Donc vous vous êtes retrouvés à Neuilly, dans cet orphelinat. Vous avez été mis avec les autres enfants ?

 

Michel : Oui, oui, les filles d’un côté, les garçons de l’autre. Chez les sœurs, c’était … je voyais très peu ma sœur.

 

Interviewer : Toujours sous votre nom ?

 

Michel : Oui, oui.

 

Interviewer : Et vous ne savez pas comment … comment ça s’est passé par rapport aux autres enfants ?

 

Michel : Je sais que… peu de temps après, quand j’ai retrouvé mes frères et surtout mon 2ème frère, qui s’occupait beaucoup de moi, il m’avait dit comme ça subrepticement : « Ne dis jamais que tu es juif ». Je ne savais pas ce que ça voulait dire. On s’est intégrés au groupe. Je revois ce grand dortoir, c’est le souvenir qui me fait … c’était affreux parce qu’il faisait très froid. Et puis, ces dortoirs, c’était pas chauffé.

 

Interviewer : Alors ça, c’est pas à Neuilly ?

 

Michel : C’est à Neuilly encore.

 

Interviewer : Vos frères sont venus vous rejoindre ?

 

Michel : Oui, parce que, eux, ils étaient dans une autre maison d’enfants, dans un orphelinat qui n’était pas loin de Paris non plus, à l’Haye-les-Roses. De là, on les a transférés à Neuilly. Ce qui fait que je me suis retrouvé avec eux.

 

Interviewer : Et vous êtes restés tous ensemble à ce moment-là ?

 

Michel : Oui, pratiquement jusqu’à la Libération. Sauf qu’on a été, comme il y avait, à côté de l’orphelinat, une villa, c’était un quartier très chic de Neuilly, pratiquement, presque juste en face de l’Hôpital Américain et qui avait été réquisitionné par la Gestapo, et j’ai appris, par la suite que, entre autres, le fameux Trepper, Leopold Trepper qui avait créé l’Orchestre Rouge, quand il avait été arrêté, il a passé un moment là pour ses interrogatoires. Et de temps en temps, il y avait des attentats surtout à partir de 43 où la Résistance a commencé à mieux s’organiser. Alors il y avait des mitraillages, des attentats. On nous a… tout l’orphelinat alors, on nous a transportés en province parce que c’était moins dangereux.

 

Interviewer : Vous êtes partis comment ? En autobus ?

 

Michel : En train. On était dans la Marne près de Vitry-le-François, mes frères et moi. Et puis ma sœur, elle était avec les filles en Auvergne.

 

Interviewer : Donc vous étiez ensemble. Donc la vie, vie normale d’un orphelinat ?

 

Michel : Oui, on a été baptisés, très vite. On a même été enfants de chœur. Je suis très fort sur la religion catholique. Beaucoup plus que sur la religion juive. On s’est vraiment très, très vite intégrés. Très vite intégrés. A l’époque, on faisait encore la messe en latin, moi j’aimais beaucoup ça.

 

Interviewer : Et donc vous êtes restés jusqu’à la Libération

 

Michel : Jusque la Libération.

 

Interviewer : La Libération en Auvergne ça…

 

Michel : Non, dans la Marne, c’était très rapidement après Paris. En Auvergne aussi, d’ailleurs. Et là on est rentrés sur Paris, ça devait être le 30 septembre 44.

 

Interviewer : Toujours avec l’orphelinat ?

 

Michel : Non, non, on a … mon frère aîné était parti avant. Je ne sais pas pourquoi. A Neuilly. Et on s’est retrouvés à Neuilly pour très peu de temps, toujours à l’orphelinat, et là mon père était rentré sur Paris aussi et il est venu nous chercher et on ne s’était pas revus depuis presque 3 ans.

 

Interviewer : Vous vous souvenez de la Libération quand vous étiez dans la Marne, comment ça s’est passé ?

 

Michel : Ah oui ! On a vu … d’abord il y a eu, déjà à cette époque il y a eu le bombardement de la gare, c’est une grande gare la gare de Vitry-le-François, une gare de triage. Et ça, j’ai le souvenir de ça, c’était comme un feu d’artifice. On y voyait comme en plein jour. Et on était à 4-5 kilomètres de Vitry-le-François. Ensuite, on avez vu passer – c’était la route qui menait vers l’Allemagne- on a même vu passer plein, plein de voitures allemandes qui fuyaient. Et puis un jour, un matin, on a vu des soldats débouler, il y avait une côte comme ça (Michel fait un geste de la main) qui longeait la maison et on a cru que c’était les Allemands qui revenaient, enfin … parce qu’ils passaient de temps en temps mais c’était relativement calme, ce village, et puis c’était les Américains qui arrivaient.

 

Interviewer : Comment ça s’est ressenti, ça s’est vécu au sein de l’orphelinat ? Est-ce qu’il y a eu un changement quelconque ? Une manifestation quelconque ?

 

Michel : Oui, on a appris… les sœurs nous ont appris à chanter l’hymne américain parce que jusque-là on chantait Maréchal, nous voilà ! Là, on a appris à chanter l’hymne américain et alors surtout on a découvert qu’il y avait un paysan, il tenait le bistro d’ailleurs, et alors c’était le diable parce que… et même l’instituteur parce qu’on allait à l’école du village – et moi, cet instituteur, j’avais beaucoup d’admiration et d’affection pour lui et il était comme tous ces instituteurs, il était parfaitement anticlérical et alors il ne supportait pas qu’on arrive en retard à l’école mais on arrivait toujours en retard parce qu’il fallait servir la messe le matin avant d’aller à l’école, qui était juste à côté d’ailleurs, et je ne comprenais pas pourquoi ce type pour qui j’avais beaucoup d’affection et d’admiration puisse ne pas aller à la messe… et ce bistrotier-là, pareil, qui était diabolique, c’était un résistant et, entre autres, il avait caché pendant plusieurs mois, sinon une année, un prisonnier russe qui s’était évadé, parce qu’il y avait des prisonniers russes qui arrivaient jusqu’en France et ils devaient aller travailler chez les paysans et il a caché pendant tout ce temps-là et il est devenu le héros du village à la Libération.

 

Interviewer : Vous aviez donc des contacts avec le village ?

 

Michel : Ah oui, on allait… on nous louait chez les paysans pour la cueillette des pommes de terre, la cueillette des mirabelles. Alors j’aimais bien les pommes de terre parce que comme ça on pouvait en récupérer. Je me rappelle, on faisait des pommes de terre sous la cendre. Parce que c’était encore … il y avait encore les restrictions, oui, oui.

 

Interviewer : Vous n’avez pas souffert de la faim ?

 

Michel : Un peu, si, un petit peu parce qu’il y avait vraiment les restrictions. On ne mangeait vraiment pas très bien. On ne mangeait pas très bien. J’avais la chance d’avoir mes deux frères ce qui fait que… parce que les plus petits, même là, c’était un peu chacun pour soi. Dans le groupe, les plus petits, quelquefois, ils ne mangeaient pas.

 

Interviewer : Il y a des gosses qui ont cherché à se sauver de l’orphelinat ?

 

Michel : Non, je ne crois pas. J’ai pas le souvenir en tout cas. Non, non.

 

Interviewer : Et il n’y a pas eu de visite de gendarmes, d’Allemands, etc. ?

 

Michel : Non, non.

 

Interviewer : [inaudible]

 

Michel : Je ne sais même pas s’il y avait d’autres enfants juifs, je ne crois pas d’ailleurs.

 

Interviewer : Donc vous êtes retournés à Neuilly et vous y êtes restés jusqu’en …

 

Michel : Très, très peu de temps parce qu’on s’est retrouvés donc dans une maison d’enfants à Versailles, dépendant d’ailleurs de l’O.S.E.

 

Interviewer : Comment s’est fait le transfert de l’un à l’autre ? Comment ça se fait qu’on vous laisse aller dans une organisation juive ?

 

Michel : Ah c’est mon père.

 

Interviewer : Ah c’est votre père ! Donc votre père est venu vous chercher ?

 

Michel : On s’est retrouvés avec mon père là à cette époque-là, donc il nous a récupérés. Et ma sœur, je me rappelle, elle n’a pas voulu qu’on la mette… parce que là où nous étions à Versailles, à côté de Paris, il n’y avait que des garçons, et elle n’a pas voulu aller dans une maison d’enfants parce qu’elle voulait faire sa communion.

 


[conversation informelle entre Michel et l’Interviewer]

 

Interviewer: Mais quand votre père est venu vous chercher est-ce qu’il vous a raconté à  ce moment-là ou plus tard la manière dont il a vécu toutes ces années où il n'a pas été avec vous ? 

 

Michel: oui, il nous en a parlé, bien sûr. Il s'est retrouvé donc dans le Sud- Ouest. Il a voyagé entre Périgueux, Toulouse, Limoges, dans tout ce coin-là,  Montauban et il s'est caché, bien sûr, mais il a aussi travaillé, il a été obligé de travailler. Alors il a travaillé beaucoup comme paysan, comme ouvrier agricole. Un moment, entre autres, il nous a raconté, chez des immigrés polonais, mais catholiques et lui comme il était de la campagne, il connaît bien le travail de la terre. Il a travaillé comme paysan. Il a été arrêté même une fois, mais on l'a pris pour un Espagnol et il s'est retrouvé dans un…

 

Interviewer : Il avait donc des papiers, des faux papiers ?

 

Michel : Il a réussi après, il a changé de nom. Il s'appelait Galot (orth ?). Il a réussi à avoir des faux papiers et…

 

Interviewer: Il ne vous a pas raconté comment il a réussi à avoir ces faux papiers? 

 

Michel : A  mon avis, enfin non je n’en ai pas le souvenir, mais il a dû probablement les acheter et mais il a eu quelques contacts quand même avec des Juifs là-bas puisqu’un moment… il nous écrivait régulièrement et c'était pas son écriture parce que bon, il avait peur de faire des fautes d'orthographe. Maintenant, il écrit bien le français mais à l'époque donc il écrivait comme il parlait et c'était un de ses copains d’adolescence d'ailleurs qui s'est retrouvé à Périgueux, qui lui s’est fait prendre et ce qui fait qu’il a été déporté, mais lui écrivait très très bien le français et il écrivait les lettres. Mais il nous envoyait des colis. Il nous a envoyé, chez les sœurs, et alors c’était terrible parce que quand le colis arrivait, il fallait qu’on l’ouvre, c'est la soeur qui l'ouvrait et elle se servait d'abord. Pas celle qui nous avait… il y en avait quelques-unes comme ça. La sœur qui s'occupait de nous, c’était une grosse … alors donc, il nous a raconté donc il a voyagé entre, c'est ça entre Périgueux, Toulouse, dans le Limousin aussi et Il m'a raconté qu'il a une fois été arrêté, et il a réussi à se sauver. On l’avait mis dans une espèce de camp de transit où il y a avait beaucoup d'Espagnols parce qu’il y avait tous les des réfugiés espagnols. 

 

Interviewer: Donc quand il vous a récupéré, il venait de rentrer à  Paris? Il savait où vous étiez puisque …

 

Michel : oui,

 

Interviewer : Malgré les transferts d'un centre à  l'autre, il a su …

 

Michel : Ah oui,oui. On dépendait donc de cet orphelinat de Neuilly. C'était la même maison, on avait été évacués à la campagne mais c'était la même organisation, oui.

 

Interviewer : Donc il est venu vous chercher ?

 

Michel : Oui

 

Interviewer : vous vous souvenez de la date où il est venu ou à peu près ?  

 

Michel : C'était 44. Oui, en 44. Oh oui, c'était fin septembre. Oui, puisque j'ai fait la rentrée des classes à Versailles donc c'était en octobre. Ouais, ça devait être … ça devait être à cette époque-là, oui. Il ne pouvait pas nous regarder parce que, d'abord, il n'a pas pu récupérer tout de suite son appartement, ca a pris plus d'un an. Et alors, l'ironie de l'histoire, c'est que le petit appartement qu'on avait donc à  Ménilmontant, d'abord il avait entièrement pillé par la concierge qui ensuite s'est sauvée, on ne l'a jamais retrouvée et…

 

Interviewer : Vous n’avez retrouvé aucun des objets ni les machines qu’il y avait?

 

Michel : Non, non. Rien, rien, mais la machine à  coudre, je crois qu'elle n’était pas à mes parents. Je crois qu’elle était louée par le patron. Mais, en revanche, on a retrouvé, tout ça a été retrouvé à la préfecture, deux photos. Pourquoi? Alors là ? Il y a une photo de moi, entre autre, tout bébé, enfin tout bébé, je dois avoir un an, même pas. Il y a au dos un cachet d'ailleurs de la préfecture, c'était dans… alors on ne sait pas pourquoi ça? Et l'ironie de l'histoire veut que d'ailleurs, c'est que l'occupant de l'appartement, c'était un flic. Alors il a fait des pieds et des mains pour rester ce qui fait que ça a été assez long pour qu'il puisse récupérer. 

Interviewer: Donc il a dû aller au tribunal…

 

Michel : Ah oui alors il habitait à l'hôtel 

 

Interviewer: Donc il vous a mis dans une maison d'enfants 

 

Michel : C’est ça. Il y avait que des enfants juifs là. Tous, enfants de déportés etc. es dont le directeur était un russe, je me rappelle, avec un accent…

 

Interviewer: Vous ne vous souvenez pas de son nom ?

 

Michel: Tcharnikov [orth ?] si je me souviens très bien, Tcharnikov. Et alors, mon deuxième frère et moi, on était restés très catholiques et c’était une très, très jolie maison avec un grand jardin d'une villa à  Versailles qui avait été louée par l’O.S.E. et qui était probablement financée par le Joint enfin par les Américains parce qu’ils avaient tellement honte de ce qui s'était passé qu'ils donnaient beaucoup d'argent et les voisins, c'était une famille de 22 enfants. Vous vous rendez compte ? Ultra catholique bien sur, dont un certain nombre… enfin les derniers enfants, ils avaient Pétain comme parrain, ils avaient eu le Prix Cognac enfin bon, 22 enfants. Et alors mon frère et moi, on était très liés, enfin relativement liés avec eux, parce qu’on était, mon frère surtout, très croyants. Alors on faisait le mur pour aller à la messe et on était comme deux martyrs. Et je me rappelle très bien la mère de famille d'un côté disait : « Les pauvres petits, dans quel état, dans quel état on les met? » Jusqu'au jour où le directeur nous a surpris en train de faire le mur et mon frère lui a dit : “Euh, on va à la messe et personne ne nous en empêchera” coincé sur ce mur et il a dit, ce Tchernikov, avec son accent : « Mais pourquoi vous passez par les murs ? La porte, elle est ouverte si vous voulez aller à la messe, vous passez par la porte, sinon vous allez vous casser la jambe. » Et le fait de pouvoir y aller librement, j'ai… je le souvenir de ça, j'ai perdu la foi. Ca m'intéressait plus. 

 

Interviewer: Vous vous souvenez des conditions de vie dans le camp et surtout des contacts avec les autres, dont certains avaient pu avoir des chemins très différents du vôtre ? Est-ce-que, par exemple, il y a eu, dans cette maison d'enfants, des enfants déportés qui sont revenus que l'on a mis là ?

Michel : Pas à Versailles parce que c'était tout de suite à la Libération. Mais en revanche, après, on s'est retrouvés dans une autre maison d'enfants, dans un château superbe à côté du Mans. Là quand on était à Versailles, ça dépendait de ce qu'on appelait la rue Amelot. En revanche, au Mans on était allés pour les vacances et puis finalement, on est restés, c'était l’O.S.E. Et là, il y a effectivement, en tout cas deux frères, qui étaient de notre rue qui, eux, revenaient de Bergen-Belsen et on s'est revus il y a... en tout cas avec le plus jeune, il y a très peu de temps, d'ailleurs, et on s’était retrouvés donc au Mans. Il devait il y en avoir deux ou trois autres. Et après j'ai été transféré du Mans à… toujours à l’O.S.E. à  Fontenay-aux-Roses, à côté de Paris.

 

Interviewer: Et vous étiez toujours avec vos frères? 

 

Michel : Non, j’étais tout seul là. Mes deux frères ont quitté très vite Le Mans parce qu'ils étaient en âge de travailler. Mon frère aîné avait quinze ans et mon deuxième frère quatorze ans. Ils voulaient travailler d'ailleurs. Alors ils ont commencé à  travailler. Mon père, à cette époque-là, avait dû récupérer son appartement, ce qui fait qu'ils ont habité avec lui. Ma sœur est restée au Mans et moi, on m'a transféré à Versailles, parce que j’étais insupportable. Je m'étais battu avec le directeur, je m’étais retrouvé avec un œil au beurre noir, comme ça. Pour qu'il me frappe, il fallait vraiment que j'en fasse beaucoup. Et cette maison à Fontenay-aux-Roses, c'était une maison d’enfants pour enfants difficiles. Quand je dis enfants difficile, il y en avait qui étaient vraiment très très difficiles et il y en avait plusieurs qui arrivaient alors directement des camps. Il y avait, entre autres, dans ma chambre, le lit à côté, dans le dortoir, il y avait un Polonais qui s'appelait, j'ai toujours le souvenir, qui s'appelait Vladek. On savait que ça, il était très… il avait réussi à s'en sortir parce qu'il était très très costaud, très grand. Il avait quatorze ans mais il en paraissait dix-huit. Et dès qu'on s'approchait de lui, il frappait. Et curieusement, sauf moi, parce que j'étais vraiment tout petit et c'était comme… il était comme une bête sauvage. Alors, il s'est pris d'amitié pour moi et il a commencé à parler et il a appris le français. Mais très vite. Et puis on s'est perdus de vue parce que beaucoup de ces enfants qui étaient là  ont été adoptés par des Américains, des Australiens, par des Canadiens. Alors ils partaient au fur à mesure dans leurs familles d’adoption. Et je me rappelle, j'étais un peu jaloux parce que je rêvais d'aller en Amérique. 

 

Interviewer: Donc eux partaient et vous vous restiez.

 

Michel: Et mon père, après m’a récupéré… 

 

Interviewer: Vous ne vous souvenez pas si les enfants parlaient de ce qu'ils avaient vécu pendant la guerre? Entre eux, beaucoup ?

 

Michel: Oui, surtout quand on était à  Fontenay-aux-Roses. Il y avait un directeur qui était un type exceptionnel, qui était un psychopédagogue, aussi exceptionnel que Korczak dont on a beaucoup parlé au ghetto de Varsovie. C'était un peu fait sur le même modèle. C'était une République d'enfants à Fontenay-aux-Roses. On avait… il tenait absolument à qu’on se dirige nous-mêmes. Et c’était assez extraordinaire d’ailleurs. On a acquis le sens des responsabilités assez rapidement, même si il y avait que des enfants extrêmement difficiles. Et, on dessinait beaucoup. Il y a eu beaucoup, beaucoup. Il y a certains dessins que j'ai retrouvés en visitant le camp du Struthof, par exemple, d'enfants de Fontenay-aux-Roses, y compris moi. Ca fait une drôle impression parce que c'était parti un peu partout, ces dessins, et on était… on parlait beaucoup de ça.

 

Interviewer : Donc, et les adultes vous faisaient parler ? Comment se passait l'enseignement et les rapports avec les adultes dans cette république d'enfants? 

 

Michel: Et bien l'enseignement se faisait à  l'intérieur de la maison d'enfants avec des méthodes, enfin ce qu’on appelle les méthodes d'éducation active. Quand on, par exemple, on faisait des enquêtes, on avait un laboratoire. Tout ça était financé, bien sûr, par les Américains, parce que c'était une maison superbe du XVIIIème siècle qui avait été d'ailleurs la maison de l'éditeur de la Fontaine et XVIIème- XVIIIème siècle. Et il y avait un grand parc. Il y avait un court de tennis et dès qu'on voulait quelque chose, on l’avait. On avait une imprimerie. Et alors donc, ça se faisait toujours par groupes de 3. Bon, on savait que c'était la... on avait appris que c'était la maison de l'éditeur de la Fontaine, je sais plus son nom d'ailleurs, alors on avait été chercher dans les archives de la mairie des documents. J'avais réussi à retrouver de l'époque. On travaillait comme ça par enquêtes, c'était tout à fait inhabituel. 

 

Interviewer: Et donc vous vous êtes retrouvés après combien d'années avec avec votre père?

 

Michel: En 1948, donc je suis resté, entre chez les soeurs deux ans et demi, chez les sœurs et puis là en maison d'enfants deux ans et demi enfin trois ans. Et puis, après cette maison a été obligée de fermer parce que comme les Américains, c'est les Américains qui finançaient, mais tous les éducateurs étaient issus de la résistance juive et ils étaient évidemment tous communistes, alors ça la foutait mal. On avait une éducation très marxiste et, mais, malgré tout, ceux qui vous voulaient pratiquer la religion, pouvaient pratiquer. Je me rappelle quand il y avait… une année, il y avait Yom Kippour, il y avait deux copains, deux- trois copains qui pratiquaient, ce que je trouvais, moi invraisemblable. Mais enfin, ça, c'est une opinion. Et alors? Exprès, on mangeait devant eux pour les… quand ils jeûnaient. Mais sinon, il n’y avait aucune obligation.

 

Interviewer: Il y avait un enseignement juif particulier en dehors de l'enseignement marxiste? 

 

Michel : On pouvait travailler le yiddish, pas l'hébreu. Je n’en ai pas le souvenir mais il y avait une culture, il y avait vraiment une culture juive. On faisait…

 

Interviewer: Par les livres ?

 

Michel: Par les livres, par le jeu aussi. On… j'ai retrouvé des photos, je ne sais pas où elles sont d'ailleurs… on jouait des spectacles pour nous et puis pour les gens de l'extérieur, alors c'était… il y avait eu l'histoire de Joseph et ses frères, tout ça était tiré souvent du livre d’Esther [inaudible] Et on fêtait les fêtes, Rosh Hashana, Pourim. Il fallait se déguiser tout ça. Ils nous disaient toujours : « Il faut que chacun de nous disent je suis juif et c’est mon honneur. »

 

Interviewer: Quand avez vous su ce qui était arrivé à votre mère? Vous l’avez su très vite?

 

Michel: Très vite, oui, mais on espérait toujours. On allait justement, comme beaucoup de gens, j'ai le souvenir d'être allé à l'hôtel Lutetia parce que tous les déportés qui revenaient arrivaient à l'hôtel Lutetia. Il y avait des listes et on y allait assez régulièrement.

 

Interviewer: Pendant que vous étiez dans ces maisons d'enfants ? Le dimanche quand votre père venait vous chercher ?

 

Michel: Oui, à  partir de… surtout les déportés juifs sont revenus assez tard du fait des maladies et ils étaient en quarantaine. Par rapport aux prisonniers français, enfin hommes, et les déportés résistants, les Juifs ont été rapatriés les derniers parce que bon c'est comme ça.

 

Interviewer : Donc en fait vous n'avez pas eu la certitude tout de suite de ce qui est arrivé à votre mère ? Vous l’avez su réellement que plus tard

 

Michel : Oui. Moi, en tout cas, en ce qui me concerne, j'ai longtemps longtemps espéré en me disant que peut-être elle a été rapatriée en Russie et puis que c’est pas facile

 

Interviewer: Voyez-vous quelque chose à  ajouter? Ou bien on a fait le tour? 

 

Michel: Je crois qu'on a… oui, je pense qu'on a fait le tour.

 

Interviewer : Il y a des documents que vous voulez enregistrer ?

 

Michel : Oui, si vous voulez. J’ai des photos si…

 

[inaudible]

 

Michel: Alors donc ça c'est une photo où il y a ma mère, mes deux frères et moi c'était justement en… ce dont je vous parlais tout à l'heure lors de l'exode en 1940 devant la maison, l’espèce de château où nous habitions où ma mère faisait, le ménage alors curieusement, cette photo, elle nous a suivis un peu partout et elle a été prise, parce qu'il trouvait que c'était une belle famille française, cette photo a été prise par un soldat allemand qui était arrivé là-bas, ça se passait dans la Sarthe. Enfin, en province. Voilà.

 

Celle-ci date de 1942. C'est l'asile Lamarck. Je ne sais pas comment j'ai réussi à conserver cette photo et là cette maison de l’UGIF où nous étions bloqués et, au premier plan, en plein milieu, tondus, là, il y a ma sœur et moi. [inaudible] Là il y a ma sœur, on se tient par l’épaule et là, il y a moi et on était donc… voilà, je tiens comme ça la tête sur le bras et c'était … ça devait être en octobre, à mon avis. Oui, en tout cas en 1942. Et tous les gens qui sont autour, que ce soit les infirmières ou les… ça, c'était pour les enfants qui étaient malades et les enfants, je n’en ai retrouvé absolument aucun.

 

Celle-ci, bon, ça a été fait un peu après, c'était justement après notre libération, entre guillemets, on a retrouvé mes frères. On était chez les soeurs et elles nous ont photographiés, enfin chez un photographe professionnel d’ailleurs. En tous les cas, je me demande si c'est pas le jour où ma soeur et moi avons été baptisés parce qu'on a été baptisés bien sûr, parce que les cheveux avaient un peu repoussé, on avait mis un ruban, vous voyait, ma sœur avait l’air…chaque fois, je disais qu’elle avait l’air d’un œuf de Pâques. Ca a été fait donc en 1943 je pense.

 

Et puis voilà, cette dernière photo qui date, elle, de 1945. C’était donc après la Libération. Nous étions dans cette maison d'enfants de l’O.S.E, ce magnifique château qu'on aperçoit derrière au Mans. Et alors on nous avait donné des vêtements, c'était les Américains qui nous habillaient et c'est pour ca qu’il y a une coupe un peu comme ça, à l’Américaine. Voilà mes deux frères, ma soeur et moi dans cette maison d'enfants de l’O.S.E. en 1945. 

 

Interviewer: Est-ce le théâtre que vous jouiez dans cette maison d'enfants qui a décidé de votre carrière d'acteur? 

 

Michel: Peut-être, c'était surtout parce que, même chez les soeurs on jouait des petites pièces comme ça et c'est peut-être… je me demande si c'est pas le fait d'avoir été enfant de choeur parce qu’il y avait le costume et ça, je sais que le … en tout cas les grands messes, ça me plaisait beaucoup, beaucoup. C'est peut- être ça, je ne sais pas du tout, je ne sais pas du tout mais on a effectivement toujours, que ce soit chez les soeurs ou en maison d’enfants, on a toujours beaucoup joué de spectacles.

 

FIN DE LA TRANSCRIPTION A 20’

Michel est devenu acteur, humoriste. Il nous a quittés le 24 janvier 2018.

https://www.youtube.com/watch?v=Iu-N9GHjYww

 

Sœur Clotilde a reçu la médaille posthume des Justes en 1995.

 

En 2010, Michel participe au documentaire familial réalisé par son fils intitulé Un voyage pas comme les autres :

https://www.youtube.com/watch?v=wLSQmApHF6U

  

Le 8 mars 2013, une plaque à la mémoire de Rachel Muller est apposée 3, rue de l’Avenir.

https://www.youtube.com/watch?v=iXEIMyYCa0M